S’il y a un métier au Niger qui s’est radicalement transformé, c’est bien celui de reproduction des plants de fleurs et arbustes décoratifs et de l’entretien des jardins. En seulement quelques décennies, le métier qui était quasiment le monopôle des expatriés est devenu aujourd’hui une « chasse gardée » de nigériens de plus en plus jeunes. Le résultat de ce changement, favorisé par les différentes crises qui se sont suivies, est visible dans la ville : à chaque coin de rue, jusque dans les quartiers périphériques, les vendeurs de fleurs et autres arbustes décoratifs s’installent progressivement, signe que ce métier peut bien « nourrir son homme ». L’engouement des Nigériens pour l’aménagement des espaces verts, jusque dans certaines résidences privées, a également permis le développement de paysagistes des espaces verts.
M. Yoni Fayçal Mahamadou est un jeune jardinier et fleuriste-décorateur spécialisé dans la conception des aménagements verts qui a pris ses quartiers généraux le long du mur de clôture Est du lycée Issa Korombé de Niamey. Ça fait aujourd’hui un peu plus de 14 ans qu’il exerce le métier après avoir quitté le système éducatif en classe de terminale. Mais bien avant de quitter les bancs de l’école, nous confient des proches, il passait la plupart de son temps avec les pépiniéristes spécialisés dans la production des fleurs et des plants décoratifs. Ce qui lui vaut actuellement d’être le directeur commercial de YONI FLEURS, une entreprise familiale légalement enregistrée au Niger.
Dans un Français soutenu, il explique qu’un paysagiste est un artiste qui conçoit des plans d’aménagement des espaces verts, et qui fait en sorte que chacune de ses réalisations soit un objet artistique unique, destiné à embellir l’espace et jouer un rôle thérapeutique anti-stress pour le client. Ce qui le différencie, dans son acception nigérienne où l’ensemble des professionnels sont des autodidactes, des métiers de fleuriste-décorateur et de pépiniériste spécialisé dans la reproduction des fleurs et des plants décoratifs, la vente, précise-t-il, complétant le tableau. En somme dit-il, un paysagiste dans le contexte nigérien est aussi un fleuriste-décorateur mais, ce dernier n’est pas forcément un paysagiste spécialisé dans l’aménagement des espaces verts et de son entretien.
Malgré la détérioration du pouvoir d’achat des ménages depuis la crise mondiale du coronavirus, la vente des fleurs et des assortiments verts s’en sort un peu mieux que les autres secteurs. Les plants traditionnels, tels que les plantes grimpantes particulièrement affectionnées dans le pays, continuent à bien se vendre sur les différents sites de production-vente. A côté des lianes blanches, des yellow, et des « cobées », des plantes exotiques font désormais leur apparition. « Les nouveautés qu’on a ici au Niger, sont les rosiers, dont on a pu réceptionner une grande quantité, les sapins, les épines de christ, les filaos et aussi des asters qui sont des plantes qui fleurissent toute l’année et qu’on n’avait pas l’habitude d’avoir chez nous», nous apprend M. Yoni Fayçal Mahamadou.
Il faut débourser 3.000 ou 7.000FCFA pour se procurer respectivement un plant de rosier et de sapin. Les dattiers, les palmiers et les cacaotiers sont également très appréciés dans l’aménagement des espaces verts, surtout dans l’enceinte des représentations diplomatiques et des sièges des organisations internationales. Pourtant, peu de clients sont au courant que les variétés de sapins vendus localement sont extrêmement inflammables. L’aménagement des espaces verts dépend, souligne M. Yoni Fayçal Mahamadou, des moyens financiers de la structure ou de la personne qui a fait la commande et aussi de ses goûts. « Car, ajoute le jeune paysagiste, il y’a des gens qui aiment les belles fleurs. Pour aménager 10 m2, on facture entre 50.000 et 60.000F CFA. S’il faut utiliser des fleurs exotiques, cela va coûter entre 150.000 et 160.000F CFA ».
Le soutien de l’administration publique fait défaut, se plaignent les acteurs
Le métier prend de l’ampleur dans la ville alors même que l’ensemble des paysagistes et des fleuriste-décorateurs se plaignent de la baisse généralisée de leurs chiffres d’affaires, ce qui les empêche de vivre des fruits de leur travail et les oblige à enchainer les « à-côtés». Cela semble pourtant n’être qu’une difficulté mineure pour ces professionnels. Ils apprécient ouvertement l’attitude de bienveillance de la ville de Niamey qui ne les accule pas pour l’utilisation de la voie publique « dont nous prenons grand soin », s’empresse de dire M. Aboubacar, fleuriste-décorateur et jardinier installé sur les rives du fleuve Niger, à Kombo.
Ce que dénoncent ces jeunes professionnels, c’est le détournement des marchés publics en faveur de personnes qui n’ont aucune expertise, ni expérience dans le domaine de l’aménagement des espaces verts. La manne financière issue des projets verts dans la ville n’a donc pas profité directement aux professionnels qu’ils sont. « C’est surtout les représentations diplomatiques accréditées au Niger qui nous commandent des prestations. Il y’a aussi les ONG et des particuliers », reconnait M. Yoni Fayçal Mahamadou. Les structures précitées constituent à elles seules, le principal pilier qui soutient l’ensemble du métier de fleuriste-décorateur et paysagiste. Si l’on n’y prend garde, alertent les professionnels, l’innovation dans le secteur risquerait d’en pâtir profondément.
