
En Afrique, l’infection par le Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH) et le Syndrome d’Immunodéficience Acquise (SIDA) sont des causes importantes de mortalité et de morbidité chez le nourrisson et l’enfant. Selon les données de ONUSIDA, 160.000 enfants ont été contaminés par le VIH dans le monde en 2021. 15 % des décès du sida touchent des enfants, alors qu’ils ne représentent que 4 % des personnes vivant avec le VIH. L’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) recommande que tous les enfants exposés au VIH soient dépistés et que ceux dont l’infection au VIH a été diagnostiquée commencent immédiatement un traitement antirétroviral (ARV).
Cependant, le VIH pédiatrique demeure une maladie négligée. Le marché des médicaments ARV pédiatriques reste très modeste. Or, l’amélioration de l’accès au diagnostic et au traitement précoce des enfants vivant avec le VIH est une priorité urgente de santé publique. Au Niger, la situation n’en demeure pas moins alarmante.

D’après Dr. Mahamane Ousmane, pédiatre, Médecin-Chef des urgences pédiatriques de l’Hôpital National de Niamey, par ailleurs médecin prescripteur ARV, la prise en charge du SIDA pédiatrique au Niger est confrontée à d’énormes difficultés. Cependant, avant de se prononcer sur la prise en charge et ses difficultés, ce dernier a, en amont rappelé le processus de diagnostic du VIH pédiatrique.
Le diagnostic se base sur les tests de dépistages du VIH dans le sang
Selon ce spécialiste, il y a ce qu’on appelle ‘’les signes cliniques’’ comme le ralentissement de la croissance, une hypertrophie des ganglions lymphatiques touchant plusieurs régions du corps, un retard de développement, des infections bactériennes et une inflammation des poumons qui peuvent alerter et inciter à une demande du test de dépistage. Et indépendamment des signes cliniques, a-t-il fait savoir, il suffit que l’enfant soit né d’une mère atteinte du VIH car en pédiatrie la voix de la contamination royale c’est surtout la transmission mère-enfant. Une fois ces signes détectés, il est proposé à la mère un test de dépistage.
« Si la mère accepte qu’on dépiste l’enfant, on fait la sérologie comme chez l’adulte. Si cette dernière revient positive ça ne veut pas forcément dire que ce sont les anticorps de l’enfant, il se peut que ce soit des anticorps que l’enfant a hérité de sa mère mais, c’est déjà une piste », a-t-il expliqué. « Si c’est un enfant qui a moins de 18 mois et que le résultat de la sérologie revient positif on n’en reste pas là. La PCR (protein child réaction) va détecter les fragments génétiques du VIH (l’ADN du VIH). Si cette dernière est positive alors cela veut dire que c’est l’enfant qui est infecté », a expliqué
Dr. Mahaman Ousmane précise qu’on ne se base pas sur une seule PCR. Après la première, une seconde est demandée ; celle de confirmation. « Ce sont là, a-t-il dit, les moyens qui permettent de dépister le VIH chez l’enfant ».
Pour ce qui est de la prise en charge en tant que telle, a-t-il poursuivi, elle se fait selon deux volets maintenant : pour les nourrissons exposés et pour les enfants infectés. Les enfants exposés sont, selon le spécialiste, les enfants nés de mères séropositives et dont jusqu’à preuve du contraire, on n’a pas encore leur statut. « C’est toute une stratégie qu’on met en place en partant du suivi de la mère bien avant l’accouchement. Et cela, en ramenant la charge virale de la mère à un taux très bas. Si la charge virale de la mère est à un taux pratiquement indétectable, c’est un facteur qui peut contribuer à minimiser l’infection de l’enfant. Cependant, une fois que cette mère accouche, elle va continuer son traitement ARV mais l’enfant qui vient de naître, lui aussi sera sous traitement préventif ARV (formule sirop) », a expliqué DR. Mahaman Ousmane.
Et le traitement, a-t-il fait savoir, est administré en fonction du poids de l’enfant qui va le prendre pendant douze (12) semaines. Pourquoi 12 semaines ? parceque, a-t-il justifié, « si on suit l’algorithme de la prévention du VIH chez le nouveau-né, de l’OMS, il y a deux catégories de nouveau-nés ». Il y a celui à faible risque de transmission (nouveaux nés de mère séropositive qui a un traitement ARV efficace et qui, jusqu’à l’accouchement, a une charge virale indétectable), il doit être sous traitement pendant six (6) semaines seulement. Maintenant les nouveaux nés qui sont à haut risque de transmission ; nés de mère séropositive qui n’était pas sous traitement ARV et qui a été dépisté lors de son accouchement. Ces nouveaux nés vont prendre le traitement pendant 12 semaines. « Mais au Niger nous avons arrêté dans la mesure où on n’a pas une maitrise parfaite de la charge virale. Il y a des difficultés par rapport à cela tantôt les réactifs sont disponibles, tantôt ils sont en rupture. Pour tous ces facteurs par rapport à la politique de la prévention du VIH chez le nouveau-né au Niger, il a été décidé par le projet scientifique que tous les nouveaux-nés de mères séropositives doivent être sous traitement préventif ARV pendant 12 semaines », a-t-il indiqué.

