
Au centre artisanal de Tahoua (CAT) des hommes, des femmes et des jeunes ont fait de l’artisanat leur métier, leur quotidien pour la plupart, même si le secteur n’est plus ce qu’il était. Malgré la rareté des clients, bijoutiers, maroquiniers et cordonniers, passionnés de leurs métiers, continuent de confectionner entre autres des colliers en or, argent ou bronze ; des sacs, des portefeuilles, des tapis, des ceintures, des chaussures, en cuir. La galerie est pleine d’objets d’art dans tous les compartiments du centre, mais quelque part une bonne partie visiblement exposée depuis longtemps, est couverte de poussière. Les artisans s’arrachent le peu de visiteurs susceptibles de leur acheter les produits. « Les plus chanceux arrivent à avoir de quoi assurer la popote de quelques jours », dira un maroquinier handicapé.
Le centre artisanal de Tahoua a vu le jour dans les années 1995, à une époque où le tourisme avait aussi le vent en poupe. Aujourd’hui encore, concernant les merveilles, à admirer, on y trouve des objets confectionnés non pas exclusivement à l’image des traditions et symboles de la région. Toutes les 22 croix du Niger inspirent les créateurs qui aussi, faut-il le souligner, sont de toutes les contrées du pays. Mais la tendance aux spécificités locales est assez remarquable. Ici, comme partout d’ailleurs au Niger, l’artisanat était un fleuron attractif, à la faveur du tourisme aujourd’hui malheureusement en perte de vitesse. Les visiteurs qui venaient admirer les merveilles de l’Adar et de l’Azawak nigérien répartaient avec, comme souvenir, des divers produits artisanaux du terroir.
L’insécurité et ses corolaires ont fait subir des lourdes conséquences au secteur. Les artisans, organisés en coopératives et union, tentent de maintenir la flamme de leur métier. « Nous cherchons des marchés, à l’occasion des réunions et ateliers, pour fournir des classeurs. Nous avons aussi des jeunes à qui nous confions nos articles pour sillonner la ville, les gares et les marchés notamment. Aussi nous les exportons, peu-à-peu, lors des foires en Europe où personnellement je passe des séjours allant jusqu’à 3 mois souvent, avec le soutien de nos partenaires. Cette opportunité nous est elle aussi brisée avec l’avènement de la pandémie. Du reste, nous expédions à la demande de la diaspora », explique Halilou Elh Daoud, président de l’Union des coopératives du centre artisanal de Tahoua. L’association regroupe depuis 15 ans quatre coopératives à savoir celle des femmes artisanes, la coopérative des handicapés artisans, la coopérative des maroquiniers et cordonniers et celle des bijoutiers.
L’ironie du slogan « consommons local »

L’artisanat c’est avant tout un métier, autant que l’activité contribue à résorber le chômage et participe, peu soit-il, à l’économie locale et nationale.
« Seulement aujourd’hui nous sommes confrontés à un sérieux problème d’insuffisance de débouché. Les touristes qui sont nos grands clients ne viennent plus. Quand le tourisme abime nous subissons les conséquences directes. Nos produits attirent plus les étrangers et ils ne viennent pratiquement plus », soupire, avec insistance, le président de l’union des coopératives du centre artisanal de la ville de Tahoua.
Pour Halilou Elh Daoud le slogan
« consommons local » doit se traduire en acte, que l’Etat, les autorités en donnent l’exemple, en portant le
« made in Niger ». C’est en cela, dit-il, que l’Etat ferait véritablement la promotion de nos produits. « Nous restons toujours attachés à nos valeurs, notre originalité. Nos articles sont de grande qualité et résistent mieux dans le temps. Nous avons des bijoux, des colliers de plusieurs gammes, des articles en cuir pur etc. Ce sont des objets qu’on porte quotidiennement mais paradoxalement les gens préfèrent des pacotilles et synthétiques importées. Ce sont nos articles du terroir qu’on offre en cadeau aux délégations qui viennent pour des événements ou des rencontres. Mais, ce n’est qu’occasionnel. Pour le marché local, vers lequel nous sommes obligés de nous consacrer il n’y’a pas une véritable stratégie de promotion», estime le représentant des artisans. Selon lui, les foires périodiques sont loin de permettre au secteur de maintenir sa flamme.
