
M. Abdoul Karim Mamalo
Les litiges fonciers, la dépossession des terres et autres espaces constituent de plus en plus une préoccupation pour les populations, en milieu rural tout comme urbain, qui vivent ainsi une véritable insécurité foncière. Quels sont les facteurs qui expliquent ce phénomène ?
Le conflit foncier désigne tous les aspects d’opposition et de contestation humaine autour des ressources naturelles rurales renouvelables que sont la terre elle-même et les ressources naturelles qu’elle supporte à savoir les ressources végétales, les ressources animales et les ressources hydrauliques, toutes choses qui rendent la vie possible. Le foncier étant au centre de la vie de l’homme nigérien, le conflit foncier est donc porteur d’une conflictualité, elle-même complexe, diverse et multidimensionnelle.
On pourrait, entre autres, citer : des conflits liés à la précarité des ressources et aux compétitions dans l’accès et le contrôle de ces ressources. Ces conflits sont exaspérés par les changements climatiques, la poussée démographique, la nature des structures communautaires et familiales et la pression d’un marché de type nouveau qui banalise la fonction sacrée de la terre et la considère comme un bien matériel vulgaire. A tout cela, s’ajoute parfois l’incohérence des politiques publiques qui veulent une chose et son contraire.
Quelles sont les conséquences de l’insécurité foncière ?
On parle d’insécurité foncière au Niger lorsque, pour diverses raisons, les producteurs ruraux que sont les agriculteurs, les éleveurs, les pécheurs, les exploitants de bois ou de points d’eau ne peuvent point avoir accès de façon équitable et sécurisée au capital terre et aux ressources naturelles pour mener normalement leurs activités.
Les mécanismes juridiques et institutionnels coutumiers ainsi que ceux du droit moderne ne sont alors plus suffisamment efficaces pour faciliter et sécuriser l’accès équitable et durable de tous les usagers aux ressources.
Il s’ensuit des conflits entre usagers (conflits agricultures-agriculteurs, conflits agriculteurs-éleveurs, conflits éleveurs-éleveurs, conflits éleveurs-pêcheurs, conflits entre frères et sœurs au sein d’une même famille pour les questions d’héritage, conflits entre communautés pour l’accès aux ressources partagées du terroir …) ainsi que des conflits entre usagers et pouvoirs publics (conflits Etat-populations, conflits Collectivité-populations, conflits Chefferie traditionnelle-populations) et, depuis quelques années, une nouvelle forme de conflits Investisseurs privés-populations autochtones dans le cadre du phénomène d’accaparement des terres.
Par exemple, la croissance des villes, notamment Niamey, a entraîné une augmentation de la valeur des terrains, donnant lieu à des fraudes, des ventes illégales et des contestations de titres fonciers. Des promoteurs immobiliers et des individus influents accaparent parfois des terres au détriment des populations locales.
Quels sont les enjeux liés à la sécurisation du foncier en milieu rural ?
La conséquence immédiate de l’insécurité foncière est la désagrégation des familles, le déséquilibre de la structure agraire familiale et l’érosion de la solidarité au sein des familles et des communautés. Avec l’éclatement du tissu familial, beaucoup de ruraux perdent leurs terres et viennent grossir les rangs des chômeurs en ville en renforçant les risques d’instabilité sociale.
Une telle situation de précarité engendre les conflits fonciers, fait éclater la solidarité du tissu familial et installe le lit de l’insécurité au sein des familles, au sein des communautés rurales et même entre les communautés. C’est une question d’insécurité publique.
Ainsi, autant les conflits sont source d’insécurité, de fragilisation de la cohésion sociale et de la paix, autant la sécurisation foncière est un outil de prévention de conflits, de lutte contre la précarité en milieu rural qui promeut le renforcement de la paix et la consolidation de la cohésion sociale. C’est la sécurisation foncière qui crée les conditions pour inciter les investissements et le développement durable en matière d’agriculture et d’élevage.
Par exemple, le phénomène d’accaparement des terres est un phénomène qui est en train d’émerger comme un virus dans notre pays, avec souvent la complicité active des autorités administratives et coutumières. L’accaparement des terres agricoles et pastorales est toujours synonyme de mal gouvernance et ce sont les faibles qui en payent quotidiennement le prix. Ce fléau est à la base de la décapitalisation des pauvres paysans agriculteurs et éleveurs, qui sont victimes de la privation de leur principal facteur de production que sont la terre et les ressources naturelles qu’elle supporte.
En plus de la pression démographique qui constitue le lit de l’accaparement des terres, une décentralisation mal contrôlée a créé des communes qui font de la spéculation foncière leur principal fonds de commerce avec une urbanisation tous azimuts, anarchique et non contrôlée. L’expérience des lotissements privés à Niamey a été un véritable désastre pour ce pays.
