Avec l’avènement et l’expansion fulgurante des pressings modernes, à Niamey on alertait sur la disparition programmée des blanchisseurs traditionnels qui faisaient partie du décor des quartiers. Un quart de siècle plus tard, les blanchisseurs traditionnels ont su s’adapter et maintenir leur rôle, voire se rendre indispensables par leur offre de services de proximité et des tarifs accessibles pour presque toutes les bourses. Et, aujourd’hui tout comme hier, les blanchisseurs traditionnels pratiquent sereinement leur métier dans les quartiers et d’autres préférant se rendre au bord du fleuve pour profiter des eaux claires du fleuve en cette période de décrue.
Sur le Pont Kennedy, premier ouvrage qui permet de relier les deux rives du fleuve Niger à Niamey, le décor donne une envie de s’attarder et de contempler l’harmonie qui se dégage des multitudes couleurs qui peignent les berges. Les blanchisseurs traditionnels font partie de ce décor et sous ce soleil de plomb où le mercure affiche plus de 42°C, ils s’affairent à nettoyer linges et habits des clients et les faire sécher en les étalant sur les berges.
Ces hommes reconnus pour leur dur labeur, leur patience légendaire et leur joie de vivre, sont en grande partie des ressortissants du Nord Mali venus au Niger pour gagner leur pain quotidien. Dès 7 heures du matin, les ‘’wanki wanki’’, comme on les appelle dans les langues nationales d’ici, investissent les bords du fleuve à Niamey pour travailler.
Il est 9 heures en ce mois caniculaire d’Avril 2024 qui tire vers sa fin. La chaleur se fait déjà ressentir sur les corps lorsque nous approchons un premier groupe de blanchisseurs traditionnels en plein travail dont certains se versaient de l’eau sur la tête pour se rafraîchir.
Hama Ousseini, la quarantaine révolue, explique que son choix de travailler au bord du fleuve n’est pas fortuit. Sans s’interrompre de travailler, il énumère la longue liste de raisons qui le poussent à quitter le confort de son quartier paisible de Banizoumbou pour les berges du fleuve Niger. Les principales raisons sont le manque de place pour sécher en toute sécurité le linge dans les quartiers, la disponibilité et la gratuité de l’eau au fleuve et la difficulté de se débarrasser des eaux usées dans la plupart des quartiers de Niamey.
Avant de se mettre au travail, Hama superpose d’abord les habits sur un plastique noir préalablement étalé sur la berge et dont le tiers de la largeur est directement en contact avec l’eau du fleuve. Muni d’une brosse en fil de nylon, il passe toute sa matinée à frotter les habits de ses clients pour les rendre propres. « Nous venons ici très tôt le matin, avant que le soleil ne se lève, pour pouvoir finir à temps. Je collecte d’abord les habits au niveau de mon local qui est au quartier avant de venir ici », confie-t-il. Après le lavage, les habits sont étalés sur la berge pour sécher jusqu’à midi sous la vigilance d’un homme âgé dont les services sont loués à cet effet.
Le repassage se fera l’après-midi du même jour et une partie de la nuit en fonction des jours. L’avantage de ce métier selon lui, c’est qu’il permet de se nourrir et prendre en charge sa famille et même de subvenir à certains besoins qui paraîtraient superflus pour certains. « C’est dans cette activité que je me suis marié. Donc pour moi, il n’y a pas un boulot plus noble que celui que j’exerce actuellement. Dieu merci ! », se réjouit-il. Un ensemble ou complet (Chemise + pantalon) est lavé à 100 FCFA et repassé pour 100 FCFA supplémentaire, soit 200 FCFA.
Cependant, malgré sa réputation, Hama dit être confronté à des problèmes. « Dans chaque activité, les problèmes ne manquent pas. Il y a des petits bandits qui viennent pour voler les habits des gens. Il y a également des gens qui viennent causer des dégâts pour fuir, et quand la police vient, on nous accuse à tort, nous qui sommes sur place. Pour éviter tout désagrément, nous avons, mes collègues et moi, sollicité les services d’un vieux pour nous assister en surveillant les habits qui sèchent. Chaque fin de mois, nous cotisons volontairement pour le payer. En dehors de ça, nous lui donnons 200 à 500FCFA pour qu’il puisse payer quelque chose », souligne-t-il.
Hama conseille à ses pairs de prendre leur destin en main. « Il n’y a pas de sot métier. Faire quelque chose qui va t’apporter un plus, est mieux que rester à ne rien faire ou à tendre la main à quelqu’un. Gagner à la sueur de son front vaut mieux que mendier ou voler. Il faut que les gens se ressaisissent pour travailler », dit-il avec conviction.
Les blanchisseurs traditionnels s’adaptent
Un tour dans les quartiers de la ville permet de mesurer la popularité des wanki-wanki. Leurs lieux de travail, des maisonnettes d’une dizaine de m2 en général, sont des points de repères pour faire le plan dans plusieurs quartiers périphériques de Niamey. Certains blanchisseurs traditionnels rallient six (6) fois par semaine les berges du fleuve Niger. Ils ne se reposent que le vendredi, jour de la grande prière pour les musulmans. Ici, le matériel de travail est rudimentaire, ne consistant qu’en un ou deux seaux et un tonneau métallique d’une contenance 200 litres coupé en deux. Un fil métallique pour étendre le linge, quelques piquets et des briques en ciment complètent la liste.
