Le Niger se trouve confronter à un sérieux problème de dégradation de son potentiel productif. Cette dégradation des écosystèmes est principalement due à des facteurs anthropiques (déforestation, surpâturage, surexploitation des ressources naturelles, etc.) et climatiques. En effet, les problèmes de dégradation des terres se posaient bien avant l’indépendance.
La situation a été aggravée par les sécheresses répétitives intervenues entre 1639 et 1643, entre 1738 et 1756, en 1913, 1972-1973, 1984-1985 et 2009 à la suite desquelles, de nombreuses espèces ligneuses et herbacées aux usages multiples (bois de feu ou de service, alimentation humaine ou animale, pharmacopée…) ont disparu, engendrant par ailleurs une érosion de la diversité biologique végétale. De nos jours encore, de nombreuses espèces sont menacées de disparition. Les conséquences écologiques, économiques et sociales de cette dégradation sont dramatiques avec des pertes souvent difficilement réparables et des coûts de restauration extrêmement élevés pour le pays, les communautés villageoises et les ménages.
En réponses à ces contraintes, plusieurs types d’actions de restaurations des bases productives dont le reboisement sont en train d’être menées sur le terrain, à travers le financement de l’Etat, des collectivités territoriales, des ONG, des projets et programmes de développement.
Cependant, malgré l’importance et l’ampleur de ces actions de reboisement, les techniciens du terrain sont le plus souvent confrontés à des difficultés notamment en matière de collecte et d’approvisionnement en semences forestières viables. Il faut noter que celles-ci constituent le reflet des futurs arbres à produire et à exploiter. Or, pour une efficacité des interventions, il y a lieu de faire le bon choix quant aux espèces végétales à utiliser. Ce bon choix s’opère d’abord à travers la sélection de la meilleure semence.
1. Bref rappel sur la restauration des terres dégradées au Niger
Suite aux sécheresses répétitives dans le Sahel, plusieurs études sur l’environnement établissaient un lien solide entre sécheresse – dégradation des ressources naturelles – crise d’énergie en bois – démographie – famine et pauvreté.
Elles préconisaient aussi la plantation d’arbres comme la meilleure alternative face cette catastrophe naturelle et ses conséquences.
Ainsi, conscient que la dégradation des sols, la disparition progressive de la végétation et la détérioration de la biodiversité en particulier végétale vont compromettre la durabilité des productions agricoles et hypothéquer une sécurité alimentaire déjà précaire, le Niger s’est engagé dans un vaste programme de gestion durable des terres, des forêts et des eaux pour pallier à la situation.
Même si les producteurs ruraux pratiquaient déjà le branchage sur les parties dénudées de leurs champs, nous retenons qu’historiquement, les premières actions en matière de CES/DRS au Niger ont commencé autour des années 1960 avec les interventions du CTFT/ORSTOM dans le département de Tahoua (actuelle région de Tahoua). Les ouvrages mécaniques les plus utilisés dans le cadre de la récupération des terres de nos jours sont les demi-lunes, les cordons pierreux, les banquettes et les zai.
Cependant, suite à des réflexions d’amélioration, il est apparu la nécessité de combiner à ces techniques mécaniques, la plantation des arbres en lien avec les conditions édaphiques et écologiques de chaque site. Plus tard, en plus des espèces ligneuses, l’introduction des espèces herbacées a été préconisée pour prendre en compte le caractère pionnier de celles-ci dans le revégétalisation des espaces mais aussi la dimension pastorale dans les besoins immédiats des bénéficiaires des opérations.
2. Choix des espèces végétales à utiliser pour la restauration des écosystèmes dégradés
Le choix de l’espèce végétale pour renforcer l’ouvrage mécanique dépend de la fonction (agricole, pastorale, sylvo-pastorale, sylvicole, etc…) que l’on veut faire jouer au site restauré. A chaque vocation, correspond une gamme d’espèces appropriées dans laquelle le promoteur procède à son choix.
Dans tous les cas de figure, la prise de décision sur le choix des espèces d’arbres ou herbacées est basée à la fois sur les aspects écologique, économique, social et culturel
Ecologique : le choix de l’espèce se base sur : i) la qualité phénotypique des semenciers (naturels ou artificiels) en termes de croissance, forme, rendement, résistance, ii) références historiques autrement dit retenir les espèces ayant existé sur le site ou qui y vivent encore, iii) aptitude particulière en se basant sur des espèces ayant une aptitude à se multiplier plus ou moins fortement par semis ou voie végétative. En conclusion, choisir des espèces qui s’adaptent aux conditions spécifiques du site d’accueil, pouvant répondre à la vocation retenue pour le site après restauration et répondre aux besoins des bénéficiaires.
Economique : i) le technicien doit maitriser l’aire de répartition et la phénologie des espèces ainsi que la facilité à leur accès afin de minimiser les coûts liés à la collecte des semences ; ii) Il doit privilégier également les espèces locales ne nécessitant pas de commandes hors du pays. En conclusion, retenir des espèces préférées, d’accès facile dont les semences se conservent plus longtemps.