Pour ce qui est des enfants infectés, le spécialiste nous apprend qu’ils sont mis sous traitement ARV ; une trithérapie. C’est -à-dire, que c’est un traitement qui est composé de trois molécules prises en même temps et qui se donnent en fonction du poids de l’enfant.
Dans le cadre de la prise en charge du VIH pédiatrique, il faut préciser qu’il y a l’aspect médical, l’aspect psycho-social et l’aspect éducation thérapeutique. En effet, la maladie chronique exige qu’on mette en place une équipe pluridisciplinaire composée de médecin, de pédiatre, de nutritionniste, de psychologue…
Accompagnement psycho-social des enfants infectés par le VIH
M. Marou Amadou, psychologue clinicien, Diplômé inter-universitaire en prise en charge des patients vivant avec le VIH en Afrique subsaharienne donne un aperçu de l’accompagnement psycho-social des enfants infectés par le VIH. « L’infection à VIH ne se fait pas sans impacter l’aspect mental. Dans ce sens, nous avons mis en place une approche qu’on appelle le processus d’annonce et qui dit processus parle d’étapes. On n’annonce pas le statut sérologique d’emblée à l’enfant », a déclaré le psychologue. En effet, il y a des lignes directrices au niveau de beaucoup de pays qui ont réuni les experts pour pouvoir travailler et donner une moyenne d’âge à laquelle il faut annoncer le statut sérologique à l’enfant. Toutefois pour Dr. Marou, il faut tout simplement tenir compte de l’aspect développement mental, cognitif, émotionnel chez l’enfant. « Tenir compte de l’enfant, de ce qui l’accompagne ; son environnement social il faut vraiment tenir compte de la maturité de cet enfant », a-t-il insisté. Ainsi, il faut créer les conditions nécessaires, mettre l’enfant en confiance et être très diplomatique avec ce dernier en tenant toujours compte de ce qu’il peut comprendre.

On note qu’il y a trois étapes au niveau de l’annonce ; l’avant- annonce, l’annonce en tant que telle et l’après annonce. « Quand vous annoncez, il y en a qui sont dépressifs, dans l’hébétement qui ne se retrouve pas, c’est pourquoi, il faut se préparer pour l’après annonce parce qu’il peut y avoir des réactions et ce sont ces réactions qu’il va falloir gérer. Il y en a qui peuvent même rentrer dans la dépression », a-t- il expliqué.
Outre ces étapes, le psychologue a précisé que cette annonce peut être partielle, totale ou accidentelle. La dernière, selon lui, est la plus dangereuse. « Il nous arrive de parler sans tenir compte de la présence de l’enfant. Un enfant qui est à côté il sait qu’il y a un problème pour lequel on l’amène. S’il vous entend parler de son statut c’est vraiment accidentel. Un conflit peut s’enclencher entre les parents devant l’enfant, l’un par agressivité ou méchanceté insulte l’autre de son infection, l’enfant apprend, c’est vraiment par accident », a-t-il justifié.