« Nous continuons à croire à ce métier qui nous a tant donné. Grâce à ce métier, il n’y a pas ce que nous n’avons pas eu. L’artisanat a longtemps fait notre bonheur. Beaucoup d’entre nous ont voyagé un peu partout dans le monde. Nous avons fait des bons chiffres d’affaires, nous avons des Elhadji ici », se réjouit le président de l’Union des coopératives d’artisans, Halilou Elh Daoud.
La survie du métier de cuir en question
« Nous fabriquons des chaussures traditionnelles en cuir, communément appelées Balkas. Nous faisons aussi d’autres modèles de chaussures comme sandales, babouches et souliers. Nous sommes 43 dans ce compartiment. Nous sommes obligés de nous entraider, quand il y’a des projets ou des commandes importantes, nous nous mobilisons pour le faire au titre de la coopérative. Mais la plupart du temps nous travaillons individuellement, et chacun se débrouille pour vendre. Au besoin, la coopérative rachète les articles de ses membres », indique, pour sa part Ali Salao, président de la coopérative des cordonniers et bottiers du centre artisanal de Tahoua. « Ce cuir, explique l’artisan, c’est la peau travaillée des petits ruminants ; les talons sont faits de peaux de bœufs. Nous nous approvisionnons à l’abattoir de la ville », précise le président de la coopérative des cordonniers et bottiers.
Il y’a un projet qui les a dotés de machine pour traiter le cuir. Mais, à présent, le grand souhait des cordonniers et bottiers qui préfèrent travailler en association, c’est d’acquérir la machine à coudre pour chaussure. « Les Balkas sont à 10.000 FCFA voire 15.000FCFA. Les prix de nos sandales varient de 3.500 à 6.000FCFA. Les babouches, il y’en a pour 5.000FCFA, pour 6.000FCFA et pour 7.000 FCFA. Sur commande nous faisons des modèles spéciaux allant de 10.000FCFA la paire, à 40.000 FCFA voire plus », apprend-on. Actuellement, un seul cordonnier-bottier fabrique en moyenne 2 paires de chaussures par jour. Pour les modèles spéciaux, une seule paire peut prendre à l’artisan 2 à 3 journées.
« Dans la semaine chacun peut vendre 3 chaussures de bas de gamme (3.000FCFA à 3.500FCFA), à travers les vendeurs ambulants. C’est ainsi que nous tenons », confie Ali Salao.
A la fleur de l’âge, le cordonnier Ali Salao se soucie de l’avenir de son métier. D’un regard perdu, il nous fait constater qu’il y’a beaucoup moins de jeunes dans leur cercle. Le peu de jeunes qui les fréquentent le font sans intérêt pour l’apprentissage. « Ils viennent juste pour prendre et aller sillonner la ville pour nous les vendre. En réalité ce métier n’est plus attractif. D’antan, ce fut un savoir-faire qui se transmettait de père en fils, c’est-à-dire de manière héréditaire. Au temps fort du tourisme, tout le monde s’y intéressait. Mais aujourd’hui, hélas même parmi ceux qui sont sensés le tenir de leurs parents, certains n’en éprouvent aucun intérêt. Sinon, vous trouveriez ces lieux pleins de gens », regrette l’artisan avoisinant la soixantaine.

« Si on veut véritablement lutter contre la mendicité, il faudrait acheter nos articles », dixit un maroquinier locomoteur
Jusqu’au niveau du bâtiment des maroquiniers handicapés, les attitudes sont timides, mais les mains continuent de travailler. Ici, la spécialité porte sur les sacs, classeurs et les parte-feuilles en cuir. « Le marché ? Nous ne pouvons que remercier Dieu, quoi qu’il en soit. Sinon, le business a beaucoup régressé. Nous essayons de diversifier nos créations. Aujourd’hui, nous confectionnons même des sacs pour ordinateur. Mais hélas, les clients se font encore rares. Nous voulons que notre économie prospère et nous ne nous faisons pas la promotion des produits de notre terroir, c’est ça la réalité », ajoute Elh Ibrahima Amadou, membre de la coopérative des artisans locomoteurs (en situation de handicap) au centre artisanal de Tahoua. Sa structure existait, sous une autre forme, depuis 1989, bien avant la création du centre en 1995.
