Monsieur le Représentant, demain 10 décembre sera célébrée la journée anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme(DUDH). Pouvez-vous nous éclairer sur l’importance de cette commémoration ?
C’est un moment important pour nous, pour la communauté internationale, pour tous les peuples de ce monde, et pour les Etats membres des Nations Unies de célébrer le 10 décembre. Vous savez, on revient de très loin ; au lendemain de la seconde guerre mondiale, les Etats se sont réunis et ont dit plus jamais ça ! Il faut créer les conditions pour que les peuples du monde vivent à l’abri de la peur, à l’abri du besoin en assurant l’accès à la santé, à l’éducation, au logement, à l’emploi, à l’eau, à la terre. Il ya aussi un autre objectif qui est de mettre tous les peuples du monde à l’abri de toute forme de discrimination. Tous les conflits qui naissent dans le monde, au niveau communal, au niveau départemental, régional, national, continental et même mondial, ce sont les discriminations. Il faut combattre les discriminations. C’est pour cela qu’on a eu la charte avec ses trois piliers, paix, sécurité, développement et droits de l’Homme. Et elle a été complétée par un deuxième texte fondateur : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Vous voyez entre 1945 et 1948, ça fait trois ans seulement. Donc les Etats ont dit qu’ils vont se retrouver à Paris pour mettre en place un texte fondateur de référence, qui fédère toutes les préoccupations, tous les rêves des peuples du monde, et des Etats du monde. Ce sont trente articles. Donc du coup, chaque année, depuis le 10 décembre 1948, on célèbre cette journée-là qui est une journée importante. Et toutes les constitutions du monde font référence à cette déclaration universelle des droits de l’homme ; toutes les sept (7) Constitutions du Niger, de la 1ère à la 7ème République en font référence. Donc c’est comme la mère de tous les autres textes. A partir de là, on a eu les pactes internationaux qui ont été adoptés sur les droits civils et politiques, sur les droits économiques, sociaux et culturels. C’est le point de départ. Pour le Niger cela est important. Cela est d’autant plus important que nous sommes présents au Niger en tant que Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme.
Cette commémoration sera l’occasion de faire l’état des lieux sur la situation des droits de l’homme dans le monde et dans différents pays. Quel regard jetteriez-vous sur la situation des droits de l’Homme au Niger ?
C’est une très bonne question. Mais avant de répondre à cette question, je dois dire que le Niger est un Etat victime. Des sept pays frontaliers du Niger, il ya à peine un ou deux dans lesquels il y a un semblant de stabilité. Tout le reste de ces pays sont en proie à une instabilité politique, une instabilité sécuritaire dont le Niger est victime : des incursions de bandes criminelles, des terroristes, des Djihadistes, qui agressent le Niger. Donc du coup, le Niger est aussi un pays victime sur ce plan là. Mais le Niger est aussi un pays victime de changement climatique. Les effets du changement climatique sont visibles au Niger. Le Niger n’est pas un pays pollueur ; mais le Niger subit les contrecoups de la pollution exercée par les pays du Nord. Les pollueurs sont au Nord, et les pollués, dont le Niger, sont au sud. Du coup, cela a un impact sur le mouvement migratoire. Les jeunes n’ayant plus accès à l’eau, à la terre, l’exercice des activités agropastorales est devenu plus difficile. Cela crée des mouvements de jeunes. Le Niger est également victime des flux migratoires. Le Niger est à la fois un pays d’accueil et de transit des migrants, voire de départ même des migrants. Ce sont tous ces effets conjugués qui font du Niger un pays victime. Pour analyser la situation des droits de l’homme au Niger il faut se mettre dans le contexte de ce pays. C’est-à-dire un pays victime. Après cela, il faut dire que les autorités font des efforts inlassables au quotidien pour sortir de cette condition de victime, à travers la coopération bilatérale, la coopération multilatérale. Le Niger est présent par exemple dans le G5 