Alors que les populations expriment et manifestent plus le besoin de se rafraîchir, et d’assurer mieux l’hygiène corporelle et du milieu de vie, l’eau potable devient particulièrement rare, en cette période de forte chaleur de mi-avril au Niger. Jusque dans les villes où ne vivent, en réalité, qu’un peu moins de 16% des Nigériens, avec une couverture qui, selon les statistiques du ministère en charge de l’Hydraulique est de l’ordre de 97%, certaines zones endurent un calvaire récurrent de pénurie d’eau potable, depuis des décennies. C’est le cas notamment des villes de Zinder, Tahoua ou encore certains quartiers de Niamey tels que Taladjé. La situation est pire dans le monde rural où le taux d’accès à cette denrée vitale tourne autour de 49%. Avec la démographie grandissante, le défi se complique pour les autorités quant aux impérieuses solutions qui s’imposent à court, moyen et long termes.
Dans le vieux village de Taladjé, aujourd’hui un quartier plus ou moins moderne, en plein cœur de Niamey, les installations d’eau potable sont bien connectées à une source, ‘’château Aviation’’ (quartier aéroport). Cependant la tuyauterie ne date pas de nos jours et l’unique source s’est beaucoup éloignée et est surchargée avec le peuplement de cette zone Est de la capitale. Des robinets, il y en a dans presque toutes les maisons, mais il se passe, ces temps-ci, plusieurs jours sans qu’aucune goutte ne coule. Ici, tel dans nos campagnes, c’est les « garoua » en langue locale ou les vendeurs d’eau sur chariot qui ont le vent en poupe. Ils se ravitaillent au niveau des forages réalisés par une ONG et qui fonctionnent avec l’énergie solaire. En plus de ces vendeurs-porteurs d’eau, les femmes et les enfants viennent s’y approvisionner aussi pour le compte de leurs familles.
Selon Boubacar Idé, gérant d’un forage situé à côté de la résidence du chef du quartier, les bidons de 20 et 25 litres sont remplis à 25 FCFA et une charrette peut contenir 10 bidons qu’on revend à 100 FCFA. Mais là aussi l’eau n’est pas garantie en permanence. Dans les soirées, l’énergie fait défaut, parce qu’il n’y a pas de batteries pour stocker l’énergie supplémentaire provenant du soleil au cours de la journée afin de faire fonctionner le forage la nuit. « Il y a pénurie d’eau dans le quartier, actuellement ce n’est qu’au niveau des forages qu’on en trouve », indique le jeune Boubacar. Tapis à l’ombre, au pied du réservoir, il s’occupe non seulement de faire les comptes mais aussi de veiller à l’ordre des passages des usagers au niveau des trois robinets. « Il y a des gens souvent toute la journée, mais ils sont plus nombreux dans la matinée et dans l’après-midi. Aussitôt qu’il y a rupture d’énergie, le réservoir se vide. A partir de 18h, il n’y a plus de l’eau là aussi », explique le gérant du forage.
Jafarou Adamou, la trentaine revolue, est ‘’garoua’’ dans le quartier. Il confie que les habitants paient souvent cher, pourvu qu’ils aient juste de l’eau, car la soif et d’autres besoins en eau n’attendent pas. « Normalement nous vendons à 300 FCFA ou 500 FCFA. Mais souvent ce sont les gens qui nous proposent jusqu’à 1.500 FCFA la charrette », se défend le porteur d’eau. Au pic de la situation de pénurie quand les files d’attente sont très longues, Jafarou ne peut faire au maximum que deux tours, alors qu’il en fait jusqu’à 5 en temps normal, au niveau de ce forage, le plus opérationnel qui tient mieux parmi une dizaine d’autres.
Selon le chef du quartier, Hassane Soumana, Taladjé compte 10 forages au total, tous réalisés par une ONG internationale en 2018. « Dès que commence la saison sèche, nous avons un sérieux problème dans ce quartier. Cela depuis des années. Dans les ménages, les robinets ne coulent que tard dans la nuit, aux environs de 2 h et ce n’est pas tous les jours. Personnellement, chez moi j’ai fait une semaine entière sans l’eau au robinet. Nous vivons quasiment de ces forages », se lamente le chef du quartier. Hassane Soumana explique le problème par le vieillissement de la tuyauterie et l’éloignement de la source (château) de l’aviation qui alimente le quartier. « Nous attendons, nous l’espérons avec les nouvelles autorités, qu’on nous refasse l’installation et qu’on nous réalise un château », lance le chef coutumier.
Si le simple branchement à une ligne de desserte suppose être couvert, Taladjé serait dans la moyenne officielle du pays en termes d’accès à l’eau potable. Malheureusement, même dans la capitale, l’exception, c’est le cas des quartiers, s’il y en a, qui ont de l’eau 24h/24.