Social : Il faut tenir compte des besoins sociaux-économiques des bénéficiaires des sites restaurés (espèces alimentaires, fourragères, pharmacopée, production de bois…),
Culturel : qu’elles soient ligneuses ou herbacées, les populations bénéficiaires, en plus des aspects socio-économiques, ont des préférences pour certaines espèces pour leur qualité esthétiques ou pour des utilisations diverses de divertissement ou pour l’artisanat etc…
3. Identification des sources de semences adaptées aux écosystèmes à restaurer
L’identification des sources de semences se base sur les renseignements à collecter, à vérifier et à valider. Ces renseignements peuvent être obtenus de plusieurs façons notamment :
A travers la documentation disponible sur le sujet, l’expérience personnelle ou collective, l’expérience des personnes ressources et l’expérience des populations bénéficiaires dans une zone donnée ;
Sources de semences évoluant dans la même zone agro-écologique,que le site d’accueil. Là, il peut être obtenu des semences à partir d’une zone présentant les mêmes conditions éco-climatiques que le site d’accueil;
La connaissance de la biologie des espèces et leurs besoins en termes de sol, eau et résilience en lien avec les conditions du site d’accueil. C’est la possibilité pour le technicien de collecter lui-même ces semences en fonction du site qu’il souhaite restaurer ;
L’acquisition auprès des structures appropriées en matière de production et diffusion de semences. Cette option est valable pour l’opérateur qui veut restaurer un paysage dont il connait bien les conditions. Et à ce titre, il désire s’approvisionner auprès d’une structure spécialisée en semences forestières. La structure lui fait des propositions de toute une gamme de semences à partir de laquelle, il fait son choix.
De toutes ces variantes, la dernière est la plus moderne car non seulement, elle offre des semences saines, à la traçabilité établie, avec un taux de levée connu et une capacité avérée de conservation en grande quantité de plusieurs espèces.
4. Demande en semences forestières au Niger
Les réalisations effectuées dans le cadre de la restauration des écosystèmes dégradés s’inscrivent dans un contexte de changement climatique. Le succès à long terme de ces opérations dépend du choix du type d’ouvrage retenu mais en grande proportion du choix des espèces végétales utilisées en accompagnement.
Au Niger, au stade actuel de la situation, il est difficile voire impossible d’évaluer la demande nationale en semences forestières. Les besoins en semences ne se sont jamais exprimés de façon formelle en dépit des nombreuses séances de travail et de sensibilisation des utilisateurs de celles-ci. Chacun s’approvisionne où il veut y compris pour les démembrements de l’administration forestière.
Au début des activités du Centre National des Semences forestières, seule, l’administration forestière utilisait ses services. Progressivement, certains partenaires (projets, ONG et privés) sollicitent le CNSF pour des semences. Ces demandes restent encore extrêmement dérisoires.
Aussi, il n’y a pas eu d’étude de la filière semences forestières au Niger pour pouvoir identifier les différents maillons de la chaine de distribution, les espèces vendues, les plus demandées, les acteurs et les utilisateurs.
Au vu de tout ce qui précède, il ne serait pas aisé de quantifier même de façon approximative, les besoins réels en semences forestières du Niger à cette date ou par an.
Il revient donc au Centre National de Semences Forestières de s’investir pour relever tous ces défis à travers la réalisation d’une stratégie nationale en matière de semences forestières.
Il est évident que de nombreuses espèces ligneuses ou herbacées sont en voie de disparition ou ont même disparu. Il appartient au CNSF de créer les conditions pour disposer de leurs semences pour conservation et diffusion.
5. Sources d’approvisionnement en semences forestières au Niger
A quelques rares exceptions, les arbres se développent à partir de graines. La graine doit permettre de reproduire à l’identique le sujet porte graine. Sa qualité a un effet déterminant sur la réussite des plantations qui en sont issues. Il faut savoir que la “bonne semence” est celle qui, à la fois, présente une viabilité et une vigueur remarquables et, est bien adaptée au site et aux objectifs fixés. Seules, des semences forestières présentant à la fois des hautes qualités physiologiques, sanitaires et génétiques satisfaisantes peuvent garantir le succès d’une plantation,
Au vu des nombreux chantiers de recuperation de terre dégradée et leur demande en accompagnement biologique, le besoin en semences s’accroit de plus en plus au Niger. Aussi, pour pouvoir les ravitailler en semences de qualité et en sans rupture, le Centre National des Semences forestières a été créé par décret n° 2010 116/PCSRD/MEE/LCD du 1er avril 2010. Le CNSF a aussi pour vocation le contrôle et la certification des semences et la promotion d’un secteur privé dans ce domaine.
Après plus d’une décennie de fonctionnement, les convictions sont maintenant grandes quant aux rôles joués par les semences forestières dans i) la préservation et l’amélioration des écosystèmes, ii) leur contribution à la sécurité alimentaire des populations et du cheptel, iii) la productivité des terres et des cultures, iv) et dans divers autres domaines.