Par rapport à l’annonce, le psychologue a affirmé qu’il a également été mis en place un système de sensibilisation des parents pour leur montrer toute l’importance de cette annonce. « C’est un mécanisme mis en place pour que tous les parents puissent connaitre l’enjeu. Et jusqu’à ce niveau on n’a pas de parents réticents par rapport à cette annonce parce qu’ils en perçoivent toute l’importance. Toutefois les choses ne sont pas très faciles pour nous et pour eux. Pour les soignants, il est beaucoup plus simple de parler d’autres choses, il est extrêmement difficile de parler de quelque chose de plus grave qui peut choquer un patient. C’est pourquoi, il faut renforcer les capacités des soignant dans cet aspect précis » dit-il.
Il ajoute, lorsqu’on n’a pas eu trop de difficulté par rapport à l’annonce, il est plus facile de gérer l’après annonce. « Il y a ce qu’on appelle la transition en médecine adulte. Dès que l’enfant a suivi tout le processus jusqu’au bout après quelques mois on remarque qu’il n’y a pas trop de problème pour qu’il puisse être au niveau de la médecine adulte », explique le psychologue, précisant qu’il y a toujours des problèmes quand les gens viennent en consultation. Il y a toujours difficultés lorsqu’on évoque des problèmes familiaux, économiques.
Des difficultés qui entravent la prise en charge des malades
D’après Dr. Mahaman Ousmane, des difficultés relatives à la rupture de réactifs pour certains examens, et le déficit en appui financier entravent l’efficacité de cette prise en charge. Illustrant ses propos, il évoque le cas de certains examens qui ne rentrent pas dans le cadre de la gratuité de la prise en charge du VIH. « Un enfant qui a plus de 5 ans forcément il faut que les parents payent pour ses examens. Par exemple si l’enfant doit bénéficier d’une échographie ou d’une radiographie du thorax ou faire une consultation spécialisée il faut payer », a déploré le pédiatre. Selon lui, c’est un aspect sur lequel l’Etat doit réfléchir afin de faciliter la prise en charge de façon intégrale à toutes les personnes vivant avec le VIH. « Déjà ce sont des personnes qui sont très vulnérables, adultes comme enfants, et la plupart des parents sont en situation précaire. S’il n’y a pas un appui pour les accompagner afin d’assurer un meilleur suivi à leurs enfants ce serait pénible pour eux », a-t-il dit.
Une autre difficulté relevée par Dr. Mahaman Ousmane est celle en lien avec le centre. « Il nous arrive d’avoir une rupture en molécule soit au niveau de notre pharmacie ou au niveau national. Il nous arrive même d’être des fois en rupture d’ordonnancier ou de dossier », a-t-il confié. Dr. Mahaman Ousmane estime que l’Etat doit avoir une main mise dans la prise en charge du VIH pédiatrique en l’insérant dans le budget national afin de contrer les problèmes de ruptures et d’autres failles dans la prise en charge.
Dr. Marou d’affirmer que c’est vraiment un cri de cœur. Les enfants en Afrique et au Niger en particulier, par rapport à la prise en charge, sont délaissés. « Souvent les traitements ne sont pas adaptés, on est obligé de donner les molécules adultes aux enfants. Pour ce faire, il faut casser le comprimé et quand ça devient casser vous perdez. On a aussi besoin d’une organisation pour qu’on puisse former ceux qui ont eu l’annonce pour qu’ils deviennent des pères éducateurs. C’est extrêmement important, ils vont beaucoup travailler en médecine adulte avec les autres adolescents », a estimé Dr. Marou.
On se rappelle qu’en 2011, ONUSIDA, avec ses partenaires, a lancé un nouveau plan mondial pour éliminer les nouvelles infections à VIH chez les enfants d’ici 2015 et maintenir leurs mères en vie. Il est grand temps que l’Etat s’implique dans la prise en charge du SIDA pédiatrique au Niger et fasse de l’élimination des nouvelles infections à VIH chez les enfants l’une de ses priorités. Car, lorsque les enfants ont accès au traitement, ils se rétablissent bien et peuvent vivre une vie normale, en bonne santé et heureuse, tout comme n’importe quel autre enfant. Les efforts visant à normaliser la prise en charge du VIH et à faire en sorte que les adultes et les enfants disposent d’informations précises sur le virus sont essentiels.

Le centre de prise en charge du Sida pédiatrique de l’Hôpital National de Niamey a enregistré dans la file active des consultations, c’est-à-dire les enfants qui viennent régulièrement en consultation, 132 enfants dont 91 adolescents sous ARV dont l’âge est supérieur ou égal à 10 ans ; 41 autres enfants sont sous traitement ARV dont l’âge est inférieur à 10 ans. 84 adolescents (dont 9 adolescents en 2023) ont été transférés dans le cadre de la transition en service de médecine adulte, d’autres au Centre de Dépistage Anonyme et Volontaire (CEDAV) et cela avec l’avis de l’enfant ou des parents. Par ailleurs, le nombre de décès enregistré est de trois adolescents.
Rahila Tagou (ONEP)