L’eau, une denrée plus chère en campagne que dans les centres urbains
Par rapport au prix, l’eau coûte moins chère au Niger et nous avons la meilleure eau de la sous–région. L’Etat en a fait un droit fondamental, dans pratiquement toutes les Constitutions des décennies durant. Avec la mesure du branchement social, le m3 est à 127 FCFA pour les tranches ne dépassant pas 10m3 le mois (10.000 litres ou 50 tonneaux), tous les ménages pauvres et moyens sont en réalité concernés. Mais, faut-t-il que le branchement soit à nos noms, alors que pour la plupart, les gens sont dans des maisons de locations.
Par ailleurs, la gestion déléguée des ouvrages léguée aux collectivités territoriales, notamment dans le monde rural, ne se fait plus dans les normes. « Le m3 qui est vendu à 127 FCFA aux tranches sociales, dans les ménages branchés, est à 600 voire 1.000 FCFA au village », dénonce Ousmane Danbadji, président du Réseau des Journalistes pour l’eau-hygiène et l’assainissement (REJEA). Il y a une inégalité extrême, dit-il, face à laquelle l’Etat, les nouvelles autorités doivent agir pour y mettre fin.
L’Agence de Régulation du secteur des eaux (ARSEau) devait assumer cette tâche. Le président du REJEA fustige l’inaction du régulateur du secteur, à ce sujet. « Ils doivent veiller à la conformité des aspects qualité-prix entre autres. Aujourd’hui nous avons, dans les quartiers périphériques des forages sauvages, qui ne répondent pas pleinement aux normes. Il y a des forages qui vont directement sur des fausses septiques. Et les gens tombent malades après des mois ou des années de consommation d’eau impropre », a-t-il décrié.
Bon gré, malgré, c’est la tendance sur initiative individuelle dans les zones périphériques où tardent la viabilisation. L’idée n’est pas un problème en soi, mais si seulement ces forages étaient tous homologués par les institutions indiquées, afin de s’assurer de leur qualité. L’alternative comporte des dangers dans certains cas, comme l’a expliqué l’acteur de la société civile. « La question de l’eau est très sensible, il n’y a pas de place au laisser aller ou laisser faire, juste pour avoir de l’eau. L’eau c’est la vie comme on le dit, mais quand elle est impropre à la consommation elle est source de maladie incurable comme le cancer. L’eau insalubre peut détruire l’organisme sur une longue durée, selon l’organisme de la personne », prévient Danbadji.
La nationalisation de la SEEN, un nouveau départ, sous le signe de la souveraineté, pour le développement du secteur
Pour Ousmane Danbadji, président du Réseau des journalistes pour l’eau, l’hygiène et l’assainissement (REJEA), les caractéristiques géologique et halieutique du pays ne nous permettent pas d’avoir assez d’eau potable sans investir des gros moyens. « La question de l’eau, c’est une question d’investissement », dit-il.
Pendant plus de 20 ans la distribution de l’eau au Niger était privatisée. D’une part, la Société du Patrimoine des eaux du Niger, (SPEN) a en charge les installations et ouvrages, et d’autre part la Société française, SEEN exploite et engrange les retombées. C’était là, un véritable goulot d’étranglement pour le développement du secteur de l’hydraulique, explique l’acteur de la société civile. « En 20 ans, la SPEN a investi plus de 500 milliards de FCFA dans la réalisation des infrastructures. Mais le Niger ne bénéficiait pas de la manne. Dans beaucoup de quartiers, villes et villages, les installations sont vieillissantes. Les châteaux sont dépassés par les besoins, parce qu’il n’y a pas d’investissements », déplore Ousmane Danbadji.
Après tant d’années d’exploitation infructueuse, la marche est ainsi enclenchée pour relever le défi. « Nos partenaires techniques et financiers doivent comprendre et s’inscrire dans la logique de nos nouvelles orientations. La Nigérienne des eaux (NDE) et la SPEN doivent aussi mettre l’accent sur la sensibilisation des acteurs du développement urbain et des populations, afin de freiner les pratiques liées à la pollution des eaux de surface et aux lotissements et autorisations de construction d’habitat avant viabilisation », lance le président du REJEA.
