
Des jeunes garçons consommant de la drogue
Gisant dans les rues, sous les véhicules, couchés sous des arbres, endormis dans des lieux publics, ou goinfrés dans les constructions des carrefours giratoires de la ville, bref exposés à tous les dangers, tel est le quotidien de nombreux jeunes ayant une addiction aux substances psychotropes à Niamey. Malgré les saisies régulière de drogues et autres substances psychotropes par les services compétents notamment de la police, force est de constater que la vente et la consommation de substances psycho actives prennent de plus en plus d’ampleur. Impulsivité, agressivité, troubles d’humeur et de mémoire, perturbations de la vie personnelle, professionnelle et sociale, isolement sont entre autres les conséquences de la prise de substances psychoactives. À ce chapelet de conséquences directes, viennent se greffer une baisse de facultés cognitives, un risque de perte d’emploi, une déscolarisation, une hypertension artérielle, de problèmes cardiaques et respiratoires, des répercussions délétères sur la vie familiale et dans les plus graves des cas, un coma éthylique, un arrêt cardio-vasculaire, la folie ou la mort.
Les substances psycho actives sont des produits chimiques qui agissent principalement sur l’état du système nerveux central en modifiant l’état de conscience. A titre illustratif, le cannabis est composé de plus de 500 substances différentes dont les deux principaux ingrédients actifs sont le THC et le cannabidiol (CBD). Quant au ‘’crack’’ ou ‘’free base’’, c’est un dérivé du chlorhydrate de cocaïne, résultant de l’adjonction de bicarbonate ou d’ammoniac transformée en petits cailloux destinés à être fumés et plus rarement injectés. Malgré les conséquences néfastes de ces substances, leur consommation est devenue monnaie courante à Niamey. En effet, de plus en plus de jeunes s’adonnent à la consommation de stupéfiants.
Vendus pour certains sur le marché noir, en pharmacie ou auprès de certains revendeurs, les stupéfiants continuent de circuler. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette consommation. Il s’agit selon M. Amadou Djibo, psychologue, des causes environnementales et personnelles. « Une personne triste ou victime d’un choc émotionnel peut trouver refuge et soulagement temporaire dans ces substances », explique-il. Le manque de confiance en soi, les traumatismes, l’isolement social, les problèmes familiaux, le harcèlement à l’école ou en famille, les échecs, le chômage, l’influence et les jugements négatifs de la société sont aussi des facteurs favorisant la consommation des substances psychoactives.
Le cannabis
Le cannabis est la drogue la plus consommée par les jeunes aisés à Niamey. Fumée sous forme de ‘’joint’’. Fabriqué et roulé à base de feuilles ‘’slim’’ qui sont plus fines que les feuilles de cigarettes standard, cette drogue se vend très chère au niveau des dealers. Plusieurs noms codés sont attribués à cette dernière pour l’achat ou la consommation. Elle est autant consommée par les garçons que les jeunes filles. « J’ai commencé à fumer très tôt le cannabis et je l’ai fait par curiosité. C’est un long processus pour se procurer le produit car, il faut connaitre les bonnes personnes et c’est assez cher. Même conscient du coût, je n’arrive plus à m’en passer et ça fait presque 8 ans que j’en consomme », déclare un jeune homme qui a préféré garder l’anonymat. F.A, une jeune femme de 23 ans est également dépendante. « Ça fait 4 ans que je fume du cannabis et personne ne le sait. J’ai essayé grâce à une amie qui m’a rassuré que c’était un bon calmant. Depuis, je fais tout pour m’en procurer dès que j’ai un problème malgré les difficultés pour l’achat. J’ai essayé d’arrêter mais, impossible et je ne peux pas en parler à ma famille », a-t-elle confié.
La cocaïne ou ‘’crack’’
Quant au ‘’crack’’, il occasionne un effet de ‘’flash’’ qui provoque un plaisir bref et intense en générant des effets stimulants pendant une dizaine de minutes. Sa consommation peut provoquer un AVC, une crise cardiaque, une crise convulsive ou une crise similaire à l’épilepsie. Les hallucinations provoquées par cette drogue peuvent pousser le consommateur à commettre des actes inhumains comme le viol, le meurtre, le vol sans s’en rendre compte, selon le psychologue. « Un consommateur de ‘’crack’’ serait prêt à tuer s’il le faut pour assouvir son besoin. Pour lui, personne ne le voit commettre un acte car, il est seul dans sa bulle », a relevé le spécialiste. Vendu sous forme de cailloux, il est aussi appelé ‘’galette’’ pour les initiés. Les prix de cette substance varient en fonction de sa taille. Consommée le plus souvent par voie nasale (sniffer), pulmonaire (inhalation de la fumée ou vapeur par le nez ou la bouche) ou par voie intraveineuse (injection). « Mon grand frère était un consommateur de ‘’crack’’. On s’est rendu compte à travers ces actes. Il commettait plusieurs vols que ça soit à la maison ou en ville. On a reçu plusieurs plaintes et il a été placé dans un centre de désintoxication au Nigeria. Mais, quelques mois après sa sortie, il a replongé. Après plusieurs crises, cette substance a eu raison de lui », déclare F.K, une jeune fille de 19 ans.
