Dans le cadre de la valorisation des produits locaux, dans le contexte de la Zone de libre-échange continentale (ZLECAf), le Niger, à travers l’Agence nationale de la propriété industrielle et de la promotion de l’innovation (AN2PI) a demandé, auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), l’enregistrement en Indications Géographiques de quatre produits en janvier 2018. Ainsi, après quelques années, l’Oignon violet de Galmi et le Kilichi (viande séchée du Niger) viennent d’avoir des Indications Géographiques, tandis que le Tchoukou (fromage du Niger) et la peau de Chèvre Rousse de Maradi obtiennent la reconnaissance de Marques Collectives. La labélisation de ces produits nigériens les plus présents sur les marchés régional et international permet d’assurer des bénéfices économiques tangibles.
La protection des produits en Indication Géographique et en Marque Collective n’est pas sans impact pour les acteurs des maillons des filières, les consommateurs ainsi que pour le développement socio-économique et environnemental du pays. Comme avantages, l’AN2PI cite la production et la vente en quantité et en qualité des produits; la diversification de la production agricole; la promotion des produits caractéristiques; l’amélioration des revenus des acteurs des filières; le combat contre la fraude, la contrefaçon et les usurpations; la mise à la disposition des consommateurs des produits spécifiques de qualité; l’information claire aux consommateurs sur les méthodes de fabrication du produit en termes d’identité et de typicité liée au terroir.
Selon le Directeur Générale de l’AN2PI, les quatre produits concernés présentent des avantages comparatifs avec des spécificités remarquées dans un commerce agricole international marqué par une concurrence accrue au niveau mondial. «Dans une économie d’échanges globalisée, caractérisée par une concurrence déloyale, reposant sur les imitations, les fraudes et les contrefaçons, pratiques qui induisent le consommateur en erreur et découragent les producteurs, il s’avère plus que nécessaire pour le Niger de mettre en place un système de protection de ses produits agricoles et agroalimentaires, surtout ceux présentant des atouts marqués par une nette différenciation et une originalité donnant lieu à des avantages comparatifs certains», explique Yambeye Ibrahim, DG de l’AN2PI.
Les autorités nigériennes ont, alors, compris cette nécessité de protéger les consommateurs et les producteurs contre l’usurpation et l’imitation des produits crus ou transformés à haut potentiel commercial. «C’est dans ce sens qu’elles se sont engagées pour faire reconnaître officiellement et protéger légalement ces produits sur le marché régional et international», soutient le Directeur de l’agence.
En effet, l’Indication Géographique (IG) est un droit de propriété intellectuelle qui vise à protéger le nom d’un produit ayant une qualité, des caractéristiques ou une réputation liée à son origine géographique. Les IG sont reconnues comme instrument de développement économique car elles peuvent entraîner une redistribution de la valeur ajoutée en faveur des producteurs les plus défavorisés, contribuer à l’attractivité d’un territoire, à la préservation de ses ressources naturelles et des savoir-faire traditionnels de production, tout en offrant une diversité de produits aux consommateurs. Les enseignements tirés des expériences sur les IG dans le monde et en Afrique montrent qu’elles sont des outils de développement rural durable pourvu que certains prérequis soient pris en compte dans leur mise en œuvre, à savoir : la typicité du produit, la gouvernance de l’IG, les canaux commerciaux, le cadre institutionnel, la capacité d’investissement des producteurs et le dynamisme territorial.
Les Marques Collectives quant à elles présentent sans conteste un intérêt pour les PME nigériennes en leur permettant de protéger des produits traditionnels. Cette stratégie de regroupement par le biais d’une marque collective constitue pour les PME un outil leur permettant de surmonter les obstacles que représentent leur taille réduite et leur isolement sur le marché. La marque collective présente un intérêt pour les entreprises qui l’utilisent et c’est un repère pour le consommateur. La mise en place de critères communs aux différents systèmes de production va favoriser le renforcement des exigences qualitatives des produits concernés, de limiter les possibles doutes du consommateur et, dès lors, de participer à une meilleure reconnaissance des territoires à travers les produits ou les services qu’ils commercialisent. La marque collective constitue un outil de valorisation des produits et services pour les PME adhérentes.
Spécificité et valeurs des quatre produits agropastoraux du Niger enregistrés à l’OAPI
L’Oignon Violet de Galmi
Les populations de la région de Tahoua et celles de la vallée de la Maggia en particulier, ont un savoir-faire propre de la technique culturale de l’oignon. C’est ce savoir-faire qui est valorisé dans le cadre de l’Indication Géographique de l’Oignon Violet de Galmi. Elles produisent et mettent sur le marché l’Oignon Violet de Galmi originel, celui à la forme elliptique aplatie, de calibre moyen et homogène avec des tuniques de bonne présentation, connu et apprécié pour sa coloration violette, son goût piquant, et son aptitude à épaissir les sauces. Hautement compétitif grâce à sa bonne aptitude à la conservation, sa notoriété dépasse les frontières et attire des acheteurs internationaux notamment ceux des pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest (Ghana, Togo, Côte d’Ivoire, Benin, Nigéria etc.). La variété la plus connue et la plus cultivée dans la zone de l’Ader-Doutchi-Maggia-Tarka (ADMT) est incontestablement le ‘Violet de Galmi’ de la vallée de la Maggia, communément appelé ‘Tassa’. Les consommateurs apprécient son goût épicé et ses qualités à la cuisson. Il jouit alors d’un avantage commercial sur les marchés locaux et sous régionaux. L’Oignon Violet de Galmi a bâti sa réputation grâce à une interaction de ses caractéristiques intrinsèques, les savoir-faire locaux et les conditions agropédoclimatiques propres, spécifiques aux vallées du terroir de l’Ader-Doutchi-Maggia-Tarka.