Sahel, à la CEDEAO, à l’Union Africaine, et dans le cadre plus large celui des Nations Unies. Donc le Niger fait des efforts pour créer les conditions de respect des droits de l’homme dans le pays. C’est pour ça qu’on a un cadre favorable. Quand vous prenez la Constitution du Niger, en son préambule, le Niger fait siens les traités internationaux, y compris les traités internationaux des droits de l’homme. Dans la Constitution du Niger vous avez les droits et devoirs du citoyen ; et ça relate tous les articles de la Déclaration Universelle des droits de l’homme. C’est important de le dire. Vous allez plus loin, vous regardez l’article 171 de la Constitution du 25 novembre 2010 qui fait référence à la supériorité des traités internationaux sur les lois nationales dès lors que ces traités sont ratifiés. Cela est important. Donc du coup ces traités internationaux y compris la Déclaration universelle des droits de l’homme font partie du droit positif du Niger qui s’applique. On a l’article 132 de la Constitution du Niger, qui crée les conditions de réception d’inconstitutionnalité que les citoyens peuvent soulever devant les Tribunaux. Cela veut dire par exemple que pour le mariage forcé des enfants, les enfants ou leurs parents peuvent porter plainte contre le Niger après avoir saisi les instances internationales des droits de l’homme, et après avoir épuisé les voies de recours internes. Le Niger a ratifié l’essentiel des textes internationaux relatifs aux droits de l’homme dans le cadre légal. Maintenant le cadre institutionnel est là. On a la Commission Nationale des Droits Humains(CNDH), on a le Médiateur de la République, on a la HALCIA. Ce cadre-là est favorable, donc le système de protection des droits de l’homme est favorable au Niger. Il y a d’autres choses qu’il faut voir. Maintenant les questions de lutte contre la corruption, les questions de lutte contre l’impunité, ça demeure. Il y a des efforts qui sont faits. Et c’est pour ça que je salue le Président de la République quand lors de la rentrée judiciaire il s’est engagé à renforcer l’indépendance de la Justice, notamment à faire en sorte qu’il n’ait plus une forte présence du politique dans les affaires judiciaires en réformant le Conseil Supérieur de la Magistrature. Ce sont là des signaux forts. Et je crois que le Niger est sur la bonne voie avec l’appui de ses partenaires internationaux notamment les Nations Unies, et principalement le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme. Je veux vous donner un autre exemple. Quand le Niger est engagé dans la lutte contre le terrorisme, nous en tant que partenaires, en tant que Haut-Commissariat aux droits de l’Homme, on accompagne le Niger pour veiller à ce que la réponse sécuritaire soit conforme aux standards internationaux des droits de l’homme. Par exemple le principe de la distinction : qui est terroriste et qui n’est pas terroriste, le principe de proportionnalité dans la riposte, le principe d’humanité ; et veiller à la protection des civils. C’est pour ça que nous accompagnons l’Etat. Il y a une volonté forte affichée au plus haut niveau de l’Etat de veiller à ce que la réponse sécuritaire soit conforme aux standards et principes internationaux des droits de l’homme, et que la protection des civils soit au cœur même de cette réponse sécuritaire. Il y a un autre élément important que je dois souligner, et le Niger est exempté en la matière. Ce que le Niger est dans une logique de coopération. C’est pour cela que je veux remercier l’Etat du Niger de nous avoir donné ce mandat là pour l’accord de siège qu’on a avec le Niger ; un mandat total, un mandat de promotion, un mandat de protection. Pour nous c’est important car le Niger crée les conditions pour qu’on puisse mieux l’accompagner, mieux le soutenir dans sa mission de promotion et de protection des droits de l’homme. C’est important de le souligner.
Monsieur le Représentant, comme vous venez d’évoquer le sujet, quel est le lien entre le respect des droits humains et l’impératif sécuritaire dans un contexte d’incessantes agressions terroristes perpétrées par des gens sans foi ni loi?
