Mamane Abou s’en est allé, pour toujours, le lundi 13 juillet 2020. Il avait 72 ans. Finalement, la maladie a eu raison sur lui, malgré la lutte acharnée qu’il a menée contre celle-ci. Et voilà deux semaines qu’une tristesse immense et profonde continue à m’habiter, moi le petit-frère, moi le compagnon de lutte, moi le parent à plaisanterie, moi son «Baâdaré».
Mamane Abou, c’est d’abord un parcours extraordinaire dans plusieurs domaines pour lesquels a priori il n’y était pas destiné, mais les grands hommes forgent leur destin. Cet informaticien fut le fondateur de la Nouvelle Imprimerie du Niger (NIN) après le rachat de l’Imprimerie Générale du Niger, entreprise qui demeure aujourd’hui une grande référence dans la sous-région.
Mamane Abou a surtout été un grand patron de la presse privée nigérienne. Son journal Le Républicain, un hebdomadaire qui a porté sur les fonts baptismaux le journalisme d’investigations au Niger : «l’affaire MEBA», «l’affaire Zeinab», «les LAP et PSOP» sont de son fait, parce qu’il n’a pas sa langue dans sa poche, mais surtout parce que pour lui, il y a des valeurs pour lesquelles, il ne reculera devant rien pour les défendre. La radio privée Sahara FM d’Agadez a été dans son giron.
Ensuite, il a été dans l’hôtellerie : le Guest House de Maradi était sa propriété, l’hôtel Tarka de Tahoua est sorti de terre grâce à lui.
En cette ère nouvelle d’une démocratie qui souffle sur le Niger, grâce à la Conférence Nationale Souveraine, qui fête ses 29 ans aujourd’hui, et dont il a été un des grands acteurs, il restait une vigie inébranlable…
Vigie, Mamane Abou l’a été dans le mouvement associatif, au sein duquel, plusieurs acteurs de la société civile ont bénéficié de ses conseils. Il ne manquait jamais de nous livrer gracieusement des affiches publicitaires qui rehaussaient l’éclat de nos manifestations pacifiques. Souvenons-nous de la marche historique du 15 mars 2005, il était là, au côté de la Coalition Equité Qualité contre la vie chère ; comme membre fondateur de l’ANDDH, structure avec laquelle les forces démocratiques ont défendu et obtenu la Conférence Nationale Souveraine, qui allait refonder la République et la lancer sur les rails d’une démocratie à jamais irréversible dans notre pays.
D’ailleurs, pour sa probité, la Conférence Nationale Souveraine lui avait confié le poste de Président de la redoutable Commission Crimes et Abus qu’il dirigea avec une main de fer.
Le Niger a perdu un fils méritant, l’un des plus ingénieux, l’un des plus innovateurs, un visionnaire et assurément un ‘’Juste’’. Moi, je perds un Grand-frère. Je perds un fidèle ami de trente ans. Mon parent à plaisanterie ; j’étais son «Baâdaré» et quand, je lui rétorquais, je lui disais : «toi aussi tes ancêtres ont traversé l’Ader pour se réfugier à Belbédji». Nos éclats de rire résonnent encore dans mes oreilles et surtout dans mon cœur. Je perds un ami très proche que j’admire, que j’envie, parce que, comme le dit un dramaturge Grec Eschyle : «Il est peu d’hommes enclins à rendre hommage, sans quelques mouvements d’envie, au succès d’un ami.»
Je perds un ami de trente ans de lutte. Permets-moi de t’appeler «mon refugié de Belbédji». Tu y reposes aux lieux où tes ancêtres reposent ; et ceux qui t’ont accompagné m’ont rapporté que le ciel t’appartient désormais. Je perds un ami de trente ans. Je pleure parce qu’il y a des larmes quand on a mal. Je parle d’une mort d’un militant activiste comme moi, mais j’essaie de me consoler, car disait Albert Camus : «parler de ses peines, c’est déjà se consoler.»
Je perds un ami de trente ans. Je me console, tant bien que mal. Parce que la mort fait partie de la vie. Derrière la douleur se réfugie la joie n’est-ce pas «mon Grand Targui de Belbédji?» Je me console parce que je tiens cette vérité du poète Birago Diop : «les morts ne sont pas morts.»
Les amis de lutte, ta famille et tes collaborateurs garderont ce souvenir de ton rire, de ta rigueur, de ton éternel optimisme et de ton combat. Tu laisses un vide immense derrière toi. Et c’est avec beaucoup de tristesse et de compassion que je présente mes sincères condoléances à ton épouse, tes enfants, tes frères et sœurs, tes parents, tes amis et connaissances, tout en leur témoignant mon ferme soutien dans ces moments extrêmement difficiles.
Ta vie a été belle. Repose en paix Maman !
Moustapha Kadi Oumani
Président de l’ONG CODDAE