Longtemps utilisée comme un instrument de chantage politique lors des cycles électoraux, l’eau devait être un vecteur de développement, de cohésion sociale et de paix. « Votez-nous, nous allons vous apporter de l’eau, nous allons vous faire des forages », c’est le slogan de campagne le plus notoire et la promesse la moins respectée, car elle se répète à chaque cycle électoral. Le problème d’eau profite au politique. « Dans les villages, plus qu’en milieu urbain, c’est une préoccupation cruciale qui affecte le quotidien. Quand vous n’avez pas de l’eau, les enfants ne vont pas à l’école, ils iront faire la corvée. Quand vous n’avez pas l’eau potable vous prenez celle qui est impropre des mares et marigots avec tout ce qu’elle comporte comme danger pour la santé. Il faut de l’eau potable pour s’alimenter avoir de l’énergie nécessaire pour vaquer à ses occupations. L’eau c’est le nexus de tous les aspects du développement socio-économique. Mais, elle ne doit pas faire objet de chantage politique. Cette ère doit être révolue et nous avons foi en la conduite souveraine du CNSP », soutient le président du REJEA. Sa structure est active essentiellement dans la sensibilisation et le plaidoyer, pour des investissements d’abord endogènes au niveau local, des collectivités, ensuite de la part de l’Etat et de ses partenaires.
Le CNSP met le cap pour une couverture de 56 % en milieu rural et 100 % dans les centres urbains, à l’horizon 2026
Sur la base du référentiel des ouvrages hydrauliques (ROH) de 2023, des sources officielles, la répartition de la population dans les domaines de l’Hydraulique est respectivement de 21.397.700 habitants en milieu rural (soit 84,37 % de la population) et de 3.965.444 habitants en milieu urbain (soit 15,63 % de la population). Le sous-secteur de l’hydraulique urbaine est constitué d’un périmètre constitué de 56 centres dont les huit (8) chefs-lieux des régions, avec un taux de desserte global de 97,11 % au 31 décembre 2023.
En dépit de ce taux assez appréciable, pratiquement la majorité des centres rencontrent des difficultés d’approvisionnement en eau potable à de degrés divers, où la production d’eau potable par rapport aux besoins des populations est déficitaire, reconnaît le Secrétaire général du Ministère de l’Hydraulique, de l’Assainissement et de l’Environnement, M. Laoualy Rabo. A tire d’illustration, « à Zinder, pour un besoin de 32.000 m3/J en période de pointe, la production nominale est de l’ordre de 21.000m3/J, soit un gap de 11.000 m3/J », souligne-t-on. En ce moment de forte chaleur, cette situation a conduit les autorités à mettre en place, à travers le Comité de Gestion de la Crise de l’Eau de Zinder, un dispositif de ravitaillement des populations de certains quartiers à l’aide des citernes, couplé d’un système de délestage bien planifié. « Ces deux opérations ont permis d’atténuer les difficultés auxquelles font face les populations dans leur quête de cette denrée vitale », note M. Laoualy Rabo.
« En ce qui concerne l’approvisionnement en eau potable de la ville de Niamey, la production journalière est de 180.000 m3/J pour un besoin de 220.000m3/J, soit un déficit de l’ordre de 40.000 m3/J », précise le Secrétaire général du ministère de l’Hydraulique. M. Laoualy Rabo a laissé entendre qu’il y aura désormais délestage au niveau du refoulement et réseaux afin de répartir et desservir équitablement les quartiers. Aussi, a-t-il, poursuivi, les mesures envisagées pour soutenir la demande croissante en eau potable de la population consistent à renforcer la production par la réalisation de deux (2) forages dans les environs de Kollo, ainsi qu’à la réhabilitation des postes d’eau autonomes.
A propos du sous-secteur de l’hydraulique rurale, qui concerne plus de 80 % de la population du Niger, le taux d’accès théorique à l’eau potable est de 49,93 % au 31 décembre 2023. Autrement dit, un Nigérien sur deux n’a pas accès à l’eau potable en milieu rural. Ce taux cache des disparités entre les régions, départements et communes. Deux régions enregistrent des taux d’accès théorique à l’eau potable les plus faibles à savoir Zinder avec 37,31 % suivie de Tahoua avec 46,45 %.
« Conscientes de cette situation, les autorités actuelles, au premier rang desquelles SE le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie, Chef de l’Etat, ont inscrit dans leurs actions majeures l’accès à l’eau potable des populations nigériennes vivant dans les villes et campagnes ainsi que du cheptel, conformément au Programme de Résilience pour la Sauvegarde de la Patrie et consignées dans la lettre de mission du Ministre de l’Hydraulique, de l’Assainissement et de l’Environnement », déclare M. Laoualy Rabo. Ainsi, décline le SG du ministère, « la mise en œuvre des actions prévues en réponse à cette lettre de mission permettra d’atteindre, à l’horizon 2026, un taux d’accès théorique à l’eau potable en milieu rural de 56 % et un taux de desserte en milieu urbain de 100 % ».
La récupération par l’Etat du Niger, de manière stratégique, dans l’élan patriotique pour la souveraineté sur tous les aspects de la vie de la Nation, sous la conduite révolutionnaire du CNSP, en nationalisant la SEEN qui dévient désormais NDE, va sans nul doute, changer la donne. Pour plus d’un, c’est le véritable départ pour un investissement systématique et continu pour le développement du secteur.
Ismaël Chékaré (ONEP)