C’est un équilibre constant qu’il faut rechercher. Sans cet équilibre là on va verser dans les règlements de compte, dans les expéditions punitives. Non ! Il faut un minimum d’humanité dans cet équilibre-là entre la réponse sécuritaire forte face aux personnes sans foi ni loi, et les impératifs du respect des droits de l’homme. C’est ça qu’il faut concilier au quotidien. Nous travaillons avec l’Etat au quotidien. Nous travaillons avec les forces de défense et de sécurité. Dans le cadre du projet G5 Sahel par exemple, nous formons tous les jours les forces de défense et de sécurité du Niger et des autres pays voisins sur la nécessité de respecter cet équilibre-là. C’est un travail de longue haleine, et il faut faire preuve de sang-froid. Et je dis que les forces de défense et de sécurité nigériennes doivent être fières d’elles-mêmes en termes de respect des droits de l’homme. Elles doivent être fières du travail qui est fait dans des conditions extrêmement difficiles ; les attaques de toute part, et cette résistance. Et il faut qu’elles maintiennent le cap en respectant les droits de l’homme dans l’exercice quotidien de leur mission régalienne de protection des personnes et de leurs biens. C’est à l’Etat de leur donner les moyens logistiques pour faire ce travail là. Nous, nous leur apportons les notions des droits de l’homme. Les connaissances en matière des droits de l’homme. Chacun doit faire son travail. Nous notre rôle c’est la formation, la sensibilisation etc. Mais il faut que d’autres partenaires interviennent aussi en matière de hardway, les équipements, la logistique, pour pouvoir bien faire ce travail.
Monsieur le Représentant, au-delà de l’aspect sécuritaire, que fait le Haut-Commissariat des Nations Unies pour aider les pays dans la promotion et la protection des droits humains ?
C’est tout notre rôle ici. Je vais m’attarder sur les quatre ou cinq principales cibles. On a identifié cinq grands groupes importants. Ce sont les groupes les plus vulnérables au Niger. Le premier groupe cible pour nous, ce sont les filles, notamment tout ce qui est droit des filles ; droit à l’éducation, droit à la santé, les mettre à l’abri des mariages forcés, les mettre à l’abri des mariages précoces, à l’abri des discriminations etc. Et ça rejoint la priorité de l’Etat du Niger. Le Président de la République s’est engagé à promouvoir l’éducation des filles. Il y a aussi les migrants. Nous travaillons avec l’Etat pour sortir la question migratoire du champ purement sécuritaire et répressif pour la mettre dans le champ du développement, le champ humanitaire et le champ des droits de l’homme. Cela est important pour nous. Le troisième groupe qui nous intéresse, ce sont les personnes vivant avec un handicap. Ce sont des personnes très négligées et très oubliées. Au départ nous avons travaillé avec des personnes qui ont des handicaps visibles, des handicaps moteurs, mais aussi avec des personnes qui ont un handicap mental, handicap invisible. Ce sont des personnes cachées, qui sont marginalisées, qui sont stigmatisées. Il y a même des familles qui ne veulent pas que ces personnes-là soient visibles. On fait un travail de sensibilisation de ces personnes pour qu’elles connaissent leurs droits pour mieux les revendiquer et pour que toute la société et toute la communauté reconnaissent que ces personnes ont des droits. Et ici aussi on travaille avec les autorités étatiques qui sont pour nous comme les détenteurs d’obligations envers ces personnes en situation d’handicap mental surtout, qui doivent connaître leurs obligations pour mieux les remplir. Nous avons aussi pour cibles les forces de défense et de sécurité. C’est très important de travailler avec les FDS pour connaitre les droits de l’homme et mieux les appliquer dans l’exercice de leur fonction au quotidien. Cela aussi bien dans le rôle de la défense du territoire que dans le maintien de l’ordre. Nous avons fait ce travail à deux niveaux. Un travail de promotion ; tout ce qui est sensibilisation, formation et coopération technique. On appuie aussi le gouvernement dans le cadre du comité, le mécanisme en charge de la rédaction des rapports par exemple à rédiger les rapports à soumettre