Le plus choquant pour M. Yoni Fayçal Mahamadou, c’est le désintéressement collectif de l’ensemble des projets et programmes de formation professionnelle et de réinsertion des jeunes au Niger. « Durant tout le temps que j’exerce et malgré mon niveau académique, je n’ai jamais vu un projet ou un programme s’intéresser à nous ou à ce que nous faisons. Il n’y a jamais eu un seul qui nous a approché pour nous proposer une formation complémentaire ou même nous demander de former des jeunes pour faciliter leur insertion socioprofessionnelle, malgré l’engouement de la population aux aménagements verts », déclare-t-il. De même qu’il reconnait que jusqu’à présent, des jeunes nigériens ont toujours des préjugés sur le travail de fleuriste-décorateur et paysagiste des aménagements verts.
Le manque d’encadrement des professionnels entrave aussi le développement véritable de cette profession dans le pays. Cela a conduit une maitrise douteuse du traitement phytosanitaire par la plupart des fleuristes-décorateurs, des pépiniéristes et de leurs clients. «Les sols que nous utilisons pour nos pépinières peuvent être de mauvaise qualité ou ne pas convenir aux plantes et fleurs qu’ils devaient recevoir. Ce qui fait que les plants meurent souvent….. On ne discute pas de l’entretien phytosanitaire avec les clients. Ceux qui viennent acheter font donc ce qui les arrange le plus, sans se soucier du reste », a affirmé M.Aboubacar, en plus de la disponibilité permanente des plants et des produits phytosanitaires qu’il a relevé.
Le complexe développé par une frange de plus en plus minoritaire, ne doit pas être la cause d’une mise à l’écart du secteur, plaident les acteurs qui vivent mal cette stigmatisation qui se manifeste jusque dans les rouages de pans entiers de l’administration publique.
« Vous savez que nous les nigériens, nous avons des complexes, voire des préjugés. La plupart des jeunes qui grandissent en mangeant à leur faim refusent de se salir ou de faire du travail manuel jusqu’à ce qu’ils finissent par devenir des paresseux. Heureusement, je constate que la jeunesse nigérienne commence à prendre conscience. Elle regarde et apprend sur les autres. C’est pourquoi de plus en plus de jeunes acceptent maintenant d’exercer à nos côtés », se réjouit le jeune fleuriste-décorateur Aboubacar.
M. Abdourahime, qui aime se décrire comme un « exodant repenti », se frotte lui les mains. A 25 ans révolus, il avait décidé de rentrer au pays afin de réaliser enfin un projet social viable. Très tôt, son retour du Nigeria se transforma en cauchemar dans les rues de Niamey. Le commerce ambulant qu’il a choisi s’étant révélé moins profitable à cause de la morosité économique de ces derniers temps. Il a donc répondu positivement à l’appel de son oncle pour être « apprenti fleuriste », dit-il avec humour. Moyennant une paie mensuelle de 15.000F CFA, il avait pour tâches de s’occuper de l’arrosage des plants, de s’occuper de l’entretien des pépinières et d’assurer la permanence pour la vente en l’absence du patron.
Aujourd’hui, il dit avoir trouvé sa vocation dans le métier de fleuriste-décorateur et rêve de devenir plus tard, paysagiste de l’aménagement des espaces verts. « Pour mes premiers pas dans le métier, mon oncle m’a juste montré comment faire un arrosage optimal et m’a expliqué les prix de vente afin que je puisse assurer la permanence. Deux mois après, je commence aujourd’hui à me familiariser avec le repiquage et l’entretien des plants », dit-il fièrement, et de préciser qu’il a découvert qu’il avait la main verte. Il reconnait aussi qu’il lui reste du chemin à parcourir et se dit conscient qu’il doit marcher et non courir et se concentrer sur son apprentissage, sans se soucier du comportement moqueur de certains jeunes qu’il voit défiler à longueur de journée sur les rivages du fleuve Niger.
M. Abdourahime est reconnaissant d’avoir quitté le Nigeria et son insécurité chronique et de faire finalement quelque chose qu’il apprécie et qui l’apaise. « On prie que Dieu fasse que les jeunes qui sont encore réticents comprennent que ce travail est aussi un moyen de lutter contre le chômage et la pauvreté. Je connais tellement de gens qui s’en sortent grâce à ce métier », s’exclame-t-il. De son côté, M. Yoni Fayçal Mahamadou invite les jeunes à venir travailler avec les paysagistes ensemble sur l’aménagement de la ville, avant d’exporter les compétences vers l’intérieur du pays. « Avec le climat qu’on a, note-t-il, si chaque citoyen décide d’aménager en espace vert sa devanture, cela aidera fortement à l’embellissement de la ville ».
Par Souleymane Yahaya(onep)