Quartier Kalley Est à Niamey. Un grand hall dans l’arrière-plan d’un immeuble dont les travaux sont visiblement non achevés sert d’atelier à M. Daniel Bitoumba Gbati du Niger. Il y travaille au milieu d’un bric-à-brac. On y voit pêle-mêle divers objets ou matériels électroniques comme des téléviseurs à tube cathodique, des humidificateurs, des amplificateurs, des cartes et circuits électroniques, des ordinateurs, des câbles. Un peu plus loin, des feuilles et racines de plantes médicinales sont étalées. On se croirait dans une brocante. Et pourtant, Daniel Bitoumba Gbati, n’est pas brocanteur. Cet électromécanicien de formation est dans l’invention et l’innovation depuis de nombreuses années.
Cet espace peu ordonné est son environnement de travail. « Mon atelier est en même temps ma résidence. Certains gens du quartier me prennent pour un fou », dit-il avec un sourire narquois. Mais Daniel n’est pas fou. Il est, comme tous les grands esprits qui ont marqué leur temps, souvent mal compris du commun des hommes. De même le désordre ambiant qui l’entoure ne le dérange absolument pas. Normal, les hommes de génie n’ont pas besoin d’un grand confort. Et, c’est parfois de ce désordre apparent qu’émergent des idées et des innovations qui peuvent contribuer à améliorer le quotidien de la population.
Du génie, cet électromécanicien de formation en a certainement. Après plusieurs inventions et innovations dont certaines primées, Daniel Bitoumba Gbati est actuellement sur un système d’alerte en cas de danger qu’il a dénommé ‘’Technologie de secours intelligente’’. Il s’agit d’un dispositif électronique lumino-sonore. Il est équipé d’une source d’énergie autonome longue durée et peut fonctionner 24/24, avec une faible consommation d’énergie électrique.
Une fois installé dans une maison ou tout autre lieu à sécuriser, le dispositif peut être déclenché soit par télécommande ou en appuyant sur un bouton poussoir en cas de danger (par exemple une intrusion, un incendie ou toute autre menace). Il émettra une alerte vocale très puissante qui peut être audible dans un rayon d’au moins un (1) km.
Mais, l’autre aspect de ce dispositif est que le message d’alerte émis est en langues locales. « Les sirènes et les signaux lumineux nous sont proposés par les autres. J’ai voulu mettre en place un dispositif conforme à notre milieu social. C’est pourquoi, le dispositif lance l’alerte en langue locale. Une fois déclenché vous allez entendre ‘’Jama’a wa faba, wa faba, irkoye wa fada’’ ou ‘’Jama’a ku mini taymako’’. Ce qui veut dire littéralement ‘’aidez- moi, s’il vous plait, aidez- moi’’. On peut traduire ce message dans toutes nos langues. Et dès que c’est déclenché l’entourage comprendra que quelqu’un a besoin d’aide alors que lorsqu’on entend une sirène, la majorité d’entre nous pensent à une ambulance ou au passage d’une autorité », explique l’inventeur.
Ce dispositif permet de dissuader les voleurs. Il peut être utilisé en ville comme dans les zones rurales. A titre illustratif, les collectivités peuvent l’installer pour protéger certaines infrastructures sociales comme les marchés, les systèmes d’adduction d’eau potable qui sont souvent cambriolés. Il permet aussi de mieux protéger les gardiens de certains lieux en ce sens qu’en cas de suspicion, il suffit juste pour le gardien d’appuyer sur le bouton pour alerter sans trop s’exposer. « Comme vous le savez, les deux paramètres que les voleurs craignent c’est le son et la lumière. Lorsqu’un voleur rentre chez vous, même le bruit d’une casserole ou une ampoule allumée peut le faire fuir. Que dire alors d’une alarme qui appelle à l’aide en langue locale et qui est audible jusqu’à un kilomètre ! », explique l’inventeur.
Ce n’est pas tout. En effet, l’application peut être installée sur un téléphone portable permettant ainsi au propriétaire d’envoyer l’alerte à ses contacts sous forme de message en cas de danger.
C’est d’ailleurs pour les avantages de ce dispositif que l’inventeur souhaite travailler avec les services de secours comme les Sapeurs-pompiers. Mais le vœu le plus ardent de M. Daniel est de développer, produire en grand nombre et vulgariser toutes ces innovations qui peuvent contribuer à changer la vie de ses concitoyens.
