
M. Ibrahim Abdou
M le Directeur Général, l’Ecole de Formation Judiciaire du Niger que vous dirigez est un établissement spécialisé dans la formation des acteurs de la justice. Faites nous la genèse de création de cette école.
Tout d’abord je tiens à remercier le journal Sahel Dimanche pour cette opportunité afin d’informer les nigériens au sujet de l’Ecole de Formation judiciaire du Niger(EFJN) et des activités que nous menons au quotidien. L’EFJN est un établissement public à caractère administratif créé par décret 2015-583 du 10 novembre 2015. Et conformément à l’article 5 dudit décret l’école de formation judiciaire s’est vue assigner pour mission principale la formation initiale et continue des magistrats, des greffiers, des avocats, des notaires, des huissiers de justice /commissaires-priseurs, du personnel de l’administration pénitentiaire et d’autres agents auxiliaires des services judiciaires.
L’esprit qui a guidé à la création de cette structure de formation fédérant tous les corps de métier du secteur de la justice, donc l’idée première ayant soutenu la création de cette école, c’est de faire en sorte que tous les acteurs de la justice soient formés au sein d’une même structure, puisqu’ils sont appelés à travailler ensemble. Si dès la formation, ils sont ensemble, les initiateurs de la reforme pensaient que ce serait une bonne chose. Là, il faut rappeler pour le préciser que la création d’une école de formation judiciaire est une des recommandations des états généraux de la justice qui se sont tenus à Niamey en novembre 2012. Il s’agit de former un personnel judiciaire en nombre et en qualité par des formateurs nigériens et dans le contexte nigérien. Pour faire un peu de l’histoire, il faut rappeler que par le passé, les magistrats nigériens étaient en France, puis au Burkina Faso et au Sénégal. Ce n’est qu’au début des années 2000 précisément en 2003 que la première promotion des auditeurs de justice a été formée à l’Ecole Nationale d’Administration et de la Magistrature de Niamey. Mais comme je l’ai dit, pour fédérer toutes les ressources, les hautes autorités du pays ont décidé de créer l’Ecole de Formation Judiciaire du Niger. Et cette école a pour vocation de préparer l’ensemble des acteurs à leur carrière avec pour ambition de leur offrir une formation stable, innovante, pertinente et surtout optimale par rapport aux nombreux défis que connait la justice nigérienne.
Est-ce qu’actuellement toutes les formations citées plus haut sont offertes à l’EFJN ?
Par rapport aux filières de formation, nous avons en matière de formation initiale trois sections, la section magistrature, la section greffe et la section administration pénitentiaire. S’agissant de la section magistrature, c’est une formation étalée sur deux ans, sanctionnée par le diplôme de magistrat de l’EFJN. En ce qui concerne la section greffe, nous avons trois cycles à savoir le cycle I correspondant au niveau brevet, le cycle II pour le bac et le cycle III qui correspond au niveau Master, c’est-à-dire c’est des diplômes requis pour entrer dans cette école. Mais il y a également des professionnels du ministère de Justice qui peuvent être amenés à intégrer ces différents cycles. Pour ce qui est de l’administration pénitentiaire, nous avons le niveau des surveillants, des contrôleurs et des inspecteurs de l’administration pénitentiaire qui entrent respectivement avec le brevet, le bac et le master ou la maitrise.
Mais en dehors de cette formation initiale, nous avons la formation continue de tous les acteurs judiciaires. Pour ce faire, nous avons des sessions de formation qu’on organise sous forme d’ateliers, de séminaires variant de trois à quatre jours voire une semaine. Donc, pas de longue durée compte tenu des moyens. Le plus souvent, ces sessions de formations se font grâce à l’appui des partenaires.
Sur quelles bases sont recrutées les personnes qui reçoivent la formation ?
La voie principale d’admission à l’école de formation judiciaire du Niger, c’est le concours. Le plus souvent, c’est compte tenu des besoins que l’administration judiciaire a en personnel. C’est sur cette base que le ministre de la justice lance, par arrêté, des concours d’entrée à l’EFJN. L’arrêté fixe les conditions qu’il faut remplir pour concourir mais également les conditions d’admission. Présentement, nous sommes dans le processus de recrutement des auditeurs de justice, des élèves pour la section magistrature. Nous avons clôturé le dépôt des candidatures le 5 juillet. Et le concours va se dérouler le 17 et 18 août 2024 in sha’a Allah.