Le Kilichi
La production de Kilichi au Niger est un savoir-faire ancestral. La connaissance est acquise soit par héritage, soit par apprentissage auprès d’un chef, et se fait selon la pratique ancestrale. Le Niger dispose donc d’un grand nombre de producteurs spécialisés de Kilichi. A titre d’exemple la communauté Urbaine de Niamey en compte quelques trois cent (300) producteurs et des milliers de producteurs de Kilichi ont été recensés dans les régions d’Agadez, de Maradi, de Tahoua et de Zinder.
Des lamelles assez fines qui sèchent rapidement compte tenu des conditions climatiques favorables, assaisonnées d’un cocktail d’ingrédients qui permettent de remonter les caractéristiques organoleptiques et sensorielles spécifiques et une qualité extrême, le Kilichi n’est pas qu’un simple business, c’est aussi une tradition, une histoire. Trois courants d’histoire font état de l’origine de la viande séchée à la nigérienne ou Kilichi. Certains parlent des chasseurs qui sont des professionnels de la viande noire pratiquant la chasse depuis plusieurs siècles. Comme l’homme a chassé depuis la préhistoire afin de se nourrir, il en faisait des stocks de sécurité à travers la pratique du séchage. A cette occasion, ils faisaient sécher et parfois fumer la viande fraiche pour pouvoir la conserver jusqu’à leur retour au village après plusieurs jours de chasse.
Pour d’autres, des nomades Touaregs du Niger, professionnels d’élevage qui vivaient presque exclusivement du lait, du fromage et de la viande, ont inventé le mot ‘‘Kiliss’’ existant dans le vocabulaire de la langue Tamacheq et qui signifie lamelle de viande. C’est ainsi qu’avec le brassage des sociétés Touaregs et Haoussa sédentaires, le mot ‘Kiliss’ a été emprunté et est devenu ‘Kilichi ’ (S. Beidari et Z. Mounkaila, 2013). Il y’en a aussi qui mettent l’avènement de lamelle de viande séchée à l’actif de la chefferie traditionnelle. Au regard des homicides dus à des empoisonnements dont elles étaient objet autrefois, les autorités coutumières ne consommaient pas la viande tant qu’elles ne sont pas sûres de la provenance. C’est ainsi qu’elles identifiaient un ou des bouchers de confiance qui étaient chargés d’abattre un ou plusieurs animaux, en brousse, loin des villages. Des bouchers transformaient toute la viande en viande séchée. Cette viande séchée était stockée dans les palais pour la consommation propre des autorités coutumières ou pour en faire des dons aux hôtes de marque.
La peau de la Chèvre rousse
La chèvre rousse de Maradi est un animal élégant avec comme impression générale : «équilibre, fitness, harmonie de forme et de couleur». Elle se caractérise par une individualité très marquée et jouit d’une grande réputation du fait de sa prolificité et de la valeur marchande de sa peau. L’aire géographique principale de la chèvre rousse de Maradi couvre la région de Maradi, qui se trouve dans la zone soudanienne avec des précipitations de 600 à 800 mm par an et une grande partie dans la zone sahélienne, où la pluviométrie varie de 200 à 700 mm/an. En effet, la réputation internationale de la chèvre rousse de Maradi vient surtout de sa peau, fine, souple et d’une solidité remarquable, qui fait que cette peau est très recherchée en maroquinerie de luxe.
La Peau de la Chèvre Rousse de Maradi est développée dans le cadre des politiques publiques visant la préservation du patrimoine national de toute entrave à son évolution, tout en assurant le développement du savoir-faire nigérien en matière de peaux tannées. La chèvre rousse de Maradi est une espèce qui attire l’attention des techniciens de l’élevage, des tanneurs et maroquiniers pour ses multiples qualités. Les peaux traitées au Niger par les techniques industrielles sont exportées à 100% sur l’Europe principalement en Espagne et en Italie. Les peaux traitées au Niger selon des techniques plus traditionnelles appliquées par les coopératives sont essentiellement destinées à l’approvisionnement de l’artisanat local, lui-même fortement orienté vers l’exportation.
Le fromage Tchoukou du Niger
Ce fromage traditionnel, appelé Tchoukou en langue haoussa, et Tikomart en langue touareg, est un fromage des zones désertiques ou semi-désertiques. Le terme «Tchoukou» vient de la langue Haoussa désignant ainsi le fromage sec traditionnel. Il est aussi appelé «Tikomart» en langue Touareg. Il est obtenu à partir du lait entier de vache, de chamelle, de chèvre, ou d’un mélange des trois et se présente sous forme d’une galette sèche rectangulaire ou circulaire de couleur jaune-claire. Le Tchoukou est consommé soit en état, soit trempé dans le thé chaud, ou encore pilé et incorporé à la bouillie de mil (farine de mil humectée et modelée en boule). Il est fabriqué de longue date par les femmes qui, par ce moyen, valorisent l’importante production laitière en saison d’hivernage en stockant des réserves alimentaires pour la période sèche.
Il est apparu que la production de Tchoukou, comme celle de lait caillé et de beurre a pour objectif essentiel de permettre la conservation des excédents de la production de lait, aliment de grande valeur nutritive mais périssable. Or, les éleveurs, pour la grande majorité nomades ou transhumants, produisent les plus grandes quantités de lait pendant la saison de l’hivernage, quand l’eau et les herbages abondent dans une vaste zone pastorale située à la limite de la zone désertique. Cette zone étant dépourvue de tout réseau de collecte de lait frais, les femmes d’éleveurs, responsables de la gestion du lait, sont donc obligées de transformer ce lait pour pouvoir le conserver. Du fait de cette contrainte, la production de Tchoukou est une activité bien ancrée dans les habitudes.
Ismaël Chékaré(onep)