A l’état actuel de la situation où la demande en semences forestières (ligneuse et herbacées) croit d’année en année et en dépit des capacités opérationnelles de mobilisation de cet intrant par le CNSF, beaucoup d’utilisateurs de semences forestières connaissent peu cette structure. Pour cause, le marché en semences forestières est développé et dominé par le secteur informel incarné par des individus et des groupements de producteurs privés, des Organisations Non Gouvernementales (ONG) et des privés sans compétence technique, scientifique et juridique aucune et en violation flagrante des attributions du Centre National des Semences Forestières. Cette concurrence déloyale engendre des conséquences négatives (banalisation du secteur, diffusion de semences de qualité douteuse, dégradation de la diversité biologique par une exploitation non durable des ressources naturelles…). Or, l’approche du CNSF, repose sur un certain nombre de considérations notamment en termes de grands défis nationaux dont : assurer la sécurité alimentaire ; préserver les ressources naturelles ; réhabiliter les terres dégradées ; promouvoir l’agroforesterie ; assurer un environnement durable.
Cependant, en dépit des infrastructures dont dispose le CNSF et de la volonté des agents, il y a
des difficultés qui ralentissent son élan de travail et ses ambitions. Ces difficultés sont d’ordres technique, économique, social, naturel et juridique. Il s’agit de :
Difficultés d’ordre technique :
• Irrégularité des inventaires nationaux permettant d’identifier les meilleurs peuplements forestiers, sources de semences ;
• Non maitrise de la phénologie et/ou de la biologie de certaines espèces, ce qui ne permet pas de planifier la récolte des semences ;
• Absence de parcelles conservatoires artificielles ;
• Absence de campagnes et programmes nationaux de récolte de semences tenant compte des standards internationaux ;
• Amenuisement des sources naturelles de récolte des semences du fait des changements climatiques et activités anthropiques ;
• Absence ou insuffisance de paquets techniques (formation, équipement….)
• Incidence période de récolte (année de mauvaise production)
Difficultés d’ordre économique :
• Absence de structure de financement des campagnes de récolte ou de commercialisation ;
• Année de famine qui accentue le défrichement donc destrution des zones de provenance
• Pauvreté dont la principale riposte reste l’exploitation du bois d’où la destruction des semenciers
Difficultés d’ordre social
• Défrichement des superficies forestières pour mise en culture ;
• Extension des villes au détriment de certains peuplements forestiers naturels et artificiels ;
• Insécurité souvent dans les zones de production semencières ;
Difficultés d’ordre naturel
• Effets des feux de brousse et de l’élevage extensif
• Invasion acridienne ;
• Inondation ;
• Sécheresse
Difficultés d’ordre juridique
• Absence de corpus juridique
6. Comment améliorer l’offre en semences forestières au Niger?
Il est possible d’améliorer la façon de sélectionner les semences à travers :
Elaboration et adoption de la stratégie nationale sur les semences forestières et son plan d’actions ;
L’identification, la caractérisation, la protection, l’aménagement, la sécurisation et le suivi permanent de zones de provenances naturelles et/ou artificielles ;
Mettre à profit l’inventaire forestier national pour sélectionner des peuplements semenciers riches et producteurs ;
Renforcement des capacités techniques, scientifiques et matérielles des principaux acteurs du domaine.
Mise en place d’un dispositif législatif et réglementaire pour mieux gérer le secteur des semences forestières (récolte/collecte, traitement, transport, stockage, vente, importation et exportation des semences forestières.
Création et suivi d’entreprises villageoises de production de semences forestières ;
Elaboration d’un référentiel des prix des semences forestières ;
Elaboration et mise à jour régulière d’un catalogue et d’un annuaire national des semences forestières.
Conclusion
Les semences forestières font parties du groupe des produits forestiers non ligneux. Ces produits contribuent à la diversité, la qualité et l’accessibilité des aliments à une grande majorité de la population. Souvent, le manque d’information systématique ne permet pas d’évaluer la contribution de semences forestières au PIB national. Pourtant, il existe un centre national des semences forestières pour fournir des biens et des services sous la forme de semences et d’avis technique. Sa vocation principale est de garantir un approvisionnement régulier et durable en semences forestières de qualité aux différents usagers (Services forestiers, Projets et Programmes, ONG, privé, collectivités). Il est établit que l’utilisation des semences de bonne qualité (physiologique, génétique et sanitaire) est une des conditions pour la réussite des actions de reboisements et de restauration des écosystèmes.
A ce titre, il est attendu une prise de conscience générale des différents acteurs pour faire de la semence forestière sûre, l’élément indispensable pour la réussite de toutes les activités de boisement. Pour ce faire, il est indispensable de créer et encadrer juridiquement les conditions pour la promotion de semences forestières de qualité au Niger ainsi que les modalités de leur diffusion.
Pour y parvenir, il est indispensable pour le Niger de se doter d’une loi relative aux semences forestières ainsi que son décret d’application pour justement encadrer et organiser la dite filière (exploitation, conservation et diffusion des semences forestières) ainsi que la promotion et l’émergence de producteurs privés.
Hassane Djibo Directeur du Centre National des Semences Forestières (CNSF)