
Le Général de Brigade Ibra Boulama Issa
Monsieur le Gouverneur quels sont les défis majeurs auxquels est confrontée la région d’Agadez ?
Les défis auxquels la région est confrontée sont quasiment similaires aux autres régions, cependant nous pouvons relever quelques spécificités. Ainsi, l’immensité du territoire de la région, l’insécurité, particulièrement aux frontières avec les pays limitrophes, la pression des flux migratoires mixtes (migrants internes et externes, réfugiés et demandeurs d’asile, orpailleurs, etc.), les effets du changement climatique, sont entre autres les défis auxquels la région fait face. Ces défis ont également des impacts considérables sur le développement socioéconomique de la région. Ainsi, les effets conjugués du changement et de la variabilité climatique et les défis environnementaux affectent considérablement les activités du secteur rural à savoir l’agriculture et l’élevage, d’où la nécessité de renforcer les capacités d’adaptation des producteurs et des éleveurs en vue d’améliorer leur contribution au développement de la région.
L’insécurité, par exemple, a un impact important sur les autres secteurs d’accompagnement et de soutien au développement comme la culture, le tourisme, l’artisanat, le transport, l’énergie et les mines. Ces secteurs qui faisaient la fierté de la région, connaissent aujourd’hui des difficultés diverses liées aux contextes sécuritaire, socioéconomique et géopolitique dans lesquels évoluent le pays en général et la région d’Agadez en particulier.
Aussi, vous vous rendez compte aisément que le défi majeur de développement du Pays en général, et de la région d’Agadez en particulier, reste et demeure l’amélioration des conditions de vie des populations, l’amélioration de la sécurité des personnes et de leurs biens, le désenclavement de certaines localités, l’amélioration de la production agricole et celle des conditions des éleveurs, l’amélioration de la gestion des flux migratoires, le renforcement des actions de lutte contre les effets du changement climatique, etc.
Nous avons également hérité d’une très mauvaise gestion administrative de certaines entités décentralisées et face à ce défi, l’amélioration de la gouvernance locale à travers les Administrateurs Délégués est une impérieuse nécessité afin de donner de l’espoir à nos laborieuses populations.
En ce qui concerne les services déconcentrés de l’Etat, comme j’ai eu à le dire par le passé, nous avons malheureusement relevé une insuffisance notoire de cadres et de personnels auxiliaires dans la plupart des directions régionales. Ce constat amer est essentiellement dû au fait que certains agents affectés par le passé n’ont jamais rejoint leurs postes ou se sont fait réaffecter en bénéficiant de certaines complaisances et d’autre part, certains agents de l’Etat atteints par la limite d’âge et ayant fait valoir leurs droits à la retraite, n’ont tout simplement pas été remplacés. Cette situation qui handicape beaucoup le fonctionnement régulier des services publics doit être revue et corrigée dans les meilleurs délais possibles.
A cette insuffisance en personnel s’ajoutent également certaines difficultés liées à l’insuffisance de moyens logistiques essentiellement en capacités de transport et les problèmes liés au manque criard d’infrastructures pour certaines entités administratives.
Au-delà de tous ces aspects nous avons également constaté l’absence totale de certains services de l’Etat au niveau de certains départements comme celui des Impôts ou de la Justice, pour ne citer que ceux-là. Malgré tout, les différents responsables en fonction s’acquittent honorablement de leurs missions avec abnégation et professionnalisme.
Vous avez parlé du défi sécuritaire, comment se présente la situation sécuritaire dans la région d’Agadez ?
Comme vous le savez, depuis un an et suite aux directives que nous avons reçues du Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie, Chef de l’Etat, Son Excellence le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, la sécurité fait partie des priorités qui ont été données aux différents Gouverneurs des régions. Cela va s’en dire qu’au niveau d’Agadez, nous pouvons nous réjouir que depuis un an, la situation sécuritaire s’est beaucoup améliorée. La situation s’est améliorée quand on regarde les différentes menaces auxquelles la région d’Agadez est confrontée, notamment les menaces des Groupes Armées Non Etatiques. Il y’a quelques années, cette menace était prégnante dans la région, avec des groupes qui arrivaient jusqu’à la lisière de la ville d’Agadez. Avec les efforts des Forces de Défense et de Sécurité nous pouvons dire aujourd’hui que cette menace a beaucoup diminué même si elle n’est pas totalement écartée.
