Les images des femmes et des enfants nigériens sans chaussures se livrant à la mendicité et encombrant la circulation routière sur certaines artères de Dakar telles que récemment montrées par une chaîne de télévision ont été un grand choc pour nous tous. Ces images abondamment transportées par les réseaux sociaux ont provoqué une profonde blessure dans notre amour propre et notre fierté.
Nous fûmes tous envahis par un sentiment de honte et de réelle désolation, nous interrogeant sur ce qu’un tel phénomène peut bien signifier. Passé le choc, nous avons dû nous résoudre à regarder l’ignominie en face et nous rendre à l’évidence : la mendicité, dont il est question a un label, il s’appelle Kantché ; car à l’heure de vérité, il faut appeler un chat un chat ! Nous avons fait beaucoup de « roufa-roufa », ça n’a servi à rien. En effet, cela fait des années déjà que nos frères du département de Kantché et désormais de Magaria ont pris l’habitude de s’adonner à une activité bien singulière consistant à faire partir leurs femmes et leurs enfants par milliers vers les destinations les plus éloignées et les plus périlleuses pour se livrer, on a de la peine à le croire, à la MEN-DI-CI-TÉ. À mesure que le temps a passé cette activité a pris de l’ampleur et la fonction créant l’organe, c’est toute une ingénierie qui s’est mise en place. La mendicité est devenue une activité lucrative criminelle avec ses réseaux transnationaux complexes.
Aujourd’hui, bien des villes du nord de l’Algérie et des capitales des pays de l’Afrique de l’ouest sont investies par des grappes de femmes et d’enfants nigériens vivant dans des conditions infrahumaines. À l’évidence, ces femmes pauvres et ces enfants déshérités ne sauraient par leur propres moyens s’assurer les frais de voyage sur parfois plus de 4000 km. S’ils sont capables de mener de tels voyages, c’est qu’ils sont forcément pris en charge par des réseaux bien organisés. Et ces réseaux de trafics d’êtres humains se servent de ces femmes et de ces enfants ainsi que de leur misère exposée comme un moyen pour se faire de l’argent et même beaucoup d’argent.
Après les images de Dakar, le gouvernement a réagi avec promptitude. Ce week-end en 2 vols ce sont 1053 personnes qui ont été rapatriées de Dakar, dont 478 enfants, 413 femmes et 162 hommes. Une partie importante de ces personnes sont ressortissantes de Kantché, les autres venant pour l’essentiel de Magaria. Suite aux vérifications des identités des personnes les autorités ont découvert un certain nombre de choses honteuses que nous n’avons pas le droit de taire. Ainsi, certains des enfants sont loués à des femmes migrantes à des sommes qu’elles sont tenues de renvoyer mensuellement aux pères des malheureux enfants. Certains hommes envoient à la mendicité
plusieurs de leurs épouses à la fois ainsi que de leurs enfants vers diverses destinations dans le monde. Interrogée, une femme retournée de Dakar a répondu naïvement que son mari se sert de la récolte de la culture annuelle pour se marier avec des jeunes filles qu’il envoie par la suite dans les réseaux de la mendicité. Pour de tels hommes, se marier, divorcer et faire des enfants est devenu une activité économique criminelle. Nous avons de la peine à croire que cela puisse se passer dans le Daoura, une des plus vieilles terres d’implantation de l’islam dans notre pays. Il est inimaginable et totalement scandaleux que des musulmans puissent envoyer leurs femmes et leurs enfants, parfois des nourrissons traverser le Sahara dans des embarcations clandestines périlleuses pour se retrouver à mendier dans le froid des villes algériennes du bord de la Méditerranée.
Ces choses doivent s’arrêter ! Le Président de la République, en ce qui le concerne en faisant immédiatement ramener les mendiants de Dakar a accompli son devoir. Le gouvernement a mis en place un plan pour ramener tous ceux qui qui errent dans différents pays de la sous-région. Mais il ne suffit pas de les ramener pour les voir, comme par le passé, dès le lendemain tomber dans les circuits des réseaux criminels prompts à les retourner d’où ils reviennent.
Dans ce trafic, les responsabilités des chefs coutumiers et des chefs religieux d’où partent les migrants sont totalement engagées. Les autorités municipales et les autorités administratives portent elles aussi une responsabilité coupable dans ce naufrage de l’honneur, de même que nos forces de sécurité en charge de la surveillance du territoire. Si la législation conçue pour réprimer ce phénomène, comme il se doit, comporte des lacunes, il faudra alors instamment la réformer pour mettre à la disposition des juges les instruments appropriés permettant de réprimer vigoureusement cette dérive.
Mais au-delà de tout ça, le vrai problème qui nous est posé est celui de savoir si notre société a le droit de permettre à un homme irresponsable de nouer des mariages à sa guise, de faire 40 voire 50 enfants qu’il n’a pas l’intention de nourrir à plus forte raison d’éduquer. En 1960 nous étions le 3ème pays le moins peuplé de l’Afrique occidentale française, aujourd’hui nous sommes le 2ème pays le plus peuplé, juste derrière la Côte d’Ivoire que nous allons dépasser bientôt. Cette croissance démographique mise en rapport avec notre économie est une dramatique équation qu’il nous faut résoudre. Faute de quoi, nous serons condamnés à envoyer notre trop-plein de nous-mêmes vers nos voisins proches et lointains. Être exportateur de misère est un pari impossible.
Le Président Kountché avait perçu le problème en 1981 déjà lorsqu’il avait lancé son appel de Matamèye sur la nécessité de réduire notre natalité. Comment ne pas penser à lui aujourd’hui et comment ne pas se remémorer des mots justes qu’il avait utilisés pour nous alerter sur les menaces auxquelles nous étions exposés ? Le Président Bazoum se doit de reprendre les choses telles que l’appel de Matamèye les avait énoncées. Mais cette fois-ci, pour que nous agissions, et ce de façon vigoureuse ! En commençant par réprimer sévèrement tous les pères infâmes, les acteurs des réseaux criminels de la traite des personnes et les responsables laxistes et incompétents identifiés à tous les niveaux de responsabilité. La pauvreté n’est pas une fatalité. Pour cela nous devons avoir une natalité responsable, telle qu’exigée par notre religion. Pour cela, nous devons promouvoir l’éducation, telle que le préconise le Président de la République.