‘‘Yac Bi’’, de son vrai nom Yacouba Adamou, est né à Niamey il y a 30 ans. Sa femme Nana Fatoumata Souleymane dite ‘‘Ayouba Gna’’, elle est née à Tesssaoua. Les deux sont des artistes compositeurs, bien connus du public nigérien, à travers des chansons, des publicités et des films communément appelés ‘‘Dandali Soyaya’’. Dans cet entretien qu’ils ont accordé au quotidien Le Sahel, les deux artistes, mariés depuis plusieurs années et qui comptent actuellement 3 enfants dans leur foyer nous retracent leur parcours, les thèmes qu’ils abordent dans leurs chansons, les chants du terroir qu’ils modernisent et interprètes, les relations qu’ils entretiennent avec le Ministère de la Culture, le BNDA et leurs collègues artistes.
Quand et comment êtes-vous venus à la chanson ?
Ayouba Gna : Je dois dire que depuis ma tendre enfance, j’ai toujours aimé et écouté les chansons soit à la radio ou encore quand, au village, les jeunes filles entonnent des chants au clair de lune. Je n’ai hérité, ni de père ni de mère, la chanson. Je pense que la chanson me plaît vraiment, c’est seulement pour cette raison que je m’y suis intéressée. C’est une fois devenue grande que j’ai réellement commencé à chanter. En fait avant je faisais plus du théâtre, avec le célèbre Mitou Baba Pélé, c’est par la suite que j’ai opté pour la chanson.
Yac Bi : Moi aussi je n’ai pas hérité la chanson. Depuis que j’avais 9 ans, j’écoutais régulièrement la musique. Parmi les artistes que j’écoutais et imitais, il y avait Baba Salla, Sadou Bori, Moussa Poussy. C’est donc en les écoutant que je me suis dit pourquoi ne pas faire comme eux et composer moi-même des chansons. C’est alors que je me suis jeté dans la mare musicale.
Quelles sont les thématiques que vous abordez dans vos prestations ?
Yac Bi : En fait, on fait toujours nos chansons à deux, avec Madame. Nous abordons plusieurs thèmes comme l’amour, nos valeurs culturelles, les problèmes du quotidien. Nous chantons sur de problèmes concrets. A titre illustratif, ‘‘Talou walé walé’’ évoque la problématique de l’exode rural et ‘‘Souba Almari’’ celle des mariages précoces et forcés des jeunes filles. Nos chansons sont poignantes et interpellent la conscience. Nous essayons, à travers nos chansons de faire passer des messages.
Ayouba Gna : Si je prends un de nos morceaux les plus connus, à savoir ‘‘Ayouba N’Gna’’, c’est un très ancien tube que nous avons repris, réactualisé et moderniser pour certes, avoir un morceau très dansant mais en même temps évoquer des questions poignantes relatives à la jeunesse, à l’amour, à la compréhension mutuelle. La paix, la sécurité, la question de polygamie, font aussi partie des thèmes que nous évoquons dans nos chansons.
Vous avez tendance à arranger et perfectionner des anciennes chansons du terroir et même à inviter des anciennes cantatrices dans vos clips. Qu’est-ce-qui explique ce choix ?
Ayouba Gna : Nous avons longuement réfléchi et découvert que beaucoup de chansons traditionnelles qui véhiculent des messages pertinents d’amour, de confraternité, d’assistance mutuelle, bref de savoir vivre sont en train de disparaître. Alors nous avons pensé que dans un mode en perdition des valeurs humaines, qui caractérisaient surtout les africains, il est nécessaire sinon indispensable de rappeler ces valeurs, de les ramener à l’actualité et de le dire aux jeunes générations, pour que nous et eux, tout le monde s’en inspire pour une meilleure vie, pour un meilleur devenir.
Yac Bi : Je commencerais à répondre à cette question par cet adage qui dit : ‘‘ Ce qu’un vieillard peut apercevoir assis, un jeune, même s’il est debout ne peut le voir’’. En effet, dans plusieurs de nos clips, nous avons fait appel à la bonne dame, de son vrai nom Moumèye Harouna, dite ‘‘Tinni Gna’’ qui est une native de Karma. Elle interprète beaucoup de chansons de terroir, mais non seulement elle n’est pas connue mais en plus elle n’a pas là où se produire et véhiculer les sages et importants messages qui composent ses chansons. C’est alors que nous avons saisi l’occasion pour la contacter et la mettre en contact avec un plus grand public. Nous sollicitons son expérience culturelle pour promouvoir la culture et la musique du terroir. Elle nous a d’ailleurs confié que malgré son âge avancé, elle n’a jamais tenu dans ses mains la somme de 100.000 FCFA, lui appartenant, avant de travailler avec nous. En plus, la première Dame Dr Malika Issoufou l’a fait faire le pèlerinage à la Mecque. Après son pèlerinage elle a décidé de ne plus chanter. Elle a également reconnu que grâce à notre collaboration, non seulement elle est maintenant bien connue, mais en plus elle gagne, de temps en temps, un peu plus d’argent. Par ailleurs, nous avons aussi nos propres compositions. Parmi lesquelles je peux citer les morceaux ‘‘Bakassiney’’, ‘‘Souba Alamari’’, ‘‘Talou walé walé’’. En plus, j’ai jusqu’à 16 clips vidéo à mon actif. Je dois aussi dire que j’utilise les mélodies de certaines chansons sur la base desquelles j’écris mes textes et compose ma musique.