Plusieurs innovations toujours dans les tiroirs
Daniel Bitoumba Gbati est à la tête d’une structure dénommée ‘’Danitech Invention’’ qui opère dans les domaines de l’électronique, de l’électricité et du médical.
Cet inventeur a, par le passé mis au point, plusieurs innovations dont certaines ont été primées à l’occasion des salons ou foires d’exposition. C’est ainsi qu’en 2003, il a gagné un prix pour son savon fabriqué à base de sable dénommé ‘’Savon graisse’’ et ‘’le détergent universel du Sahel pour tous travaux salissants les mains’’ à l’occasion d’un concours organisé par le Ministère du Commerce et de l’Industrie.
Il a ensuite mis au point un ‘’régulateur automatique de tension électrique à gestion intense 3000 W’’. Ce dispositif léger accessible aux revenus des Nigériens se vend deux, voire trois fois moins cher que les régulateurs importés. L’inventeur a d’ailleurs reçu un prix pour cette invention lors de la Foire de la SNV Yawwa qui s’est déroulée en 2016 au Palais du 29 juillet à Niamey.
Puis en 2017, Daniel Bitoumba Gbati a reçu un autre prix lors du Salon de prévention des risques professionnels (SAPRIP) pour avoir mis au point un ‘’dispositif de signalisation sonore en cas de non fermeture du gaz’’. En effet, lorsqu’il est installé sur une cuisinière à gaz, le dispositif déclenche un signal sonore en cas de non fermeture de gaz.
L’inventeur a également mis au point un ‘’capteur électronique de moustiques’’. Conçu sous forme de radar, ce dispositif peut être installé dans les centres de santé. Daniel Bitoumba Gbati a reçu plusieurs témoignages de satisfaction pour ses multiples inventions dont l’importance n’est plus à démontrer.
Malheureusement, dit-il, par manque de soutien, ces innovations ne sont pas développées et vulgarisées pour qu’elles profitent surtout aux populations et contribuent à l’économie du pays. Cet inventeur passionné croit dur comme fer aux capacités des Africains. « Si nous avons le soutien nécessaire, nous pouvons fabriquer énormément de choses qu’on importe souvent à des coûts exorbitants », dit-il.
Faire avec les moyens de bord
En attendant une prise de conscience des décideurs et des investisseurs africains, Daniel Bitoumba Gbati fait avec les moyens de bord. En effet, très attaché aux traditions africaines, cet inventeur a des connaissances en pharmacopée traditionnelle. C’est ainsi qu’il met au point quelques traitements à base de plantes médicinales. « La pharmacopée traditionnelle est un domaine porteur. Si on est très sérieux on peut gagner de l’argent », dit-il. C’est d’ailleurs les revenus engrangés à travers la vente des produits de la pharmacopée que M. Daniel investit pour acheter du matériel de travail pour l’autre aspect de ses activités. « On ne peut pas attendre la banque ou compter sur quelqu’un pour vous financer. On fait avec les moyens de bord », confie-t-il, stoïque.
Malheureusement, M Daniel Bitoumba Gbati, n’est pas le seul dans cette situation. Beaucoup d’autres inventeurs ont mis au point une multitude d’innovations qui sont restées sur le papier, dans les tiroirs poussiéreux des ateliers et autres casiers des laboratoires ou sous forme de prototypes. Qu’il s’agisse de technologies agricoles, de l’agroalimentaire et de solutions numériques, les Nigériens ‘’ne sont pas les derniers de la classe’’. Ils ont même été les meilleurs dans beaucoup de domaines. Le cas des technologies de l’énergie solaire mises au point par le Professeur Abdou Moumouni Dioffo est là pour nous rappeler à la fois le génie créateur des Nigériens et des Africains en général, mais aussi le peu de prévoyance des décideurs. Il est en effet incompréhensible que plus de 50 ans après les travaux du Prof Abdou Moumouni, le Niger soit encore confronté à un problème crucial d’accès à l’énergie.
Sans se décourager, Daniel Bitoumba Gbati continue, dans le sillage de ces grands esprits, ses travaux avec l’espoir qu’un jour ses innovations seront produites à grande échelle et vulgarisées pour le bien des populations. Malheureusement, en l’absence de moyens pour vulgariser leurs innovations beaucoup de génies sont passés de l’autre côté, emportant avec eux leurs idées aussi géniales soient-elles et aussi utiles soient-elles. Entre temps, nos pays continuent à importer les équipements les plus élémentaires.
Siradji Sanda (ONEP)