A côté de cette menace, nous avons tout ce qui a trait aux Groupes Criminels Organisés qui s’adonnent essentiellement aux trafics de drogues, aux trafics des armes. A ce niveau également il y’a beaucoup d’efforts qui ont été faits. Il y’a juste quelques mois de cela, l’opération Garkoi a pu mener une opération pour pouvoir justement démanteler un Groupe qui avait une importante quantité d’armes et de munitions. A côté de cela, en ce qui concerne le trafic de drogue, si nous regardons le bilan de l’année écoulée et au regard des importantes quantités qui ont été saisies et qui ont été officiellement détruites, nous pouvons dire également que sur le plan de lutte contre le trafic de drogues, il y’a beaucoup d’efforts qui ont été faits également.
A côté de cela nous avons toujours comme menace au niveau de la région d’Agadez, ce que nous appelons l’insécurité résiduelle au niveau des axes de communication. Nous avons toujours à faire à des bandits armés qui interceptent les paisibles citoyens sur des voies de communication et à ce niveau également des efforts ont été entrepris et cela est en nette diminution par rapport à ce que nous avons connu par le passé.
En ce qui concerne l’insécurité résiduelle dans les villes, puisque cela aussi existait à un moment au niveau de la ville d’Agadez où c’était quasiment impossible de sortir la nuit. Avec l’intensification des patrouilles nocturnes aujourd’hui les gens vivent dans la quiétude. Cette insécurité au niveau des villes a beaucoup diminué avec tous les efforts conjugués par les Forces de Défense et de Sécurité qui font au quotidien des patrouilles nocturnes. Cela a permis de réduire de manière drastique, en tout cas au niveau des statistiques, les attaques qui étaient monnaies courantes, dans les grandes villes.
Par rapport à cette situation sécuritaire, malheureusement nous pouvons noter, le cas spécifique qui s’est produit dans le Département de Bilma, avec l’enlèvement, le 21 juin, du Préfet et de sa délégation. Je voudrais dire que tout est en train d’être entrepris pour que ces personnes puissent recouvrer leur liberté. C’est pour nous l’occasion de témoigner notre compassion à la famille de l’Officier de la Garde Nationale du Niger qui est tombé dans ce tragique incident et également aux familles de ceux qui sont encore dans les mains de leurs ravisseurs. L’Etat est en train de tout mettre en œuvre afin que cette situation ne soit qu’un mauvais souvenir.
Donc de façon générale, je voudrais également noter tous les efforts qui sont en train d’être entrepris par le CNSP et le gouvernement pour renforcer les capacités de nos Forces de Défense et de Sécurité. Avec ce renforcement des capacités les FDS sauront tous encore à mesure d’assurer la sécurité des personnes et des biens, d’assurer les conditions pour une libre circulation des personnes et des biens afin que cette région qui est très riche puisse jouir de sa prospérité au bénéfice de l’ensemble du peuple nigérien.
Depuis votre prise de fonction et lors de vos déplacements à l’intérieur de la région ainsi qu’au cours de vos visites dans les services des Forces de Défense et de Sécurité, vous n’avez eu de cesse d’appeler à une collaboration entre les populations et les FDS. Quelle appréciation faites-vous de cette collaboration aujourd’hui ?
Comme j’ai coutume de le dire, la sécurité d’un pays repose sur un triptyque : l’Etat, les Forces Armées et la Population. Il faut qu’en synergie, ces trois acteurs puissent travailler de concert pour que nous puissions ensemble déplacer la montagne. J’ai toujours appelé la population à répondre présente, à être à l’écoute des Forces de Défense et de Sécurité et vice-versa. J’ai l’habitude également de dire aux Forces de Défense et de Sécurité que leur mission c’est d’assurer la sécurité des biens et des personnes. Il est important que cette collaboration puisse être faite de manière assez dynamique pour qu’ensemble, la population, les Forces de Défense et de Sécurité et l’Etat, nous puissions accomplir la mission de la Sauvegarde de la Patrie. Ce message est toujours d’actualité. Et je profite de cette occasion pour saluer cette franche collaboration, l’encourager et réitérer cet appel.
Que peut-on retenir de l’économie de la région ?
Avant de répondre à cette question, retenez tout d’abord que la souveraineté tant recherchée par les Nigériens en général et par la population d’Agadez en particulier, ne doit pas être perçue uniquement sous l’angle de la gouvernance, de la paix et de la sécurité, mais aussi et surtout sous l’angle économique. Aussi, l’agriculture et l’élevage constituent comme, on a coutume de le dire, les deux mamelles de l’économie du Niger. Aussi surprenant soit-il, vous pouvez noter que cette assertion est aussi vraie pour l’économie de la région d’Agadez. D’autres secteurs non moins importants sont les mines et l’industrie, la culture, l’artisanat, l’énergie, le pétrole, le commerce et le transport.
