Aboubacari Kio Koudizé aujourd’hui écrivain observateur et témoin avisé de l’évolution politique du Niger contemporain a été Rédacteur en chef du quotidien Le Sahel en 1985. Il releva, environ 9 mois durant, le challenge quotidien de produire et animer l’unique quotidien qui fait écho à travers tout le pays. Cela sous le régime dit d’exception du Général Seyni Kountché. Le mandat parait court mais il a été pour un jeune journaliste de 26 ans, une période intense en termes de défis et d’émotions, sous pression et dans la rigueur. Selon cet écrivain aujourd’hui âgé de 65 ans, Le Sahel a été pour lui, une école, une famille où tous partageaient la passion pour le journalisme dans la convivialité.
Le Sahel, dont vous avez été l’un des animateurs durant ses premières années, étant à l’époque journaliste, puis rédacteur en chef et enfin conseiller du directeur de publication, souffle aujourd’hui sa cinquantième bougie. Quelles sont vos impressions par rapport à l’évolution de ce quotidien ?
Je ne pourrais que me féliciter de vivre ce cinquantenaire, féliciter l’équipe actuelle pour avoir gardé la ligne, rendre hommage aux équipes qui se sont succédées dans le travail. Le Sahel a été et est jusque là, une institution de référence au niveau du paysage médiatique nigérien. Lorsque j’ai intégré l’équipe du Sahel, ce quotidien avait déjà 10 ans. Et il s’imposait en tant que quotidien national.
Bien sûr, comme toute institution, ce journal a évolué, c’est une dynamique. C’est une continuité. Vous intégrez une équipe, d’autres vont venir, d’autres vont partir. Les jeunes plumes d’hier sont les ainés d’aujourd’hui. Quand bien même, Le Sahel que j’ai connu lors de mes passages, a été une école, en plus de là où nous quittons, une famille, en plus nos familles biologiques.
Comment avez-vous pu intégrer l’équipe si jeune, jusqu’à assumer des lourdes responsabilités de Rédacteur en Chef, sous un régime d’exception ?
Personnellement j’ai pris le train en marche. J’ai fait mes premiers pas, après le centre d’étude des sciences et techniques de l’information (CESTI) de Dakar, d’où je suis sorti, en 1983, diplômé en presse écrite, notamment à l’occasion des stages académiques. J’ai intégré, formellement, l’équipe du Sahel, à partir du 4 août 1984, après mon article sur le service civique, un témoignage intitulé « Je reviens du front ». C’était, en juin 1984, quelques mois avant d’intégrer la rédaction. Je l’ai écrit, à la demande des patrons, étant un ancien stagiaire de la maison qui venait de finir son service civique. C’est peut-être tôt, mais cela a été mon baptême de feu. L’essai a été ma carte de visite pour intégrer la profession. Dans un premier temps j’ai écrit « le service civique, une expérience à vivre », et ensuite « je reviens du front » en est mon second article. C’était un boom, qui a lancé le débat dans le milieu politique de Niamey sur les conditions rudes des appelés du service civique national. J’avais comparé le service à un front de guerre, où il fallait tout endurer. Dans le témoignage j’ai décrit des tristes réalités vécues, en pointant du doigt les manquements des conseillers pédagogiques, des inspecteurs, et de certaines autorités administratives locales.
Le président Seyni Kountché, un grand lecteur du journal, a lu l’article et a dû souligner des choses. Il convoque son ministre de l’enseignement supérieur. Les deux ont convenu de prendre plusieurs dispositions pour y remédier, notamment la mesure instituant la formation pédagogique et même militaire, pour les appelés du service civique dont nous étions justement la toute première promotion. Ceux qui sont venus après nous, les filles et les garçons inaptes sont tenus au lycée Issa Korombé pendant 45 jours pour la formation en pédagogie et tous les autres sont envoyés à Tondibiah où ils subissaient la formation militaire les matins et la formation pédagogique les soirs. Arrivés sur leurs lieux d’affectation, les ASCN sont ensuite bien pris en charge par les autorités. Il n’y avait pas que ça. J’ai eu, par la suite à réaliser un entretien télévisé avec le ministre de l’Enseignement supérieur, sur le bilan de la politique du service civique. C’était un entretien pingpong vraiment, d’un jeune journaliste de circonstance qui a connu le terrain face au politique qui est sensé mettre en œuvre l’action gouvernementale sur la question.
