L’avènement de la menace terroriste dans la région de Diffa a conduit à l’interdiction de la pêche sur le lac Tchad et la rivière de la Komadougou. Quelques temps après, l’activité a repris, malgré l’insécurité, avant d’être encore suspendue. Aujourd’hui la pêche est autorisée, depuis quelques mois, sous réserve de non utilisation des pirogues. Le business reprend ainsi avec des poissons provenant des pêcheurs du lit du lac Tchad, appelés korawa dans la région, limités dans leur prise. C’est mieux que rien, en effet, pour ceux qui étaient au chômage, sachant qu’il fallait prévenir les risques que ce business n’alimente le terrorisme, comme alertèrent certaines études sur le conflit de Boko Haram.
AAvant l’avènement du terrorisme dans la région, le business du poisson était si florissant qu’« en un seul jour, avec des bons moyens de bord, un pêcheur peut faire un chiffre d’affaires de plus de 100.000FCFA », confie le président des pêcheurs nigériens du lac Tchad, M. Abdoulaye Roro. Selon lui, les pertes sont énormes, à hauteur de millions de francs pour les uns et de centaines de milliers de FCFA pour les autres. Dès le lendemain des premières attaques de Boko-haram à Diffa et à Bosso, il leur a été donné un délai strict d’une semaine pour évacuer les berges du lac où beaucoup avaient des gros stocks qu’ils n’ont pu récupérer.
Abdallah Madou est président d’un groupement de commerçants de poisson du département de Bosso, qui regroupe plus de 300 membres. Pour lui, le marché du poisson était vraiment mort. « Ce business, jadis, faisait vivre les localités de Kinjahindi et de Kablewa en particulier », a-t-il affirmé. C’est dire que la filière poisson était si bien partie, dans la région du lac Tchad. L’on y retrouvait même des facilitateurs ou intermédiaires qui fluidifient le flux du marché, intense qu’il était. Malam Abdou Ari Madou est de ceux-là qui démarchent pour les exportations du poisson à Diffa. « C’est vrai, à un certain moment, le circuit avait commencé à profiter aux terroristes qui prélevaient une sorte de taxe aux exportateurs », a-t-il reconnu.
L’autorisation de l’activité sans usage de pirogue se traduit par la faible disponibilité du poisson sur le marché. Toute chose qui a aussi fait grimper son prix. « Dieu merci, nous avons le minimum avec les pêcheurs. C’est peu certes, mais cela nous permet de maintenir le business », dixit Modou Ibrahim, président des commerçants de poisson de Diffa, rencontré ce mercredi grand jour hebdomadaire du marché de Diffa. Par ailleurs, ici, au niveau de leur marché spécial, sis au sud de la RN1 à l’entrée ouest de la ville, il n’y a pas de petit jour de marché, tous les jours sont forts opportuns pour de beaux chiffres d’affaires. Seulement, les commerçants ne se remettent pas sitôt du coup dur qu’a subi leur filière, indique le vieux Modou, assis royalement sous le hangar de sa fada, entouré des membres de l’association qu’il préside. Selon lui, beaucoup manque de capital à présent. « Les gens ont dépensé les capitaux. Certains n’ont plus rien à faire tourner. Et le marché il faut de l’argent (du capital) », a-t-il expliqué.
« Notre poisson devait profiter à la consommation du pays, d’abord… »
Le poisson de Diffa est en grande partie exporté vers le Nigéria voisin. Chaque jour, c’est une dizaine de véhicules chargés, chacun, d’environ 50 gros cartons à 100.000 nairas l’unité (soit 110.000FCFA). Les commerçants nigériens réalisent des bénéfices de 5.000 à 10.000FCFA sur les gros cartons et sacs de poissons, mais une fois à destination le poisson double presque son prix au profit des preneurs nigérians. « C’est cela notre gros problème. Si l’on pouvait s’ouvrir facilement aux autres régions du Niger, nous serions plus forts. Notre poisson est beaucoup plus recherché au Nigéria, notamment à Maiduguri et Gaidam. Notre grand souhait reste quand même l’ouverture au marché national. Notre poisson devait profiter à la consommation du pays d’abord », estime le président des commerçants du poisson de Diffa, M. Modou Ibrahim. Il salue, à cet effet, l’initiative de la création imminente d’un marché moderne de la filière à Diffa, un projet dans lequel les organisations des pêcheurs, mareyeurs et commerçants de poisson sont pleinement impliquées afin de faire prendre en compte leurs attentes pour le développement de la filière. «Nous sommes convaincus que ce marché verra le jour. C’est justement ce qu’il nous faut. Et cela profitera à tout le monde », disait Abdallah Madou, président du groupement des commerçants de poisson du département de Bosso.
Le poisson vient tout frais au marché spécial d’où il sort ensuite fumé et emballé dans des cartons ou des sacs. Le marché moderne permettra, sans nul doute, en plus de contrôler la filière dans le contexte, de surpasser les méthodes artisanales de fumage et emballage. Les commerçants fondent espoir que la filière poisson retrouvera son meilleur cap, pour ainsi relancer l’économie de la région. « Ici à Diffa, le poisson c’est comme de l’or. Il a plus de valeur que le poivron, le riz etc. Si ce n’est pas le poisson qu’est ce qu’on peut vendre à plus de 100.000FCFA le sac », s’interroge Modou Ibrahim qui encourage l’Etat et invite les partenaires techniques et financiers à remettre l’activité sur le rail. « Le bon matériel de la pêche est si cher (plus de 100.000FCFA), beaucoup de pêcheurs n’en ont pas. Les commerçants et les mareyeurs n’ont pas assez de moyens pour saisir les petites prises tout au long des berges du lac et de la rivière», explique le président des commerçants de poisson de la ville de Diffa.
Ismaël Chékaré(onep), Envoyé Spécial