Tributaires des aléas climatiques et anthropiques, l’agriculture est la plus utilisée par la population d’Agadez. La production est plus ou moins aléatoire, butant contre l’insuffisance des moyens de production, les difficultés de commercialisation et de transformation des produits agropastoraux. Cette situation est exacerbée par la dégradation continue des voies de communication, mais aussi par l’enclavement des zones de production. La région disposant d’un important potentiel irrigable estimé à plus de 2,4 millions d’hectares, soit 22 % du potentiel national, des ressources en eaux abondantes et peu profondes.
Malheureusement, seule une infime partie de ce potentiel est utilisée. Mais je reste confiant avec le nouveau programme dit ‘’Grande Irrigation’’ initié cette année par les plus hautes autorités du CNSP et qui permettra d’exploiter ces potentialités de façon optimale.
Quant à l’Élevage, il constitue l’autre poumon de l’économie régionale, pourvoyeur d’emplois et de revenus. Il est également soumis à plusieurs contraintes réductrices des efforts de développement du secteur dont notamment la diminution des espaces pastoraux du fait des activités minières, la remontée du front agricole, les feux de brousse, le faible maillage des points d’eau de la zone pastorale, etc. L’élevage est une activité exercée dans toutes les zones agro-écologiques de la région avec de fortes prédominances dans l’Irhazer, le Tadress et le Talak. Le cheptel de la région d’Agadez estimé à 1,8 millions de têtes en 2020, de près de 2 millions en 2021 toutes espèces confondues soit un taux de croissance de l’ordre de 3,54 %. Ce qui confirme sa place de deuxième activité économique de la région, et contribue significativement à l’augmentation du PIB.
S’agissant des Mines et Industries, la région d’Agadez renferme d’énormes potentialités minières et géologiques, dont la mise en valeur rationnelle pourrait constituer un atout important pour le développement durable du Niger en général et de la région d’Agadez en particulier. Les potentialités déjà en exploitation sont : l’uranium, le charbon minéral, le sel, le natron et l’or. La production de l’uranium, du charbon et de l’or est très forte, plaçant ainsi la région d’Agadez comme un des poumons industriels du Niger.
S’agissant des activités culturelles et artistiques, elles sont légion dans la région d’Agadez et constituent des cadres privilégiés de rencontres, de brassage, d’échanges et de partage entre les différentes composantes de l’univers social. Elles servent, entre autres, de ferment de l’unité nationale et de cohésion sociale. Parmi les potentialités culturelles de la région on peut citer l’existence de sites et monuments historiques, de musées archéologiques et d’évènements culturels comme le Festival de l’Aïr ou le Bianou, la Cure Salée. Le patrimoine touristique dont dispose la région, conjugué aux activités culturelles, artistiques et artisanales, fait de la région d’Agadez une zone d’attraction touristique par excellence.
En outre, la région d’Agadez dispose d’un artisanat riche et varié, aussi bien en zone rurale qu’en zone urbaine. Le potentiel artisanal de la région d’Agadez porte sur la forge, la bijouterie, la maroquinerie, la couture, la sculpture bois, la cordonnerie, les divers métiers et services d’art manuel, la transformation des produits agro-pastoraux, la pharmacopée traditionnelle, etc. La région d’Agadez compte ainsi plus de 200 métiers artisanaux pratiqués par plus de cinquante mille (50 000) personnes travaillant dans le secteur, de manière permanente ou occasionnelle.
Par rapport à l’Energie et au Pétrole, l’existence d’entreprises opérationnelles comme la SONICHAR, la NIGELEC et la SONIDEP surtout avec l’élargissement des objectifs qui lui ont été nouvellement assignés par les plus hautes autorités du CNSP à savoir l’exploitation des blocs pétroliers de Bilma (Agadez) et d’Agadem (Diffa) à savoir l’extraction du pétrole brut, son transport via pipelines domestiques, son raffinage, son stockage et sa commercialisation en font un atout non négligeable.
Vous conviendriez donc avec moi que l’économie de la région d’Agadez est une sorte de résultante de tous les secteurs précités. Par conséquent, on peut retenir que chacun de ces secteurs possède des potentialités qui doivent être exploitées de façon optimale. Des contraintes qui doivent être levées, que ce soit par les autorités à travers la volonté politique qui est aujourd’hui une réalité, ou par les acteurs eux-mêmes à travers le travail, le courage et l’endurance, pour qu’ensemble nous fassions en sorte que notre dépendance économique soit ramenée à un niveau très faible, gage d’une réelle affirmation de notre souveraineté économique.
Propos recueillis par Ali Maman ONEP-Agadez