Est-ce le cas également pour le personnel de l’administration pénitentiaire ?
En effet, oui. Par rapport à cette catégorie de personnel, c’est aussi par voie de concours lancé par le ministère de la justice. Tout le personnel que nous avons eu à former a intégré l’école à l’issue d’un concours. Il y a eu une reforme récemment qui reversait ce personnel au sein de la garde nationale. Ce qui fait que pour l’instant, par rapport à l’administration pénitentiaire, le processus est arrêté.
De sa création à ce jour, combien de personnes avez-vous formées dans les différentes spécialités?
Comme je l’ai dit, l’EFJN a été créée par décret en novembre 2015. La première rentrée a eu lieu en 2017. C’était la première promotion de la section magistrature. De cette date-là à ce jour, nous avons formé quatre promotions de magistrats pour un total de 147 magistrats dont deux centrafricains dont deux centrafricains. Nous avons une cinquième promotion de 55 auditeurs de justice ayant récemment prêté serment et qui sont en stage en juridiction présentement. Nous avons également formé 44 inspecteurs, 88 contrôleurs et 200 surveillants de l’administration pénitentiaire. En ce qui est de la section greffe, nous avons également formé la première promotion du cycle III constituée de 5 élèves greffiers. Pour récapituler, au total nous avons 484 agents pour toutes les sections.
Lors de la dernière prestation de serment, on a remarqué qu’il y a également un personnel militaire qui a prêté serment. Ce qui est tout de même une nouveauté. Qu’est-ce explique cela et comment ce personnel est-il recruté avant d’être formé?
Pour répondre à cette question, il faut peut-être faire un retour jusqu’en 2003 puisque nous disposons d’un tribunal militaire créé par la loi 2003-010 portant code de justice militaire de la République du Niger. Ce tribunal qui est compétent de connaitre des infractions d’ordre militaire ainsi que les infractions de toute nature commise par les militaires ou assimilés dans les établissements militaires. Il s’agit donc d’une juridiction spécialisée qui doit être animée par les acteurs du secteur d’activité. Mais il s’est avéré que depuis la création du tribunal militaire, nous n’avons pas des magistrats militaires. Ce qui fait que ce sont les magistrats de l’ordre judiciaire qui continuent à animer ces juridictions avec l’appui des militaires, mais qui n’ont pas été formés dans l’art de juger. Et c’était des mesures transitoires. De 2003 jusqu’aujourd’hui, on a continué à utiliser le transitoire. Alors suite à des discussions entre le ministère de la justice et celui de la défense nationale, il a été décidé de confier à l’EFJN des magistrats pour le compte du ministère de la défense nationale qui peuvent aller animer au fur et à mesure ce tribunal militaire mais également qui peuvent être des conseillers du point de vue juridique ou judiciaire au sein du ministère de la défense nationale. C’est cette idée qui a amené à ce que six auditeurs de justice relevant du ministère de la défense, comme vous l’avez constaté, ont prêté serment. Comment ils ont été recrutés ? Il faut d’abord retenir qu’ils sont des professionnels, des militaires en exercice ; ce sont des officiers des FAN et de la gendarmerie qui sont titulaires des maitrises ou des masters, ayant déjà leur matricule que le ministère de la défense a jugé nécessaire de mettre en position de formation pour les besoins de cette structure.
Dans vos propos vous avez indiqué que l’EFJN a vocation de former tous les acteurs de la justice, qu’en est-il des notaires, des huissiers et des avocats ?