En plus des chansons, vous interprétez dans des films de Dandali Soyeya ; vous faites aussi de la publicité. Comment arrivez-vous à concilier tout cela ?
Ayouba Gna : En fait au Niger la musique ne nourrit pas son homme et les fruits de nos chansons non seulement ne nous parviennent pas automatiquement mais c’est aussi d’autres personnes qui en profitent. Donc tout cela combiné fait que pour vivre au jour le jour, nous sommes obligés d’entreprendre autres choses. C’est ainsi que moi je me produis dans le Dandali Soyeya, dans les publicités mais aussi j’ai un salon de coiffure. Tout ceci se fait, bien entendu avec l’accord et la bénédiction de mon mari, qui lui, s’attache surtout aux chansons. Grâce à tout ce que nous faisons comme prestations, je dois reconnaître que j’ai eu beaucoup d’avantages, je dois d’abord dire que c’est grâce à la chanson que j’ai découvert l’homme, qui est aujourd’hui mon mari, avec lequel j’ai trois enfants. J’ai pu aussi avoir un salon de coiffure, bref, je ne peux pas citer ici tous ces avantages.
Yac Bi : Je dois reconnaître avoir engrangé beaucoup d’avantages, à commencer par la célébrité, les voyages, etc. Nous avons l’habitude d’aller à Cotonou et à Bruxelles. Dans les jours à venir, nous comptons organiser une tournée aux USA. Je profite pour remercier, du fond du cœur, notre Président de la République Issoufou Mahamadou. En février passé, nous avons lancé un appel, à travers une chanson sur Niamey-Nyala, pour la mobilisation en faveur de la réussite du Sommet de l’UA que notre pays a abrité en juillet dernier. Alors, je n’oublierai jamais que le Président Issoufou Mahamadou nous a appelés et il nous a humblement dit que lui, il ne peut pas nous récompenser, seul Dieu peut le faire, pour les efforts que nous déployons, dans l’intérêt de notre pays. Il nous a vivement remercié et encouragé. Certes, nous ne sommes ni les plus anciens des artistes, encore moins les meilleurs artistes, cependant être appelé et être remercié et encouragé par un président de la République, je pense que cela donne du baume au cœur, rassure et motive surtout en tant qu’artiste. Et la leçon que je retiens de cette entrevue, c’est que seul le travail paie. Merci encore Monsieur le Président.
Quels rapports entretenez-vous avec votre Ministère de tutelle, à savoir celui de la Renaissance culturelle et le BNDA ?
Yac Bi : Dommage ! Je ne pense pas avoir bénéficié de quelque marque d’attention ou d’avantages de la part du Ministère en charge de la culture. Chaque fois que nous déposons un dossier, c’est la même réponse qu’on nous donne à savoir qu’il n’y a pas d’argent. Alors j’ai proposé à madame d’oublier cette affaire et de ne compter que sur nous mêmes au lieu d’attendre quelque chose de quelqu’un et qui ne vient jamais. Cependant, nous ne condamnons pas ce Ministère, peut-être que les besoins sont nombreux et qu’un jour notre tour arrivera. Nous lui demandons simplement et humblement d’être équitable dans le cadre de traitement des artistes nigériens. Nous n’avons jamais été appelés pour une quelconque prestation, encore moins bénéficié d’un quelconque financement. Mais nous continuons toujours à espérer, car à travers nos prestations et à notre façon, nous contribuons aussi à la renaissance culturelle, au changement de mentalité comme le souhaitent les plus hautes Autorités de notre pays. Quant au BNDA, récemment ils nous ont appelé et nous ont désintéressés pour nos droits d’auteur. Cependant, ce qu’on nous donne comme droits c’est vraiment très symbolique. Nous nous sommes plaints et le BNDA nous a expliqué comment faire pour avoir plus. Ils nous ont d’abord dit que les artistes et le BNDA doivent s’unir et travailler ensemble. En plus ils ont demandé à ce que les artistes les avertissent des concerts qu’ils organisent car, celui qui organise l’évènement, a des droits qu’il doit payer au BNDA. Personnellement je leur ai reproché de ne pas suffisamment communiquer avec nous, ce qui fait que nous ignorons certains règlements dudit bureau. Avec ce que nous gagnons, nous louons une maison à 80.000 francs CFA, par mois, dont une aile me sert de studio de musique. Il y a aussi de chaises et de bancs, de guitares et de câbles, d’une console et d’un orgue, d’un ordinateur et de postes téléviseurs. Quant à l’autre aile de la boîte, elle sert de salon de coiffure à mon épouse. J’estime que le succès ne doit pas nous monter à la tête. Je lance un appel à nos fans et autres admirateurs de la culture nigérienne, de faire des efforts pour aller soutenir leurs artistes, dans les lieux de prestations. Les billets qu’ils achètent, leur présence, leurs applaudissements, les pas de danse qu’ils exécutent, constituent un soutien vital pour les artistes, en particulier, et pour la culture du pays en général.
Interview réalisée par Mahamadou Diallo(onep)