« Nous sommes étonnés d’entendre que les autorités mènent une lutte acharnée contre la mendicité. Or, parmi les personnes vulnérables à cette indésirable pratique, il y’a surtout les personnes handicapées, dont nous qui avons choisi de gagner dignement nos vies. Cette lutte ne peut se faire avec la faim. Nous-mêmes qui paraissons les plus résilients, voilà où nous en sommes aujourd’hui », se plaint le brave handicapé locomoteur. Il déplore que lors des séminaires, des ateliers, des forums et autres rencontres, très souvent c’est des cartables en plastique importés que les organisateurs distribuent aux participants. Ce marché, si on le confiait aux artisans locaux, ce serait, dit-il, un grand encouragement, à leur métier. « Si on veut véritablement lutter contre la mendicité, il faudrait acheter nos articles. Nous les voyons à la télé, dans l’écrasante majorité, c’est des sacs importés qu’ils ont », s’irrite le maroquinier handicapé locomoteur, Elh Ibrahima Amadou.

« Quand on ne t’achète pas tes articles, tout ton savoir-faire, ta performance, est sans plus-value. Certains de nos sacs ici, sont là depuis deux ans. Ce sont les portefeuilles, porte-clefs, et autres gadgets qui nous font tenir. Nous vivons au jour le jour. On ne parle pas d’épargne, ce que nous gagnons maintenant par chance, 1.000 FCFA, 1.500 FCFA à 2.000 FCFA, couvre à peine les besoins alimentaires de nos familles », confie Elh Ibrahima Amadou.
La mode, le salut des femmes maroquinières
Les femmes ont aussi leur quartier général dans l’enceinte du centre artisanal de Tahoua. L’emplacement du compartiment n’est pas à la façade d’entrée, mais leur présence est indéniable. Très actives, malgré les temps durs du business d’objets d’art, les artisanes de la coopérative Tounfannana (notre profit) des femmes maroquinières du centre se retrouvent chaque jour, comme c’est le cas en cette matinée du 13 février 2023. Elles sont au total 63 femmes dans l’association. D’autres travaillent chez elles tout en gardant le contact avec la structure.
« Le marché est incertain. Nous avons commencé à nous intéresser à la tendance, notamment sur les accessoires de beauté de la femme. Notre spécialité était la confection des albaïs, des cartables. Nous faisons maintenant surtout des ceintures et des chaussures pour femme. Certaines parmi nous peuvent réaliser des chiffres mensuels allant de 50.000 FCFA à 80.000 FCFA », indique Mme Ghaichattan Hamadittan, présidente de la coopérative des femmes maroquinières du centre artisanal de Tahoua. Pour avoir une idée du modeste bénéfice de ces femmes créatrices, il faudrait notamment tenir du coût d’une douzaine de pièces de peau tannée qu’elles achètent à environ 2.000FCFA l’unité, et de quelques objets de décor sur les articles.
La régression de l’artisanat est d’une part liée à la prolifération de nos métiers. De partout, les gens inondent les places de marché, au détriment de nos centres qui devaient servir de références. « C’est pourquoi nous nous sommes orientées à faire des articles tradi-modernes qui se vendent rapidement, telle que la ceinture qui est de plus en plus portée par les jeunes filles de la zone à l’occasion des cérémonies de baptême et mariage », explique-t-elle.
Selon les artisans, l’accompagnement en matériel technique et fonds ne peut pas à lui seul permettre de relancer le secteur. « C’est comme si on semait du son », la promotion à travers l’exemple s’impose. En effet, dans tous les compartiments, les galeries sont pleines de merveilleux objets d’art, des articles qui n’ont rien à envier aux plastiques, «synthétiques », et cuirs « frelatés ».
Par Ismaël Chékaré, ONEP-Tahoua