Boubacar Poullo ...
Le Festival de l’Aïr n’est pas seulement un espace dédié à la culture touarègue, mais à la culture nigérienne dans son ensemble, parce que c’est la cohésion sociale qui est mise en avant. Boubacar Boubé, plus connu sous le nom de Boubé Poullo, rencontré sur le site Mohamed Aitock d’Iférouane du Festival de l’Aïr, est venu de Maradi pour pour prendre part à l’événement. Dans ses chansons, toutes en fulfuldé, il prône la paix et la cohésion sociale. Cet artiste a accepté de nous entretenir sur son parcours, sa vision et son combat pour la refondation du Niger à travers la musique.
Le début de la carrière musicale de Boubacar Boubé, dit Boubé Poullo, remonte aux années 1990 à Ingall (Agadez). Il intègre le groupe de musiciens d’Abdallah Mbadou alors qu’il était au collège. C’est à partir de là qu’il a appris la guitare et développé son amour pour la musique, surtout la musique touarègue du nord du Mali et du nord du Niger. Boubé Poullo maîtrise en effet la guitare solo et la basse. Il était partagé entre la musique et les études. Mais l’avènement de la rébellion a bouleversé son élan et il a quitté Ingall pour aller s’installer à Maradi. Un autre chapitre de son histoire s’ouvre. Son amour pour la musique a fait qu’il a continué tant bien que mal sa carrière, mais, cette fois-ci, il a abandonné la guitare pour un instrument de musique typiquement peulh et a opté pour l’interprétation de toutes ses chansons dans la langue fulfuldé. Parlant de son parcours professionnel, il a fait savoir qu’avant de commencer la musique, il faisait partie des meilleurs élèves de son établissement et nourrissait l’espoir de fréquenter le prestigieux Lycée d’Excellence. « Je me voyais déjà parmi les élèves de la troisième promotion du Lycée d’Excellence. Mais, la musique a pris le dessus et j’ai finalement abandonné les études », raconte Boubé Poullo. Il compose et offre même certains de ses titres à d’autres artistes nigériens.
Aujourd’hui, avec la situation sécuritaire grandissante qui prévaut au Niger, un pays autrefois envié pour sa tranquillité, sa paix et la cohésion sociale, Boubé a décidé de faire de la musique un engagement citoyen. Convaincu que la culture joue un rôle important dans les grands chantiers sociaux et politiques du pays, Boubé Poullo s’est donné pour mission d’éveiller, rassembler, sensibiliser et orienter la jeunesse nigérienne, en particulier la communauté peulh, à travers la musique. Actuellement, il a à son actif plus de 60 chansons, toutes interprétées en fulfuldé ; il s’adresse directement à sa communauté. Pour Boubé Poullo, la musique est le moyen le plus efficace de toucher les consciences. « La musique peut aller loin, elle peut toucher les peulhs là où ils sont. Et j’ai pris cette décision de toucher le problème du doigt », confie-t-il.

Aussi, dans un contexte marqué par les défis sécuritaires, sociaux et identitaires, la sensibilisation est, selon l’artiste, plus que nécessaire. « En tant que peulh, la situation dans laquelle nous sommes surtout, nous avons vraiment besoin de l’appui de tout un chacun. C’est pourquoi, j’ai jugé utile de sensibiliser en personne les frères peulhs », explique Boubé Poullo.
Persuadé que c’est là sa contribution la plus utile pour le pays, il finance lui-même ses déplacements pour participer à ce genre de rencontres, qui sont des espaces d’expression citoyenne, afin de partager sa vision avec les autres Nigériens et même des étrangers venus pour la circonstance, et sensibiliser les jeunes sur la cohésion sociale. « C’est tout ce que je peux faire pour mon pays », souligne-t-il.
À travers ses chansons, l’artiste appelle les Nigériens de tous bords, agriculteurs, éleveurs, étudiants, leaders religieux et communautaires, à s’impliquer dans la construction d’un Niger stable, uni et indivisible. « Je suis sûr et certain que la stabilité et surtout la cohésion sociale ne sont pas l’objectif de nos autorités seulement. Ça doit être, pour nous tous, notre objectif. Et cette refondation, si nous voulons qu’elle soit une refondation réussie, il faut l’appui de tout un chacun. Il faut qu’on s’implique, en chair et en os », reconnaît-il.
Aujourd’hui, il se donne la lourde mission de faire quelque chose pour sa communauté peulh, surtout la jeunesse, puisque bon nombre d’entre eux n’ont pas eu la chance de fréquenter les bancs de l’école et, du coup, ils sont exposés à des manipulations de tout genre. « Je m’appuie sur cette musique pour prôner la paix et dire à mes frères peulhs voilà ce qu’il faut faire. Le temps a vraiment évolué. Il faut que nous changions nos mentalités aussi », a-t-il fait savoir. Pour Boubé Poullo, beaucoup utilisent la religion comme prétexte pour faire leurs forfaitures, alors que l’Islam n’est nullement synonyme de violence ou de criminalité. C’est une religion naturellement de paix et verser le sang ne saurait être couvert au nom de la foi. « Si réellement nous sommes de vrais musulmans, la paix doit être dans nos cœurs », affirme-t-il. C’est pourquoi, il appelle ses frères à faire preuve de détermination, à refuser toute manipulation. Dans ses chansons, il aborde sans détour ces dérives, rappelant les valeurs essentielles de la communauté, en particulier le « Pulako ». Ce concept, difficile à expliquer en français, renvoie au respect, à la dignité, au savoir-vivre et à la paix. « Quand on parle de “Pulako”, le peulh sait de quoi il s’agit », dit-il. C’est pour cela qu’il met ce code moral en avant pour sensibiliser ses frères et sœurs sur l’importance de la paix, leur faire comprendre que la paix et la stabilité sont les meilleures richesses d’un pays ou d’un peuple. « Je dis à ma communauté de faire très attention, nous n’avons pas un autre pays plus que le Niger, nous n’avons pas une terre qui dépasse le Sahel. De ne pas donc écouter ceux-là qui veulent à tout prix voir notre pays en flammes alors qu’ils vivent paisiblement dans leurs pays. Là-bas, chez eux, tout le monde dort bien, mange bien, mais nous, par contre, ici, nous sommes pourchassés dans les montagnes, dans les forêts, nous nous entretuons. Un peulh, de nature, n’est pas un criminel et, l’Islam n’est pas synonyme de violence ; au contraire, la religion prône la culture de la paix », explique Boubé Poullo.
Aïchatou H. Wakasso (ONEP)