Younouss Garbay, la trentaine, qui exerce depuis 2016 est un des blanchisseurs qui ne se déplacent pas au fleuve pour laver les habits. Ils sont les plus nombreux du secteur. Dans son local situé au quartier Bobiel Moussa Garbay fait lui-même le lavage et le repassage. Il n’a pas d’assistant pour l’aider dans ses tâches. Son emploi du temps est surchargé avec l’utilisation de chaque créneau horaire possible.
Tôt le matin, le jeune trentenaire procède d’abord au lavage des habits et les met à sécher, avant d’entamer le repassage. « Le matin, de bonheur, je m’approvisionne en eau auprès de mon voisin. Une fois fini, je commence le lavage. Ce seau sert à transporter les habits lavés jusqu’au fil de fer sur lesquels ils sont séchés. Une fois les habits séchés, je les superpose les uns sur les autres, ce qui me facilitera beaucoup le repassage que je commence d’habitude vers 14h », indique-t-il.
Par jour, Moussa Garbay peut repasser plus de 60 complets. « Je fais pour les hommes et femmes, mais beaucoup plus pour les femmes que les hommes. Le blanchisseur utilise une à deux tables. La première sert à faire le repassage et la seconde pour ranger les habits repassés. Les tables sont achetées au marché ou auprès des menuisiers du quartier. Pour ce qui est du charbon, je préfère payer le sac, dont le prix varie entre 7000 à 10.000 FCFA. Tout dépend de sa disponibilité. C’est mieux que d’acheter en détail. S’agissant du prix, je lave et repasse le complet à 200 FCFA, à 100 F CFA le repassage seulement », précise ce blanchisseur.
Le métier de blanchisseur (wanki wanki) permet à ceux qui le pratiquent de gagner dignement leur vie sans tendre la main. « C’est un travail bénéfique pour moi, car c’est dans ça que je me retrouve bien. Chaque année après les récoltes, je viens à Niamey pour travailler afin de trouver quelque chose me permettant de prendre en charge ma famille qui est au pays. Comme d’habitude, quand je décide de me rendre au Mali ; il y a quelqu’un qui vient pour me relever me permettant d’aller voir ma famille. Après 9 à 10 mois, je reviens et l’autre quitte. La personne vient un mois avant mon départ pour que je l’initie dans le métier et pour que même après mon départ, il n’ait pas de problème. C’est comme ça que nous organisons notre vie », a fait savoir Younouss.
Toutefois ce blanchisseur rencontre parfois des petits soucis avec quelques-uns de ses clients. « J’ai une fois eu un problème avec une de mes clientes. Elle avait amené ses habits pour repassage seulement. Et moi, curieusement avant de commencer, j’ai remarqué que les habits sont sales, je ne peux pas les repasser. Je les ai pris et lavés avant de procéder au repassage. Pensant que je lui ai fait quelque chose de bien, pour elle, ce n’est plus le cas. Elle a voulu me convoquer. Il a fallu l’intervention de sa famille pour laisser tomber cette histoire », se désole-t-il.
Mais, dans l’ensemble, Younouss Garba se retrouve bien dans cette activité, ce d’autant qu’il ne paye pas le loyer là où il est. C’est seulement les impôts qui lui coûtent chers, soit 54.000 FCFA l’année.
Des entrepreneurs modernes investissent le secteur
A part le fleuve Niger et dans les quartiers, il y a également des entreprises modernes notamment les pressings qui occupent aujourd’hui une place de choix dans la ville de Niamey. ‘’Prestige pressing’’ est une entreprise spécialisée dans le pressing (blanchisserie, repassage, traitement du linge). L’entreprise emploie actuellement 3 employés.
‘’Prestige pressing’’ a été créée et est gérée par Adamou Mamane. Il était dans le secteur de la blanchisserie depuis des années. « Avant de créer ma propre entreprise, j’ai fait de l’apprentissage dans plusieurs pressings, et cela m’a permis de me perfectionner et d’acquérir beaucoup d’expérience. C’est partant de cela que j’ai créé ma propre entreprise », confie-t-il. Adamou Mamane a créé en 2015 sa propre entreprise dont il assure la gestion à temps plein et à travers laquelle il apporte sa touche et son expérience du domaine. « J’ai une maîtrise des aspects et des différents éléments qui entrent en compte dans la satisfaction des clients et je m’occupe du contrôle de la qualité, et aussi de l’emballage des articles », dit-il.
Pour ce qui est de la prestation, le promoteur dit qu’il lave divers types d’articles. Il s’agit selon lui des chemises, des costumes, des tenues jeunes cadres, des bazins, des boubous, des couvertures, et des couvres lits. « En ce qui concerne le prix, nous faisons les chemises à 500 FCFA, les boubous deux pièces et costumes à 1000 FCFA, à 1500 FCFA pour les boubous trois pièces, le couvre lit simple à 1000 FCFA et à 1500 FCFA celui de deux pièces », a-t-il fait savoir.
Le délai pour les clients en vue de récupérer leurs articles est de 72 heures. « Nous avons fait cela, pour éviter tout malentendu avec nos clients. Cela pourra éviter des faux rendez-vous. A notre niveau, nous faisons des prestations pour les hommes et femmes. Mais les hommes sont plus nombreux que les femmes », ajoute-t-il.
Adamou Mamane se dit satisfait de son métier, car seul le travail paye. « Chaque boulot a un avantage puisque ça te permet d’être indépendant, sans attendre quelqu’un. Si tu arrives à satisfaire certains de tes besoins, tu ne peux que remercier le bon Dieu », se réjouit-t-il.
Farida Ibrahim Assoumane (ONEP)