L’eau et l’électricité sont de plus en plus demandées par les populations nigériennes qui entendent profiter du développement de la classe moyenne dans le pays. A Niamey, il n’est pas rare de croiser des chefs de quartiers et autres délégués d’habitants dans les couloirs des mairies, du gouvernorat, de la SPEN, de la NIGELEC, et même dans les quartiers généraux des partis politiques pour demander le raccordement total de leurs quartiers aux réseaux d’adduction d’eau courante et d’électricité. Malgré les moyens déployés par l’Etat et ses partenaires et la pression sans cesse exercée par les chefs de quartiers, l’occupation anarchique des espaces classés et l’usage abusif des champs pour habitations, sans la production d’un plan de cadastre, rendent quasi impossible les extensions dans certaines zones d’habitation.
Le phénomène est bien connu à Niamey. Dans les quartiers périphériques, une partie est raccordée aux réseaux d’adduction d’eau et d’électricité et une autre ne l’est pas du tout, donnant l’impression d’une croissance à double vitesse d’une même zone. Dans certains quartiers, c’est même l’eau courante qui manque totalement. Cette situation qui impose aux autorités et responsables des sociétés en charge de l’eau et de l’électricité à réaliser des prouesses afin de mener à bien les extensions, fait ressembler de vastes portions de la capitale à des villages reculés du Niger.
Alors les accusations fusent : les populations se disent victimes d’un jeu politique qui favorise des personnalités au détriment des plus vulnérables alors que les services de l’urbanisme et la direction régionale de Niamey de la NIGELEC se justifient en indexant les problèmes de lotissements et des constructions anarchiques. La situation est partie pour durer : une forte pression est actuellement exercée sur les terres à Niamey et les lotissements, qu’ils soient de promoteurs immobiliers ou de détenteurs de titres coutumiers qui morcellent leurs champs, se poursuivent.
A Lossagoungou, dans le secteur densément peuplé de Lamba Ga Zada, les populations se désolent de vivre à quelques encablures de la capitale du pays sans avoir accès à l’eau courante et à l’électricité. « Nous cherchons de l’aide car les citoyens sont égaux. Il y’a des endroits où c’est en excès (ndlr : l’eau et l’électricité) et des endroits où il n’y a rien. Nous voulons qu’on nous aide pour avoir l’eau et l’électricité », s’exclame notre guide sur le terrain, M. Moumouni Moussa dit Ladan, bras droit du chef de quartier de Lossagoungou, sur la rive droite du fleuve. Tout comme la demi-douzaine de résidents qui nous a rejoint plus tard, ils dénonce vigoureusement qu’après une vingtaine d’années d’occupation, une grande partie de ce secteur soit encore sans eau courante ni électricité.
Le choix de nous amener dans le secteur précis de Lamba Ga Zada, avoue ce « notable, est de nous faire constater de visu ce qu’il considère comme une injustice sociale envers des contribuables, fulmine-t-il ». Ce manque pèse lourdement sur le budget et sur le bien-être des habitants. « Il faut payer des revendeurs d’eau pour avoir quelque chose à boire. Les endroits du quartier où il y’a de l’eau et de l’électricité, il y’a un grave problème car il faut attendre tard dans la nuit pour avoir une bonne pression au robinet », tient-il à préciser.
Seuls ceux qui sont en contrebas du quartier ont l’eau en permanence, même si la pression reste à désirer. Ce qui alimente même les débats dans les fadas et des blagues du genre « les habitants de Lossagoungou jeûnent toute l’année », ou le surnom de « Gardiens de l’eau » donné aux habitants du quartier. M. Moumouni Moussa indique que le chef du quartier et ses notables ont eu plusieurs discussions avec des responsables de la Société de patrimoine des eaux du Niger (SPEN) et de la Société nigérienne d’électricité (NIGELEC), les deux sociétés en charge de l’extension des réseaux d’eau et d’électricité.
Même son de cloche de l’autre côté du fleuve, à quelques détails prêts. Ici, dans le quartier Djanyawai situé à la rive droite non loin du pont Général Seyni Kountché, tous ceux qui ont les moyens sont raccordés au réseau d’électricité car l’extension tant attendu a eu lieu, malgré le retard pris. En dépit de son positionnement à moins de 4kms du siège de la mairie du 5ème arrondissement et sur un axe vital pour la sécurité et l’économie de la capitale Niamey, l’extension du réseau d’eau courante n’a toujours pas eu lieu.