Le troisième élément, non loin des premiers, est l’émergence d’un marché foncier avec son corollaire d’éclatement du noyau familial et l’avènement des familles nucléaires et la tendance à l’individualisme des ménages.
Donc cette tendance à la nucléarisation de la vie a une incidence énorme sur la structure agraire d’origine familiale qui, en situation normale, sécurise toute la famille et même toute la communauté. C’est pour cette raison que le morcellement intempestif des terres familiales à travers les partages successoraux fragilise les exploitations familiales et constitue un danger permanent pour la cohésion familiale et sociale. La boulimie foncière des spéculateurs est un virus social et constitue de nos jours une arme de destruction massive que les pouvoirs publics se doivent de surveiller de très près…
Qu’est-ce que prévoit le code rural en matière de réglementation sur le foncier en milieu rural ?
Le Code Rural est un vaste chantier qui s’étend à toutes les ressources naturelles rurales renouvelables, à leur préservation et à leur exploitation équitable et responsable.
Il établit un cadre juridique et crée une administration spécialisée visant à assurer une sécurisation foncière efficace pour les acteurs ruraux. Les principales dispositions incluent la reconnaissance des droits fonciers coutumiers avec la délivrance par les Commissions Foncières (CoFo) villageoises des documents officiels attestant des droits traditionnels sur les terres ainsi que les transactions foncières courantes ; la gestion décentralisée, participative et inclusive du foncier; l’implication active de la chefferie traditionnelle et des collectivités territoriales ; la protection des espaces pastoraux et leur accès équitable à tous les pasteurs ; la prévention et la résolution des conflits fonciers
En tant que spécialiste, outre ce que prévoit le code rural, quelles sont, selon vous, les bonnes pratiques pouvant contribuer à remédier aux problèmes liés à l’insécurité foncière ?
C’est grâce au Code Rural que le Niger s’est doté de son document de politique foncière nationale, un domaine où le pays excelle désormais, étant pratiquement le seul de la sous-région, voire du continent, à s’être très tôt doté d’un dispositif juridique et d’une administration foncière spécialisée qui élabore les politiques et crée les institutions chargées de la mise en œuvre de ces politiques.
Une des bonnes pratiques appliquées au Niger est que la société civile s’impose aujourd’hui comme un maillon efficace pour le contrôle citoyen de l’action publique. Utilisée sainement, elle constitue un instrument privilégié de bonne gouvernance et de l’avènement de l’Etat de droit. Elle est un partenaire privilégié des pouvoirs publics.
Par exemple, les Organisations de la Société Civile, notamment celles évoluant dans le domaine de la défense des éleveurs pasteurs, sont très actives et s’impliquent beaucoup en matière de formation citoyenne, de lecture des politiques de développement, dans le cadre de leur contribution en tant que partenaires crédibles de l’Etat non seulement en matière d’élaboration, mais aussi dans la mise en œuvre des politiques de développement.
C’est ainsi que, depuis deux décennies, la société civile et l’Etat ne se regardent point en chiens de faïence, mais sont résolus à conjuguer leurs efforts dans le cadre du seul combat qui vaille, à savoir le combat citoyen pour la promotion et le renforcement d’une citoyenneté inclusive pour le développement.
C’est comme cela qu’ensemble, la main dans la main, les pouvoirs publics et les OSC se sont accompagnés pour conduire un processus de douze ans ayant conduit à l’élaboration et l’adoption de la loi sur le pastoralisme. Et c’est parce que le monde entier nous a vus à l’œuvre, que cette loi est aujourd’hui citée au-delà de l’Afrique, comme un modèle réussi de processus citoyen. Ceci a contribué à beaucoup apaiser la tension sociale dans le monde pastoral en particulier et améliorer la nécessaire cohabitation entre l’agriculture et l’élevage.
En plus, la forte innovation dans la démarche du Code Rural réside dans la création au niveau des villages et tribus, des communes rurales et urbaines ainsi que des départements, des commissions foncières communément appelées Cofo auxquelles la loi a assigné les attributions de servir d’espaces démocratiques et inclusifs au sein desquels se retrouvent selon le niveau, les autorités administratives, coutumières et religieuses, les élus locaux, les fonctionnaires de l’Etat, les représentants des agriculteurs, des éleveurs, des pêcheurs, des femmes et des jeunes. Ces commissions foncières constituent aujourd’hui de puissants outils de gouvernance locale, de préservation des ressources naturelles, de prévention de conflits et de promotion de la paix et de la consolidation de la cohésion sociale en milieu rural.
Cependant, les litiges fonciers au Niger demeurent un problème récurrent qui menace la cohésion sociale et le développement économique. Le Code Rural est certes une excellente opportunité en matière de gouvernance foncière, cependant le processus gagnerait davantage à travers encore plus de réformes institutionnelles et juridiques essentielles pour maintenir et renforcer la paix et promouvoir la cohésion sociale dans le pays.
Propos recueillis par Rahila Tagou (ONEP)