L’idée première, c’était de fédérer, de mettre dans une même structure tous les acteurs judiciaires. Mais au fur et à mesure certains corps de métier ont fait le choix, pour des raisons diverses, de créer leur propre organisme de formation. C’est par exemple le cas des avocats qui ont, en vertu d’un règlement de l’UEMOA, mis un centre de formation. Aussi, nous avons les notaires qui ont, pour leur part, conclu avec une université de la place un partenariat ayant permis la création d’une filière de formation en master professionnel Droit Notarial. Mais pour le reste, par exemple les huissiers de justice, nous avons entamé des discussions surtout pour eux, parce que c’est l’un des secteurs où en dehors du stage, l’huissier de justice n’est pas soumis à une formation particulière. Nous avons entrepris des discussions avec la chambre et je pense que nous allons bientôt arriver à nous entendre pour qu’au moins pour certaines matières les huissiers de justice puissent être formés pour être beaucoup plus efficaces dans leur activité. Toutefois, par rapport à la formation continue, nous organisons des sessions où les notaires, les avocats, les huissiers de justice, les auxiliaires de justice, les officiers de police judiciaire se retrouvent pour débattre sur des thématiques qui nous semblent être pertinentes et utiles pour la bonne marche de la justice.
L’EFJN dispose-t-elle des moyens adéquats pour mener à bien sa mission ?
Vous avez vu les missions qui nous sont assignées. Nous disposons d’un personnel rompu à la tâche et des moyens qui nous permettent jusqu’aujourd’hui de faire face à nos obligations. Mais il est indéniable que nous avons besoin de plus de personnel et surtout de plus de ressources parce que la formation, surtout la formation de qualité coûte de plus en plus chère. Ce qui fait que nous pensons que les autorités à travers le ministère de la justice doivent allouer plus de ressources afin de permettre à l’EFJN de bien jouer son rôle d’école de référence en matière de formation judiciaire. J’ai un exemple simple à titre illustratif de ce besoin en personnel, le poste de directeur de la formation continue et celui du directeur de l’informatique, des archives et de la documentation ne sont pas encore pourvus. Il nous faut des moyens afin que nous puissions mettre l’accent sur la formation continue parce qu’il y a eu beaucoup de réformes législatives, il y a également eu l’élargissement de la carte judiciaire du Niger. Il faut de temps en temps former les acteurs pour les mettre à jour sur les tenants et aboutissants de ces réformes afin d’être au top compte tenu de l’évolution.
M le Directeur Général, l’EFJN est opérationnelle depuis sept ans, plus de 400 agents formés, ce qui est une prouesse indéniable et qui donne raison à ses initiateurs, parlez-nous des perspectives de cette école.
La première des perspectives, c’est de doter l’école d’un siège conforme, commode et adapté à sa vocation. Actuellement nous sommes dans un local de location qui n’a peut-être pas été construit pour abriter une école. Nous nous adaptons. Mais l’idéal est de construire une école sur la base des besoins en infrastructures. Nous pensons que c’est quelque chose qui est faisable puisqu’il y a déjà un terrain affecté au ministère de la Justice pour la construction de l’EFJN. Le plan architectural a été élaboré. C’est juste une question de moyens et nous pensons que les autorités nationales qui ont une volonté par rapport à la question de la souveraineté doivent savoir que la justice est un secteur de souveraineté et que c’est à nous de construire nos infrastructures, surtout judiciaires. Nous avons bon espoir que les autorités vont mettre les moyens à disposition pour construire le siège de l’EFJN. On ne dit pas que ça doit être fait tout de suite, mais ça peut faire l’objet de programmation car, tout est disponible en dehors de l’argent. Nous avons aussi comme perspective, de nous ouvrir aux structures analogues sous régionales, régionales mais aussi internationales parce qu’il ne faut jamais s’enfermer sur soi pour dire ce qu’on fait, c’est la meilleure manière. Il faut aller vers les autres et prendre les bonnes pratiques pour pouvoir améliorer ce qu’on est en train de faire. Le souci pour les autorités du Niger c’est de faire de l’EFJN une école de référence en matière de formation judiciaire. Déjà, je vous dis que nous sommes membre fondateur du réseau africain francophone de formation judiciaire, mais aussi de l’association africaine de formation judiciaire rassemblant les structures de formation judiciaire de l’Afrique francophone, lusophone, arabophone, anglophone. Et nous sommes membre du comité de pilotage de cette association. Comme perspective, nous pouvons également citer la continuation de recrutement pour la formation initiale dans toutes les sections ainsi que la programmation des sessions de formation continue.
Réalisé par Zabeirou Moussa (ONEP)