Le tramadol
C’est une substance présente dans plusieurs médicaments destinés à soulager les douleurs en agissant sur les récepteurs sensibles, chimiques du cerveau à la morphine. Prescrit sous ordonnance et vendu le plus souvent en pharmacie ou auprès des vendeurs de médicaments de la rue, le tramadol est aujourd’hui utilisé à d’autres fins par les jeunes. En effet, la consommation d’une forte dose provoque les mêmes effets que les autres drogues. Mais, ce produit difficile d’accès dans les pharmacies est le plus souvent disponible chez les revendeurs ambulants. « Nous ne vendons pas de médicaments contenant du tramadol sans ordonnance car certains jeunes utilisent ce produit pour se droguer en consommant de fortes doses. Ce qui peut provoquer des réactions très dangereuses pouvant aller jusqu’à l’overdose médicamenteuse », explique une pharmacienne.
Néanmoins, malgré toutes ces précautions, certains jeunes arrivent à se procurer le produit car, disponible en grande surface et surtout, moins cher. La consommation se fait soit par voie orale en avalant directement les comprimés ou par voie intraveineuse car, celle-ci procure un effet plus rapide. Ces jeunes vont jusqu’à corrompre certains médecins pour avoir une ordonnance ou utilisent d’autres moyens pour se procurer le produit. « Je me procure ce produit chez les vendeurs ambulants. Il est moins cher et plus facile à obtenir car dans les pharmacies, le processus est long et compliqué », explique Y.D, un jeune consommateur.
Sirop ou ‘’line’’
Consommé uniquement par voie orale, le ‘’line’’ est la nouvelle tendance à Niamey. Composé d’une boisson gazeuse et de plusieurs sirops contenant de la codéine, ce cocktail est destiné à ‘’shooter’’ le consommateur. Difficile à identifier car contenu dans une bouteille de jus, le sirop est consommé par les jeunes sans attirer l’attention des autres. On retrouve la codéine dans plusieurs médicaments contre la toux, la grippe ou le rhume mais également chez les vendeurs ambulants. Assis devant sa petite boutique composé uniquement de sirops, un vendeur ambulant, localisé au grand marché vend ces produits tous les jours et se fait un bon chiffre d’affaires. « Je ne vends que des sirops car, la vente est plus rapide et facile. Je ne connais pas la composition de ces produits mais, ils sont très appréciés par mes clients qui sont en majorité des jeunes. Il y en a pour toutes les bourses et je peux chaque jour vendre le quart ou la moitié de mon stock initial », confie le revendeur. Lors des fêtes ou rencontres, les jeunes n’hésitent pas à introduire quelques sirops dans leurs boissons pour s’amuser ou à consommer le cocktail au boulot ou à la maison. Certaines personnes n’arrivent pas à arrêter la consommation du fait de la forte addiction que créent ces produits. C’est le cas d’une jeune femme qui a souhaité garder l’anonymat. « Je travaillais mais j’ai perdu mon boulot car, je dors tout le temps et j’arrive en retard. La consommation du line me permet de me détendre et je peux boire 2 à 3 bouteilles par jour », dit-elle.
Les substances psycho actives sont nombreuses et variées. Si certains jeunes ont les moyens de se procurer certains produits, d’autres consomment ce qu’ils peuvent se procurer. Produits détergents, renifler de la colle, boire du parfum à base d’alcool ou humer la brume des caniveaux pour se saouler, garder des ballons remplis de protoxyde d’azote, tous les moyens sont bons pour ces jeunes vivant dans les rues. Moins chers et plus accessibles, ces méthodes sont le plus souvent utilisées en cas de besoin ardent. Au chômage, déscolarisés ou mendiants, ces jeunes s’exposent à tous les dangers en consommant ces produits tous les jours. Cette pratique a amplifié les vols à mains armées et a créé des cas sociaux qui deviennent le plus souvent des enfants de la rue qui ne vivent que pour satisfaire leur addiction, d’où le phénomène de la mendicité et de la dépravation des mœurs, selon M. Amadou Djibo, psychologue. Notons que malgré la consommation des drogues, plusieurs jeunes ne s’adonnent pas à cette tendance destructrice tant pour les jeunes que pour la société entière.
Selon M. Alou Ayé, sociologue, l’ampleur de la consommation abusive des drogues et stupéfiants s’explique surtout par la disponibilité et l’accès facile à ces produits au Niger. « La disponibilité de ces produits est la principale cause de consommation de ces derniers par les jeunes. La mauvaise influence ou fréquentation est aussi un facteur poussant ces jeunes à s’adonner à cette pratique dévastatrice », explique le sociologue. Aussi, d’après ce spécialiste, la société et les masses médias jouent un rôle important dans la multiplication de ce fléau aux conséquences multiples. « Les jeunes sont l’avenir de ce pays. L’objectif de toute société, c’est de créer un cadre idéal pour permettre aux jeunes de bâtir un meilleur avenir. Quel sera le sort de notre pays si ces derniers s’autodétruisent ? », s’interroge ce spécialiste.
Pour y remédier, plusieurs solutions doivent être adoptées. « Je lance un appel aux autorités à fournir plus d’efforts dans la vérification des produits importés. La disponibilité de ces produits est un frein à la diminution de cette pratique. Nous devons, en tant que responsables, parents ou tuteurs de ces enfants, leur expliquer dès le bas âge les conséquences de ces produits afin de leur éviter toute influence extérieure. Aussi, nous devons surveiller ce que nos enfants regardent à la télé ou sur les réseaux et surtout, éloigner le plus longtemps possible l’enfant des écrans », a-t-il conclu.
Massaouda Abdou Ibrahim (ONEP)