
La quête d’indépendance monétaire des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), composée du Burkina Faso, du Mali et du Niger, est une phase décisive. Dans une dynamique inédite depuis les indépendances africaines, bon nombre des populations de l’AES souhaitent que les chefs d’État des trois pays réaffirment leur volonté politique de rompre avec le système du franc CFA pour fonder une union monétaire souveraine.
Tout a commencé par une série de déclaration des populations et des organisations de la société civile de l’AES sur la nécessité de bâtir un système monétaire autonome, déconnecté des mécanismes hérités de la colonisation. En réponse à cette volonté, les États membres doivent adopter une résolution commune : « Sur la nécessité d’une monnaie souveraine de l’AES ». Cette résolution fonde l’acte de naissance d’une réforme monétaire majeure, pensée comme pilier de la souveraineté économique. Afin d’enraciner cette volonté dans des mécanismes concrets, une commission trilatérale des ministres des finances aurait été mise en place. Son mandat : élaborer un « Plan de Réforme Monétaire », qui a été approuvé dans toutes ses dimensions. Ce plan détaille les étapes de sortie de la zone CFA, l’adoption d’une nouvelle monnaie, et la création des institutions nécessaires à sa gestion.
La loi sur la réforme monétaire, si elle est adoptée, posera les bases juridiques du retrait progressif ou immédiat du système CFA. Parmi les mesures phares figurent : la création de la monnaie AES, dotée d’un nom, symbole et code monétaire spécifique ; la notification officielle à la France, à l’UEMOA et à la BCEAO de l’arrêt de participation aux accords actuels ; la signature d’un traité fondateur de l’Union monétaire de l’AES, qui jettera les fondations d’une Confédération économique et monétaire.
Une loi fondatrice a été adoptée pour créer la Banque centrale de l’Alliance des États du Sahel, dotée de compétences claires : émission monétaire, politique de stabilité des prix, supervision bancaire. Son capital initial a été déterminé, et une gouvernance structurée mise en place (Directeur général, Conseil d’administration).
Le lancement de la monnaie AES suppose une série de transformations techniques, juridiques et diplomatiques : la signature de contrats d’impression de billets et de frappe de pièces; la négociation avec la BCEAO pour le partage des actifs, la restitution des réserves de change et règlement de la dette ; l’adoption de lois sur les systèmes de paiement, la réglementation monétaire, et les systèmes RTGS nationaux; la coopération active avec le FMI, la Banque mondiale et les partenaires économiques (incluant la Russie pour les opérations de swap monétaire).
La monnaie AES sera d’abord introduite pour les paiements non-numéraires, avant d’être distribuée aux banques. Une phase de circulation simultanée avec le franc CFA est prévue, avant son retrait définitif. Cette période de transition est essentielle pour éviter tout choc économique, garantir la confiance des populations et assurer la stabilité macroéconomique.
La sortie du franc CFA n’est pas qu’un acte symbolique. Elle représente une réorientation stratégique de la souveraineté monétaire vers une gestion régionale, adaptée aux réalités économiques du Sahel. Le succès de cette réforme dépendra de la rigueur technique, de la discipline budgétaire, et d’un consensus politique durable. L’AES ne fait pas que quitter la zone franc. Elle crée un précédent pour d’autres régions du continent. En assumant la complexité du changement, les États du Sahel montrent qu’il est possible de sortir des cadres monétaires hérités pour construire un avenir économique maîtrisé. Le pari est audacieux, mais la souveraineté en est le prix.
Par Salifou Ibrahim
Économiste Nigérien, Acteur de la société civile,
Consultant Indépendant