Sur la voie principale menant au quartier Saga, dans le quatrième arrondissement communal de Niamey, le long du nouveau goudron en chantier (ainsi que sur toutes ses déviations), la circulation est d’une ambiance inhabituelle, en cette journée du 8 septembre 2020. L’embouteillage est monstrueux. De part et d’autre, dans les deux sens (aller et retour), des centaines de véhicules avancent si lentement qu’on aurait préféré continuer à pied. Au passage, l’on croise surtout plusieurs camionnettes, en provenance de la destination, chargées et même surchargées des meubles de ménages. Un peu devant, juste après les rizières, d’entrée au quartier, à droite, une ruelle est entièrement engloutie sous les eaux. Cela, depuis la veille, aux environs de 14h. Et jusque-là, les habitants évacuent au maximum leurs bagages et effets, du moins les plus précieux ou nécessaires, au moyen des pirogues pour la plupart et avec l’assistance des FDS mobilisées à cet effet et des volontaires. Le spectacle attristant va de pire en pire, jusqu’au « troisième cassis ». Dans la majorité des rues, c’est de l’eau. Des maisons sont envahies et même effondrées. Des heures durant, les sinistrés extirpent leurs biens. Ce faisant, des familles entières, femmes et enfants notamment, se retrouvent au bord du goudron, à coté de leurs meubles. Le seul premier refuge est la chaussée de ce goudron en chantier. Désespérés voire désemparés, d’autres à l’ombre, certains sous le soleil ardent des temps pluvieux au ciel dégagé à mi-journée. Ils sont nombreux, délogés par la force des eaux, à attendre le salut des instances techniques publiques ou à envisager des alternatives propres et individuelles. Le long de la voie, les sinistrés sont sur le qui-vive, entre les deux eaux.
Saga est, en effet, pris entre les eaux du fleuve Niger en crue exceptionnellement inquiétante se situant à la côte d’à peu près 700 cm et celles de la mare du quartier (ancienne carrière). La tragédie sans précèdent de la montée des eaux du fleuve n’a pas épargné la rive droite, notamment l’arrondissement communal Niamey 5. Les quartiers Zarmagandey, Lamordé, Karadjé-Ganda, Gnalga et Banga-Bana sont aussi sous les eaux. Les maisons des sinistrés, dont la plupart sont relogés dans des classes, sont submergés jusqu’au toit dans les zones les plus touchées ; certaines sont remplies d’eau. Rien n’est épargné dans cette zone, boutiques, centre de santé et même les mosquées. Les rues presque vides et silencieuses, les quelques habitations (construites « en dur ») dont les occupants n’ont pas quitté sont aussi menacées. Les habitants de ces dernières construisent des rigoles afin de dévier le sens de l’eau pour pouvoir mettre leurs habitats à l’abri. Ils travaillent d’arrache-pied en mettant des sacs de sable et de la latérite. Mais vu la montée exceptionnelle des eaux, et aussi selon l’adage, « Harizourou si ingafondo tan » (autrement dit « un cours d’eau suit toujours sa trajectoire »). Cela veut dire que tôt ou tard, un bras mort du fleuve ou une rivière déviée sont des menaces potentielles car ils pourront un jour être actifs ; ces habitations sont sous un grand risque de subir le même triste sort qui a touché les autres.
En effet, plusieurs villes et villages au Niger, à l’instar de beaucoup de pays sahéliens, sont durement touchés par cette tragédie d’inondations. Le pays enregistre des dizaines de pertes en vies humaines ; des centaines d’hectares de périmètres irrigués inondés; plus de 32. 000 sinistrés et du bétail emporté par les eaux. Des inondations ont lieu, faut-il le rappeler, dans ces zones situées dans les bras morts du fleuve, dans le passé pendant les années des plus fortes pluies, particulièrement au mois d’août, période où les pluies sont au pic et souvent peu espacées. Mais celles de cette année sont exceptionnelles eu égard aux effets dévastateurs causés par les averses violentes.
