Ils ont un sens de l’humour remarquable, une gentillesse et une amabilité qui les rendent indispensables dans le monde de la lutte traditionnelle au Niger. Leur présence dans les arènes est essentielle car ils divertissent, amusent et apaisent le public avec leurs comédies, leurs mimiques, leurs accoutrements et leur sens aigu de l’imitation des chutes. Leur participation est toujours attendue avec impatience et la 44ème édition de la lutte traditionnelle n’a pas dérogé à cette règle devenue une habitude profondément ancrée dans la lutte au Niger. Ces artistes sont communément appelés les «Tchali-tchali» ou les bouffons des arènes.
Une quarantaine de «Tchali-tchali» se sont donné rendez-vous dans le cadre de la 44ème édition de la lutte traditionnelle, qui s’est tenue du 22 au 31 décembre 2023 dans l’antre de l’arène Aboubacar Djibo d’Agadez. Chacun présentait un style unique, certains plus comiques que d’autres. Parmi eux se trouvait un petit groupe de trois bouffons, surnommé ‘’ les Trois jumeaux’’. Bien qu’ils ne soient pas réellement des jumeaux, ces trois bouffons des arènes sont devenus comme une famille à force de se côtoyer lors de nombreux évènements de lutte traditionnelle. Ils ont ainsi créé leur propre groupe, qu’ils ont baptisé ‘’les trois jumeaux ‘‘.
Il s’agit de Dan Allo Jam’iyya Jilka, originaire de Tahoua, de Zoul Deyni et Issa Bitik de Zinder. Ces bouffons se sont croisés lors de la 40ème édition du Sabre national de lutte traditionnelle à Tillabéri. Depuis lors, les trois jumeaux ont formé l’équipe très populaire des ‘’Tchali-Tchali’’ qui divertit le public. Leur particularité réside dans leur capacité à chanter tout en réalisant des pas de danse comique, suscitant l’enthousiasme du public qui les encourage fortement.
« Je m’appelle Dan Allo Jam’iyya Jilka et je suis le leader de notre groupe. Originaire de Tahoua, je réside à Konni, j’ai 26 ans et je suis marié à trois femmes. Voilà six ans que je fais du Tchali-tchali pour divertir les gens. En plus de cela, je travaille comme chauffeur de taxi moto et je vends du carburant. Les gens apprécient notre musique et nos danses traditionnelles, et nous aimons voir les gens heureux et souriants. Sans les Tchali-tchalis, la lutte traditionnelle perdrait de son aspect traditionnel et deviendrait ennuyeuse », a-t-il dit.
Dan Allo Jam’iyya Jilka est devenu bouffon d’arène parce qu’il dit avoir observé que les autorités, les supporters, les spectateurs et même les téléspectateurs deviennent mécontents et tendus lorsque leur lutteur ou leur région perd. C’est pourquoi, il a décidé de se lancer dans ce métier pour apaiser la tension des supporteurs, du public et même des lutteurs eux-mêmes. « Nous sommes un groupe de jeunes talentueux qui se distinguent par notre capacité à chanter, à danser et à imiter les gestes des lutteurs avec force, énergie et vitalité. Nos collègues bouffons plus âgés que nous, éprouvent des difficultés à imiter les mouvements des lutteurs, se contentant seulement d’imiter les lutteurs à l’issue des combats. Nous sommes ensemble depuis 4 ans, nous avons participé à de nombreux événements et nous nous unissons pour divertir et pour faire plaisir à la population nigérienne. Tout comme les lutteurs, nous voulons montrer que la lutte n’est pas juste un sport de combat, mais un symbole de paix, de cohésion sociale et de joie » a-t-il expliqué.
Le deuxième élément du trio se nomme Issa Bitik. Ce jeune célibataire a une petite boutique à Zinder. Il a accumulé 4 ans d’expérience dans le domaine et affirme que ce métier l’a toujours passionné depuis son enfance. Pour lui, la lutte traditionnelle est un symbole d’unité pour le peuple nigérien et un moyen de renforcer la cohésion sociale à travers tout le pays. « Dan Allo est le leader de notre équipe et c’est un atout majeur pour nous. Nous avons décidé de nous joindre à lui pour divertir la nation nigérienne car, il est vraiment doué. Quand il n’est pas là, ou lorsqu’il est malade, nous ressentons un grand vide, comme si nous manquions d’assister à un événement de lutte traditionnelle car, nous sommes une équipe très soudée » a-t-il déclaré.
Le troisième frère se nomme Zoul Deyni de Zinder, également connu sous les noms de Banban Koiri ou Tchali dan Aouta. Il est marié à trois femmes et a onze enfants. Avec treize ans d’expérience dans le domaine de Tchali-tchali, il est le plus ancien du trio. En dehors de la lutte traditionnelle, il gagne sa vie en vendant des téléphones portables.
« Depuis 13 ans, j’ai assisté à chaque édition sans exception de la lutte traditionnelle. J’ai rencontré Dan allo il y a 4 ans. Lorsque Dan Allo est arrivé avec son bidon de 25 litres qu’il tape pour chanter, nous ne nous connaissions pas. Il chantait seul, et nous avons réalisé à quel point il est talentueux. Il avait vraiment besoin de quelqu’un pour répondre en chœur pendant qu’il chantait. J’ai décidé de m’approcher de lui pour lui proposer de répondre à ses chansons, et il a accepté. Par la suite, Issa nous a rejoint et nous avons formé une équipe unie pour travailler ensemble dans la coordination. Notre présence aux différentes éditions semble être de plus en plus appréciée car, les gens aiment notre capacité à les faire rire. Nous avons appris cette danse d’un ancien patron, que son âme repose en paix, appelé Goundou Gouilla de Maradi. Notre danse est aimée par tout le monde ; qu’ils soient des dirigeants, des spectateurs ou des combattants, et ils manifestent leur bonheur en applaudissant et en riant. Cela se voit sur leur visage. Parfois, les gens nous prennent pour des vrais jumeaux car nous sommes si coordonnés et si organisés » a-t-il relevé.
Les trois jumeaux parviennent à subvenir à leurs besoins grâce à ce travail. Certaines personnes contactent uniquement les « trois jumeaux » pour les rémunérer financièrement ou les habiller par respect pour leur métier. Ils précisent qu’ils peuvent parfois gagner 50.000 F par jour, mais qu’il leur arrive aussi de rentrer avec seulement 10.000 F, voire même sans rien du tout. « La rentabilité de cette activité varie d’une édition à l’autre, certaines étant plus bénéfiques que d’autres sur le plan financier. Cette année, en raison des événements récents, nous nous contentons de ce que nous avons eu en espérant une amélioration d’ici la prochaine édition. Comme on dit ‘’Zantchan Kassa, Say dan Kassa ’’» a ajouté le capitaine de l’équipe. Les trois bouffons appellent tous les Nigériens à faire preuve de solidarité et expriment le souhait que la prochaine édition soit aussi émouvante et unificatrice que la 44ème édition, qui vient de se terminer.
Assad Hamadou (ONEP)