La mobilisation et la forte participation des femmes aux élections municipales, législatives et présidentielles au Niger a surpris plus d’un observateur. Pour cause, dans notre pays, pendant longtemps, les femmes se sont contentées de chanter, de danser, de haranguer des troupes et d’aller voter massivement pour faire élire tel ou tel candidat. Contre toute attente cette fois ci, beaucoup ont décidé de se battre pour elles même sur le terrain politique. Un terrain qu’elles connaissent rude, mais l’Ong Femmes, Actions et Développement (FAD) a décidé de les accompagner. Sa coordinatrice, Mme Idé Sadou Nafissa explique pourquoi son organisation s’est intéressée à la formation politique des femmes et estime que les résultats des élections ont répondu d’une certaine manière à leurs attentes.
Mme la Coordinatrice, votre Ong a joué un rôle important dans la formation politique des femmes avant le premier tour des élections présidentielle et législatives au Niger. Qu’est ce qui a amené votre organisation à s’intéresser à la formation politique des femmes ?
Permettez-moi d’abord de vous remercier et de vous féliciter pour la qualité du travail de votre journal. Pour répondre à votre question, l’ONG FAD a pour mission d’éduquer, soutenir et renforcer les capacités des femmes nigériennes afin d’en faire des véritables actrices de développement durable. Pour cela, elle intervient à travers 6 volets dont celui de la gouvernance.
C’est au titre de ce volet que nous nous sommes intéressées à l’accompagnement des femmes politiques pour pallier leur quasi absence dans la sphère décisionnelle. En effet à l’occasion des élections présidentielles et législatives de 2016 nous avons constaté que les femmes étaient plus mobilisées pour voter que pour porter leurs propres candidatures. Afin de changer cette donne, nous avons initié nos premières activités dans ce domaine, qui ont consisté en la sensibilisation des femmes afin qu’elles s’intéressent aux affaires politiques et intègrent les partis politiques et occuper des postes stratégiques en leur sein. Ensuite, nous avons entamer le renforcement de leurs capacités afin qu’elles comprennent les enjeux politiques mais aussi se préparent pour les élections de 2020 au Niger. C’est ainsi que depuis 2016 nous avons formé plus de 2000 femmes politiquement engagées avec des réelles ambitions, sur diverses thématiques telles que la bonne gouvernance, le processus électoral, le leadership politique, la communication, la mobilisation de ressources etc.
On connait aujourd’hui les résultats de ces élections. Est-ce qu’ils ont répondu à vos attentes et à celles des femmes, d’une manière générale ?
Notre première attente était celle de la candidature massive et volontaire des femmes, ce qui permettrait de démontrer une réelle prise de conscience de leur part, car autrefois elles préféraient se contenter de soutenir les candidatures masculines. Cette année, ça a été différent, plusieurs partis ont dépassé le taux recommandé par la loi sur le quota et cela se justifie par l’engouement des femmes à porter leurs candidatures donc oui ces élections ont répondu d’une certaine manière à nos attentes.
Compte tenu des enjeux du processus électoral de cette année, nous étions conscientes que les élections ne seraient pas très faciles, nous ne sommes donc pas très surprises des résultats, qui nous servent d’ailleurs de source de motivation pour continuer le travail que nous faisons avec les femmes. Nous sommes convaincues d’être sur la bonne lancée : plus les femmes s’intéresseront à la gestion des affaires publiques plus elles s’investiront et plus elles auront des chances de gagner aux futures échéances électorales.
Au Niger, les femmes sont au premier rang dans la mobilisation au sein des formations politiques. Mais dans la désignation pour les postes afin de gérer le pays, elles sont au dernier rang ? Comment expliquez- vous cela ?
Cela s’explique principalement par la persistance des stéréotypes sociaux. Jusque-là dans la conception générale nigérienne, les femmes sont considérées comme des êtres ne pouvant pas gérer efficacement de postes publics et cet avis est partagé par certaines femmes également. Pour cela, beaucoup de leaders politiques ne sont pas confortables à l’idée de nommer des femmes à des postes clés mais également beaucoup de femmes déclinent lorsqu’on leur propose ces postes parce qu’elles manquent de confiance en elles. C’est là ou intervient notre travail, au-delà de la formation des femmes afin d’accroitre leur confiance personnelle et leurs capacités, nous essayons d’influencer sur les leaders politiques à travers le plaidoyer afin qu’ils accordent plus de chance aux femmes et tiennent compte de leur mérite pour les promouvoir à des postes de responsabilité.
Quelles sont, selon vous, les contraintes réelles des femmes en politique et précisément au sein des partis politiques au Niger ?
Les contraintes réelles des femmes en politique peuvent se résumer selon les points suivants : le manque de ressources financières (pour faire la politique dans ce pays, il faut avoir suffisamment de moyens pour satisfaire les demandes des militants), le manque de solidarité féminine ( les femmes représentent plus de la moitié de l’électorat mais elles préfèrent soutenir les candidatures masculines parce que d’une part celles-ci ont les moyens pour les soudoyer pendant la période des élections et de l’autre elles ont plus confiance aux capacités de gestion des hommes que celles des femmes) et le manque de soutien de la famille et des proches
(beaucoup de conjoints ou de proches sont hostiles à l’idée de voir leurs femmes devenir des acteurs publics).
Au sein des partis politiques, elles souffrent davantage du comportement misogyne des hommes qui jusque-là méprisent les aptitudes physiques et intellectuelles de la femme à bien gérer et préfèrent lui confier des rôles secondaires telle que la mobilisation ou l’organisation.
Avez-vous comme l’impression qu’à l’issue des résultats des dernières élections, les femmes sont découragées de la politique au Niger ?
Pour ce qui est des femmes que nous accompagnons, nous les trouvons davantage motivées car ces elections ont surtout été pleines d’enseignements. Elles nous ont rassurées de leur engagement à mieux préparer leurs prochaines candidatures et à se porter à nouveau candidates.
Pourquoi cet intérêt pour la politique, alors que les femmes qui comptent beaucoup parmi les pauvres au Niger, ont également beaucoup d’autres soucis dans les domaines de la santé, de la scolarisation… ?
Plus haut j’indiquais que notre organisation fait la promotion des femmes dans tous les secteurs de développement à travers 6 volets. Au-delà de la gouvernance, nous intervenons également dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’autonomisation. Nous menons d’ailleurs davantage d’actions dans le domaine de l’éducation que celui de la gouvernance car nous sommes convaincus qu’aucun développement durable ne sera possible tant que les femmes et filles ne seront pas éduquées.
Cependant nous sommes également convaincus que pour atteindre un développement véritable des femmes il faudrait qu’il y’ait des lois et politiques en leur faveur et nous y parviendrons plus rapidement si les femmes sont au sein des instances dirigeantes de l’Etat auxquelles on accède généralement par la politique.
Quelles sont vos perspectives dans le cadre de l’accompagnement des femmes dans les compétions électorales ?
Nous comptons accompagner les femmes nouvellement élues dans leurs rôles afin de les amener à exercer une gestion efficace et à proposer des politiques en faveur des femmes. Nous comptons également accompagner celles non élues et les nouvelles recrues politiques afin de renforcer la présence féminine dans la sphère politique. Nous allons aussi continuer les sensibilisations pour le changement de comportement et de mentalité afin que la société dans sa globalité croit, facilite et accompagne les femmes et les filles à jouir de leur droit.
Réalisée Par Fatouma Idé(onep)