Quelle a été l’ambiance qui régnait dans les coulisses du journal ?
Pour la chaine d’édition, le véritable travail commençait à partir de 17h. A 9h vous avez la conférence de rédaction classique. Après tout le monde est lâché dans la nature. En fin de journée, chacun revient, ceux qui sont sortis pour des reportages, entretiens etc. Nous n’étions pas aussi nombreux que vous, et nous n’avions pas de matériel comme ordinateurs, smartphones, scanners et autres. Les reporters écrivaient au manuscrit, le Rédacteur en chef corrige sur les papiers comme tel. Pour la mise en page, c’était au marbre, on y affecte une équipe, un journaliste et un photographe. Ils travaillent jusqu’au milieu de la nuit. Puis le Rédacteur en chef et le Secrétaire de rédaction reviennent vérifier avant le tirage. L’ambiance était vraiment bon enfant. Le ministre de l’Information venait également tard, vers 00h-1h du matin, les bras chargés, après un tour chez le boucher et les boutiques d’à côté, ragaillardir l’équipe avec tout ce qui lui faut à manger et à se rafraichir pour tenir bon dans la convivialité.
Début janvier 1985, la rédaction a été scindée en deux, une équipe de Sahel Dimanche et une autre du quotidien Le Sahel. Etant Rédacteur en chef du quotidien, on m’a envoyé faire un reportage, un dossier, à Ouallam pour le compte du magazine. J’en ai fait sur la cantatrice Dalweyzé. Suite à ce reportage, le célèbre artiste malien Bonkano Maiga, résidant en Côte d’Ivoire a été interpellé et contraint par les autorités nigériennes, par le biais du ministère de la Culture à réparer le dommage de non prise en charge du droit d’auteur suite à l’interprétation qu’il a faite de l’un des titres de la cantatrice. C’était le dossier du deuxième numéro de Sahel Dimanche. C’est là, l’esprit de famille, l’esprit de complémentarité entre les deux journaux. Et c’est encore mieux au sein des équipes. En avril 1985 j’ai eu à faire un entretien avec le Président Général Seyni Kountché, pour le compte du Sahel Dimanche, quand le journaliste qui devait le faire a eu un retard.
Quels sont entre autres les souvenirs que vous gardez de votre passage à la Rédaction?
Mon séjour ici, m’a permis de m’aguerrir dans le métier de l’écriture en général et celui du journalisme-communication en particulier. J’ai aussi gagné rapidement en maturité. Car c’était sous un régime militaire d’exception où on ne tolérait rien comme bourde ou faute. Vous devez être juste, performant, serein, rigoureux, vigoureux, vigilant et surtout très attentif et regardant vis-à-vis des intérêts de la Nation. Cela dans le strict respect des règles du métier.
L’élection de notre compatriote Idé Oumarou au poste de Secrétaire Général de l’OUA m’a beaucoup marqué. J’étais envoyé spécial de la rédaction à Addis Abéba, avec la mission nigérienne qui y a séjournée dans le cadre des travaux préparatoires. J’avais fait un tableau détaillé, en encadré, sur la participation des différents pays par niveau de représentation (président, premier ministre ou ministre des affaires étrangères. Ce tableau a été très utile pour la délégation du Niger qui a pu se répartir les taches de manière stratégique pour battre campagne. Ça a été une aide, un instrument important de campagne qui a contribué au sacre de notre compatriote.
La visite à Niamey du vice président américain Bush père, en mai 1985 m’a aussi beaucoup marqué. La une était en couleur, pour le numéro spécial. Vers minuit, je me pointe au marbre pour m’assurer une dernière fois que le journal est clean. Les premières pages sortaient de la rotative. Instinctivement, mon attention s’est braquée sur les drapeaux des deux pays. J’ai vérifié la disposition et j’ai constaté que le drapeau de l’invité du Niger, les Etats unis, était inversé. Alors, à l’époque, si le journal sortait ainsi, ça allait créer un incident diplomatique, et ça pourrait être la prison pour toute la hiérarchie du journal.
Réalisé par Ismaël Chékaré (ONEP)