La parenté à plaisanterie est une pratique séculaire qui concerne une dizaine de groupes ethniques du Niger. Depuis la nuit des temps, elle est restée et demeure encore un mécanisme endogène de promotion de la cohésion sociale, de paix, de brassage culturel qui contribue bien souvent à désamorcer ou régler des conflits et des crises susceptibles de menacer la stabilité et l’entente entre les citoyens. La parenté à plaisanterie se présente sous diverses formes touchant à des liens comme celui de sang, de la profession et de l’histoire commune ou même de la confession religieuse.
La parenté à plaisanterie est une valeur que nos ancêtres nous ont léguée depuis bien longtemps. Elle a plusieurs dimensions notamment familiales (le cousinage qui tire son fondement dans le lien de sang entre les enfants des frères et des sœurs) et la dimension intracommunautaire et intercommunautaire qui met en relation des communautés entre elles. A titre illustratif, au sein de la communauté Haoussa, les Gobirawa et Katsinawa, les Gobirawa et Daourawa, les Adérawa et les arawa sont respectivement des cousins. Dans la communauté Zarma-sonrai où les Sonraï et les Zarma sont cousins entre eux. La liste n’est pas exhaustive.
En ce qui concerne la dimension intercommunautaire de la parenté à plaisanterie (entre les communautés ethnolinguistiques, l’on constate que des communautés ethnolinguistiques différentes entretiennent ce lien «sacré» à l’instar ceux existant entre les peulh, les Kanuri et les Arawa ; entre les touareg, les zarma-sonrai, les gobirawa et les gourmantché, ou encore entre les kanuri et les gourmantché etc. Il y a également la dimension professionnelle qui entre en ligne de compte dans la parenté à plaisanterie. A travers elle certains corps de métier ont tendance à plaisanter entre eux, à s’estimer mutuellement cousins à l’image des bouchers et des éleveurs, les marabouts et les chasseurs, les forgerons et les cordonniers etc. A ce niveau, il importe de souligner que cette forme de parenté se présente parfois différemment, selon les communautés.
La dimension confessionnelle de cette pratique est observée dans certaines localités à l’exemple des animistes et des marabouts. Chacun en fonction de la religion a tendance, dans la quête de l’harmonie, de la symbiose entre les communautés, à jouer et à plaisanter avec son prochain de l’autre bord. Il y a d’autres raisons qui, dans l’histoire, expliquent cette relation de cousinage. C’est la dimension historique. Par exemple les relations d’échanges commerciaux qui ont fait que les gens ont sympathisé et ont entretenu des relations exemplaires, il y a des relations qui sont nées de ce qu’on peut appeler des alliances à l’époque où existaient des empires et royaumes. Les aïeux ont tissé des pactes de non-agression permanente avec les communautés voisines. Et quand il y a des petits conflits qui surgissent et pour mettre fin à ces conflits nos ancêtres ont imaginé la formule qui consiste à sceller un pacte qui fait des administrés desdits royaumes ou empires des parents à plaisanterie. C’est surtout à travers les actes ou liens sacrés des mariages intercommunautaires.
La richesse de la culture est à l’origine de tout. «Ce que nous sommes en tant que Nigériens, nous le sommes normalement par le biais de notre culture. Si nous sommes bons, c’est de notre culture que cela s’est développé et vice-versa. Elle est notre identité, tout ce que nous avons hérité de nos ancêtres continue à nous suivre. Même si on a tendance à abandonner certaines valeurs culturelles, ça continue à nous suivre, dans certaines de nos pratiques au quotidien. C’est toujours en lien avec notre culture que nous agissons, que nous posons des actes. Même avec la modernité qui nous vient d’ailleurs, il y a toujours un élément de notre culture qui revient et qui fait en sorte que nous ne pouvons pas paraitre à 100% comme un occidental quelconque», a expliqué M. Madougou Barao, Enseignant Chercheur et Doyen de la Faculté des Sciences de l’Education à l’Université André Salifou de Zinder, qui mène des recherches dans les domaines de la Culture, surtout sur la question de la parenté à plaisanterie.
Du point de vue social, cette pratique permet de décanter l’atmosphère dans les relations humaines (entre les individus et entre les communautés). Aujourd’hui, il n’est pas rare de constater que dans la pratique, dans notre vie quotidienne, quand il y a un problème entre deux individus appartenant à deux communautés différentes, il suffit qu’une troisième personne vienne et décante la situation en se servant souvent de la parenté à plaisanterie. «L’accalmie qu’on a au Niger est donc liée à cette valeur culturelle. On est un peuple qui est tellement soudé à travers cette pratique», estime ce chercheur.
Sur le territoire nigérien presque chacun ou chaque communauté a au moins un parent à plaisanterie. «Il est clair que le problème intercommunautaire ne peut pas se reproduire au Niger car, cette pratique fait de nous des frères. Elle tire son fondement de la pratique du cousinage à plaisanterie au niveau familiale, qui unit les frères et sœurs issus de mêmes grands parents», a insisté M. Madougou Barao. Aussi, les communautés nigériennes sont ouvertes les unes envers les autres parce qu’aujourd’hui il y a les liens de mariage entre pratiquement toutes les communautés. Cet héritage est quelque chose qu’il faut conserver. Cependant, a déploré M. Madougou Barao, «au regard de la réalité ambiante de ce qui se passe actuellement, il y a toute une génération de Nigériens qui, peut-être, joue le jeu de la parenté à plaisanterie sans savoir pourquoi, de telle sorte qu’ils ont tendance à banaliser cela et avec le temps on risque de perdre cette valeur. Il est donc nécessaire de prendre cette valeur en compte dans le système éducatif nigérien en vue de la préserver».
Aïchatou Hamma Wakasso (ONEP)