Un pommier de cayor
Dans le Boboye, sur les sentiers sablonneux, se dresse un arbre imposant et généreux : le pommier de Cayor, appelé localement Gamsa. Présent à l’état sauvage dans presque tous les villages de ce département, il est longtemps resté à l’ombre des espèces d’arbres plus connues. Pourtant, le fruit de cette espèce aux multiples vertus est en train de se révéler grâce à un travail méticuleux des femmes engagées, combattantes et déterminées à vivre dignement.
À Margou Béné, un village de la commune de Birni N’Gaouré, une femme fait figure de pionnière. Mme Adama Diouaga, septuagénaire est la présidente du groupement Bine Kanay Union. Elle s’est donnée pour mission, avec les femmes de son groupement, de valoriser le « Gamsa » à travers des techniques locales de transformation. Extraction d’huile (avec les amandes du fruit), fabrication de couscous, chocolat, biscuits et tourteau (avec la pulpe), chaque dérivé de cette espèce d’arbre est l’expression d’un savoir-faire enraciné dans la tradition, mais tourné vers l’innovation. C’est à la recherche d’autonomie financière, mais aussi par fierté de tirer profit de ce que la nature leur offre en abondance, que ces femmes ont fait de ce fruit un véritable moteur de développement local. Une activité exercée encore à l’état artisanal, mais pleine de promesses, qui mérite d’être racontée et soutenue.
Sur le bord de la RN1, à l’entrée de Margou Bené, les petits hangars identiques sont alignés. Parmi eux figure celui de Adama Diouaga. C’est à l’ombre de ce toit de paille que se trouve son étalage de mangues mûres, soigneusement disposées sur une table et dans une bassine. Lorsqu’elle ne s’affaire pas à transformer la précieuse pomme Cayor, elle vend des fruits pour subvenir aux besoins de sa famille. Ce jour-là, Adama Diouaga nous accueille avec un large sourire. Elle sort un tapis qu’elle déplie sur le sol, nous invitant chaleureusement à nous installer. C’est dans ce décor simple mais chargé de dignité qu’elle nous livre, avec passion et espoir, l’histoire de son engagement et de celle de son groupement.
En effet, depuis cinq ans, Adama Diouaga s’est engagée dans la transformation du « Gamsa ». Les 100 femmes de son groupement et elle achètent les fruits dans la brousse ou les amandes sur les marchés, puis se réunissent pour les transformer en divers produits alimentaires. Dans la transformation, elles utilisent la coque comme bois de chauffe.

Dans le temps, rapporte la vieille dame, l’usage alimentaire le plus répandu est la consommation de la pulpe crue de ces fruits frais. Elle est très prisée par les femmes et les enfants pour son goût à la fois sucré et aromatique. « En année de mauvaise récolte agricole ou de famine, la pulpe débarrassée de la couche superficielle est séchée et ensuite réduite en farine. Cette farine est utilisée pour la préparation de bouillie ou de la pâte servie avec une sauce. Les graines ou amandes sont soit consommées crues, soit pilées et utilisées dans la sauce comme condiments, soit utilisées pour l’extraction traditionnelle d’huile », explique-t-elle. Aussi, poursuit-elle, l’utilisation de la farine de ces amandes dans la sauce lui donne un aspect visqueux et un goût agréable et elle ne nécessite pas d’apport d’huile ni d’arôme car, elles sont très riches en huiles. Cependant, son extraction n’est pas très développée.
Extraction de l’huile de Cayor aux vertus multiples
Selon les explications de la présidente, elles achètent les graines ou amandes à raison de 600 FCFA la mesure. Il faut six mesures pour constituer une Tia vendue à 3 500 FCFA. En une journée de travail avec dix Tia, elles peuvent produire entre cinq et six litres de cette huile précieuse. « Les amandes obtenues par concassage des noix sont soumises à une légère cuisson, permettant ainsi de rompre l’étanchéité entre l’amande et le tégument séminal. Les amandes torréfiées sont concassées à l’aide de mortier et secouées en direction du vent à l’aide de deux calebasses. Les amandes dépelliculées sont ensuite amenées au moulin. La pâte obtenue est malaxée dans un grand mortier en additionnant de plus en plus d’eau chaude ou froide parfois. Au fur et à mesure que l’opération se poursuit, la pâte s’éclaircit et l’huile remonte en surface » explique-t-elle avec des gestes, toute chose qui rend compte de la parfaite maitrise de l’activité.

Cette huile, précise-t-elle, vendue entre 8 000 et 9 000 FCFA le demi-litre, n’est pas seulement prisée pour la cuisine. « Elle régule la tension artérielle, elle soigne le diabète, l’ulcère, l’anémie. En la consommant, on prévient bien des maladies », affirme Adama. Les produits issus de cette transformation sont exposés en vente, les jours de marché et lors de foires régionales, comme celle du Salon de l’Agriculture, de l’Hydraulique, de l’Environnement et de l’Elevage à Niamey ».
Une activité qui transforme des vies
Pour Adama Diouaga et les membres de Bine Kanay Union, la transformation du « Gamsa» ne se limite pas à une simple activité génératrice de revenus. C’est une source de dignité, de reconnaissance, un levier d’émancipation. Elle contribue à leur autonomisation économique et renforce la cohésion sociale au sein des communautés. « Nous avons beaucoup gagné avec ce travail », confie-t-elle, avec fierté et enthousiasme. « Cela nous a ouvert des portes qu’aucune de nous, villageoise, n’aurait pu espérer franchir autrement». Grâce à cette activité, les femmes de l’union parviennent à nourrir leurs familles, habiller leurs enfants, payer les soins de santé. Leur savoir-faire leur a valu la reconnaissance locale, mais aussi régionale. « Se faire connaître, tisser des liens, créer des amitiés, c’est aussi cela le plus grand avantage », précise la septuagénaire.
Mais derrière les sourires et la détermination se cachent aussi des défis de taille. L’un des plus patents reste le manque de matériels adaptés. « Nous avons besoin de l’appui de l’Etat pour développer cette activité car, c’est notre fierté. Nous n’avons pas les moyens. Si on met à notre disposition des moyens matériels et financiers, nous pourrions produire beaucoup afin de faire connaître cette huile et les produits dérivés du fruit», plaide Adama Diouaga. Avant d’ajouter « nous sommes 100 femmes. Si nous avions des équipements modernes, nous pourrions produire l’huile en quantité qui pourrait non seulement alimenter le marché local, mais aussi concurrencer les huiles importées. Si nous avons notre propre huile, nous ne voulons plus de celle venue d’ailleurs dont on ne connaît ni la composition, ni la provenance parfois ».
Le rêve d’Adama Diouaga et son groupement, c’est de faire du « Gamsa » un produit d’exportation, valorisé, connu et reconnu, pour qu’en plus de nourrir les familles, il porte l’image d’un Niger résilient et innovant.
Aminatou Seydou (ONEP), Envoyée spéciale