Un drame sans précédent…
Au quartier Saga, selon les populations riveraines, l’inondation est causée non seulement par la montée des eaux du fleuve mais également par le débordement de la mare située à la rive gauche du quartier. Des habitants de ce quartier se disent être surpris par l’inondation de cette année. Selon eux, il y’a eu plusieurs inondations dans le passé dont la plus récente remonte à 2012; mais celle de cette année a un caractère exceptionnel.
« Je n’ai jamais vu une telle inondation aussi dévastatrice que celle-là depuis mon existence. Nos maisons sont emportées par les eaux », témoigne Aïssa Hamani, une vielle femme octogénaire du quartier Saga. Biba Ganda et Maria Bello, deux autres femmes, dont les habitations se trouvent vers le CES, soutiennent qu’à l’exception des quelques maisons se trouvant au bord de la voie bitumée, les maisons se situant au fond sont carrément « effacées ». « Certains, non loin de nous, sont morts dans les eaux mais pour le moment, les corps ne sont pas encore identifiés. Nous avons également perdu beaucoup de biens. Pour l’instant, notre issue est de nous diriger vers la cour du CES tout en espérant avoir de l’aide car, comme vous le voyez, nous manquons de quoi manger et à boire », affirment-elles. Ces femmes fustigent, par ailleurs, le comportement véreux de certains piroguiers et propriétaires de camionnettes qui profitent de leur malheur et fixent des sommes exorbitantes pour l’évacuation des biens des habitations inondées. « Ils profitent de la catastrophe pour remplir leurs poches», déplorent Biba et Maria.
A Gnalga, un chef de famille avoisinant la cinquantaine était devant son tas de meuble, sous le soleil, au bord du Pont de l’Amitié sino-nigérien communément appelé deuxième pont. « Ma maison s’est effondrée complètement. C’est au cours de la nuit que nous avons pu nous en sortir avec ses effets. J’attends depuis le matin le véhicule qui va m’amener ces effets juste à Saguia (à maximum 3 km). La plupart me demandent de donner entre 20. 000 FCFA et 30. 000 FCFA pour l’unique tour. Je pense que je vais opter pour un chariot », se lamente le sinistré.
A la date du 9 septembre 2020, l’eau fuse encore. Minute après minute, les heures passent, les espaces non absorbés sont en passe de l’être. Pendant que le sieur Zakari Saley, riverain de la voie principale qui traverse Saga, attend une camionnette pour s’y extraire, ses voisins s’entêtent, eux, à renforcer la barricade contre les écoulements.
Deux gros «voyages» de sable fin à 50.000FCFA la benne, soit 100.000FCFA au total, aux frais des quelques quatre concessions intéressées. La barricade est faite d’une ceinture de sacs de sable. Face à la menace grandissante, il fallait un troisième «voyage », que déploie une dizaine de jeunes, visiblement à bout d’effort. Il faudrait peut-être songer à évacuer catégoriquement les lieux. C’est ce qu’avait pressenti le sexagénaire Zakari, fonctionnaire d’Etat à un pas de la retraite, dont la maison est à 2 mètres des caniveaux qui commencent déjà à déborder. Selon lui, ils ont eu échos de la menace qui s’acharnait vers eux, depuis Satchirey-Banda, deux jours avant. « Nous ne sommes pas surpris », a-t-il dit. Ces écoulements qui empirent la montée du fleuve, ici, viennent de la vieille carrière. Cette dernière a toujours constitué une menace d’inondation pour certains habitants du quartier, a-t-il expliqué. La situation s’est, ainsi, aggravée aujourd’hui parce que les caniveaux sont dépassés, entre les deux eaux en débordement. Sa maison est en passe d’être inondée. Depuis deux jours, Zakari n’a dormi que d’un œil vigilant. « Maintenant, j’ai plié tous mes bagages, je n’attends que le véhicule. J’ai comme l’impression que ces eaux ne s’arrêteront pas à ce niveau. Depuis 2 h du matin, nous n’avons pas fermé l’œil », confie M. Zakari Saley. Vétéran de l’inondation de l’année 2012, de son propre toit de plus de 20 ans, il soutient n’avoir jamais vécu une situation aussi grave que celle-ci.
Par Ismaël Chékaré et Issoufou A. Oumar(onep)