M. Boubacar Sambo se plaint du comportement de certains résidents qu’il juge aisés. Ces personnes issues de la nouvelle classe et qui se sont installées après le lotissement du village à partir de 2006, ont majoritairement investis dans des forages individuels « au lieu de s’associer pour investir dans l’extension du réseau d’eau potable afin de permettre au grand public d’avoir accès à cette denrée, source de vie. Plusieurs personnes se ravitaillent ainsi chez les rares particuliers qui n’ont pas encore restreint l’accès à leurs forages, contre rémunération dans la plupart des cas.
Le notable précise avoir déposé plusieurs demandes à la mairie du 5ème arrondissement communal de Niamey, à l’hôtel de ville, au gouvernorat et dans les sociétés qui sont en charge de la gestion des secteurs de l’eau et de l’électricité. Même si la question de l’eau est la plus brûlante pour les résidents, il existe toujours une petite partie du quartier de Djanyawai qui manque toujours d’électricité. « Vous savez, un pauvre peut vivre sans électricité mais s’il manque d’eau, il a tous les problèmes du monde », se résigne M. Boubacar Sambo.
De son côté, M. Moumouni Moussa tient le même langage. « L’eau, dit-il, c’est la vie. S’il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de vie ». Il explique que la disponibilité permanente de l’eau et de l’électricité permet d’améliorer les conditions de vie des populations et de contribuer à la richesse du pays en renforçant le commerce dans le quartier. Par exemple, dit-il, à Lamba Ga Zada, il y’a des boutiques qui veulent être raccordées à l’eau et à l’électricité, mais l’extension de ces réseaux tarde à venir. Pour l’instant, les propriétaires des ateliers de soudure et autres commerces qui nécessitent de l’électricité apportent une partie de leur travail dans d’autres quartiers afin de livrer à temps les commandes.
L’extension du réseau d’électricité ralentie par les lotissements anarchiques et les conflits fonciers
A la Direction régionale de la Société nigérienne d’électricité de Niamey, on explique que les moyens sont disponibles pour subvenir à l’extension du réseau électrique et au raccordement des populations des zones périphériques. Le problème de la disponibilité de l’électricité, comme nous l’avons constaté sur le terrain avec une équipe de la Nigelec, est plutôt dû à de conflits fonciers qu’à la disponibilité du matériel et des compétences. Le deuxième facteur, bien que moindre, étant d’ordre programmatique. Ces deux facteurs sont donc à la base de la croissance différentielle du réseau électrique et probablement de celui de l’eau.
M. Abdoul Aziz Ibrahim, directeur régional Niamey de la Nigelec confirme que la question de l’extension du réseau « est également une préoccupation pour la Société nigérienne d’électricité ». Généralement, a-t-il indiqué, les projets d’extension ne tiennent pas compte de la localisation elle-même, mais plutôt des potentiels abonnés. Les études programmatiques concernent donc une zone très précise et souvent, avant le financement du projet, des gens s’installent au-delà des limites de la mise en œuvre du projet d’extension. Il faut préparer un autre projet pour couvrir la nouvelle zone d’habitation et ainsi de suite.
L’autre problème qui entrave véritablement l’extension du réseau électrique, souligne le responsable régional, est le problème de cadastre et les conflits de fonciers que cela engendre. La Nigelec, dit-il, travaille avec les plans conformes à ceux de l’IGNN qui est son partenaire désigné dans sa politique d’extension. « Du coup, on saute certains quartiers parce qu’on n’a pas une référence réelle, étatique, sur laquelle on peut se baser pour essayer de faire nos études et les exécuter sous forme de projets ». Le constat fait sur le terrain montre que le secteur de Lamba Ga Zada, dans le quartier de Lossagoungou, fait partie des zones dans lesquelles la pose de poteaux en béton armée est pratiquement impossible du fait de l’exiguïté des ruelles.