aux organes de traités que ce soit à Genève ou à New-York. Quand il y a des observations, des recommandations qui sont formulées par ces organes de traités, nous aidons l’Etat du Niger à les mettre en œuvre. Par exemple dans le cadre de notre coopération technique on est en train de finaliser un plan de mise en œuvre de toutes les recommandations, et de tous les engagements du Niger. Des recommandations issues des procédures spéciales des organes des traités, des examens périodiques universels aussi bien au niveau international onusien, qu’au niveau africain. Ça c’est la coopération technique. De l’autre côté, toujours dans la promotion, on fait la production et la vulgarisation des textes internationaux des droits de l’homme. Chose importante au Niger on a traduit la Déclaration Universelle des droits de l’homme en langue zarma et haoussa en attendant de le faire dans les autres langues du pays, pour porter le message des droits de l’homme le plus loin possible au sein des communautés, à Diffa, Zinder, Maradi, Dosso, Agadez, Tahoua ; Tillabéri. Nous voulons que le message des droits de l’homme soit porté partout. On veut une réappropriation de ce message-là. Une sorte d’encrage de ce message dans toutes les mentalités, dans tous les réflexes des populations du Niger. C’est pourquoi nous envisageons d’être présents dans toutes ces régions en ouvrant bientôt nos antennes. Et nous avons aussi le volet protection. Je profite de cette tribune qui m’est offerte pour remercier l’Etat du Niger qui nous a donné ce mandat. On a un mandat total : promotion et protection. Ce ne sont pas tous les Etats qui acceptent de donner ce mandat protection. Car quand on dit protection ça veut dire qu’on fait un travail d’observation des droits de l’homme, de monitoring, de documentation, d’enquête et surtout de publication de rapport. Le Niger a accepté cela. Pour nous, c’est important. Et on nous a donné un mandat illimité, indéterminé. Un mandat complet au sens de la résolution 48-141 de l’Assemblée Générale des Nations Unies de 1993 qui crée le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Nous sommes honorés de ce mandat, mais nous le prenons comme un moyen de dialogue politique, de dialogue direct, de dialogue constructif avec l’Etat du Niger pour améliorer la situation des droits de l’homme. On est convaincu que l’Etat du Niger est dans une logique volontariste et perfectionniste. Et nous devons l’accompagner sur cette trajectoire. C’est cela notre rôle ici. On n’est pas là pour la critique pour la critique, non ! On est dans un dialogue permanent constructif avec l’Etat du Niger. C’est pour cela que nous avons des groupes de travail avec la CNDH ; une fois par mois on se réuni pour faire le point sur la situation des droits de l’homme. On a un groupe de travail avec le Ministère de la Justice ; une fois par mois on se retrouve, en dehors même des rencontres bilatérales régulières avec le Ministre de la Justice. On a un groupe de travail avec la société civile, un autre groupe de travail avec le Corps diplomatique accrédité au Niger pour faire la situation des droits de l’homme au Niger et les informer sur ce que nous faisons. Donc pour nous, c’est un dialogue. On fait une sorte de diplomatie des droits de l’homme. On ne fait pas de la dénonciation pour la dénonciation. Et on aura notre premier rapport public qui sera publié d’ici la fin de l’année. Le Niger a compris que le respect des droits de l’homme est important pour renforcer son attractivité internationale. Les plus hautes autorités du pays en commençant par le Président de la République, font tout pour que la situation soit améliorée. Ils sont conscients qu’il ya plus de détenus en détention préventive, que le taux de surpopulation carcéral est très élevé, qu’il faut combattre la malnutrition en prison, qu’il faut réduire le nombre très élevé de personnes en attente de jugement. Nous sommes dans un travail d’accompagnement de ces autorités pour corriger ces dysfonctionnements-là. Nous sommes dans ce travail de conseil, de plaidoyer, de mobilisation de ressources pas seulement financières, mais diplomatiques et politiques pour accompagner le Niger.
Par Oumarou Moussa(onep)