Selon M. Abdoul Aziz Ibrahim, l’objectif de la Nigelec et de ses partenaires techniques et financiers que sont l’Etat et les projets, est d’arriver à 80% de desserte sur le plan national, avec Niamey comme priorité. «Notre objectif en moyen terme, c’est de couvrir toutes les zones d’habitation et qui, dans le cadre de la ceinture verte, sont déclassées. Dans ce dernier cas, on travaille avec les services de l’environnement et nous arrivons à raccorder les clients uniquement après l’autorisation délivrée par ces services. M. Abdoul Aziz Ibrahim annonce qu’avec les projets, la pose de poteaux tubulaires (PT) sera réalisée aux endroits où le camion-grille ne pourra pas passer, plusieurs secteurs de Niamey bénéficieront de l’extension de l’électricité, malgré leurs lotissements qui ne répondent pas aux normes.
Renforcer l’application de la loi cadastrale pour favoriser l’accès à l’eau et à l’électricité
M. Balla Illotchi Mahaman Salissou, Directeur de l’urbanisme au ministère de l’urbanisme et du logement, déclare que la fourniture en eau et électricité des zones d’habitation est prise en compte dans le cadre des projets de lotissement. L’urbanisme, rappelle-t-il, est régi au Niger par la loi 2017-20 du 12 avril 2017 qui fixe les principes fondamentaux de l’urbanisme et de l’aménagement urbain. « Cette loi a défini le lotissement comme étant une division d’un terrain en plusieurs parcelles qui doit être utilisée pour avoir des terrains avec des numéros cadastraux et des repères en vue de matérialiser des ouvertures qui serviront à la délimitation des voies, l’installation des réseaux d’eau, d’électricité, de téléphone, et aussi du réseau d’évacuation des eaux des pluies pour l’assainissement », dit-il.
Dans les quartiers dits spontanés, selon le Directeur de l’urbanisme, la règlementation a prévu de procéder à leurs restructurations en temps voulu. Ces quartiers sont en réalité des terrains vagues ou des champs occupés par des familles et transformés en zones résidentielles, sans obtenir au préalable les autorisations nécessaires. La grande majorité d’entre elles manquent de rues qui assurent la mobilité et d’espaces dédiés aux écoles et autres centres socio-sanitaires. Elles sont généralement en proie à un problème d’assainissement qui empêche l’acheminement de l’eau et de l’électricité aux résidents. La restructuration va consister à « ouvrir dans ces quartiers des voies, créer des équipements sociaux de base et permettre l’installation des réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement », précise le Directeur de l’urbanisme.
D’un autre côté, le problème de l’extension des réseaux d’eau et d’électricité trouve aussi sa source dans la libéralisation des lotissements dans les années 90. Pour pallier aux manquements constatés dans la viabilisation des parcelles distribuées aux fonctionnaires lors d’une vaste opération pour éponger leurs arriérés, l’Etat a autorisé les lotissements de promoteurs privés. « En fin de compte, détaille M. Balla Illotchi Mahaman Salissou, on s’est rendu compte que le lotissement privé a peut-être fait plus de mal que de bien. Beaucoup de promoteurs se sont enrichis sur le dos des détenteurs coutumiers, en plus la viabilisation qui était inscrite dans presque tous les arrêtés de ces lotisseurs privés-là n’a pas suivi ».
Au ministère de l’urbanisme et du logement où la question de la viabilisation des lotissements est prise au sérieux pour permettre à l’Etat de se concentrer sur ses priorités au lieu de dépenser pour combler les défaillances des promoteurs immobiliers privés, la direction de l’urbanisme assure avoir fait le point des lotissements qui ne sont pas viabilisés en terme notamment d’eau et d’électricité. « On va s’appuyer sur l’expérience de l’audit de la ceinture verte que nous avons fait et auditer tous les lotisseurs privés autour de Niamey. Le but étant de voir dans quelle mesure l’Etat et les acquéreurs de bonne foi, y compris les propriétaires coutumiers cessionnaires, qui ont fait des actions sur leurs parcelles, que chacun puisse rentrer dans ses droits », souligne M. Balla Illotchi Mahaman Salissou.
En attendant de mettre de l’ordre dans le cadastre, les extensions du réseau électrique et les raccordements des clients par la Société nigérienne d’électricité se poursuivent à un rythme accéléré en 2022. Les sites de fabrication des poteaux en béton armé (PBA) tournent à plein régime. La société, sollicitée par les populations des quartiers spontanés a initié des projets pour commander des poteaux tubulaires (PB) adaptés à ces types de situations. Il ne reste que le lancement de projets d’extension du réseau d’eau potable pour donner un visage moderne aux quartiers périphériques des villes nigeriennes.
Souleymane Yahaya(Onep)