L’édition 2019 de la Cure Salée a battu son plein, du 13 au 15 septembre 2019 à In’Gall. Comme pendant les années antérieures, ce sont des milliers d’éleveurs, venus d’horizons divers, qui se sont retrouvés sur les terres salées d’In’gall pour cette importante manifestation dédiée au monde pastoral. En plus de la promotion des valeurs culturelles des nomades, le Gouvernement entend donner un cachet particulier à la Cure Salée pour faire de cet évènement annuel un véritable outil de développement et de consolidation de la Paix dans notre pays. Cela se fera, entre autres, à travers l’amélioration de la productivité de l’élevage par la résilience des producteurs pastoraux, la promotion et la valorisation des produits agro-pastoraux et artisanaux nigériens, etc. D’où la pertinence du thème retenu pour cette édition 2019, à savoir : «le secteur de l’élevage face aux défis sécuritaires et climatiques : stratégie de résilience». L’histoire de ce grand rassemblement annuel des éleveurs, appelé aussi Tinekert, est intimement liée à celle de la région d’Agadez et de la ville d’ In’Gall . C’est à ce voyage à travers les siècles que vous convie notre reporter.
La petite palmeraie d’ In’ Gall, lieu de rassemblement annuel de la Cure Salée ou Tinekert, est située à 160 km au sud-ouest d’Agadez. À mi-chemin entre Agadez et Tahoua, elle se trouve dans la dépression périphérique de la falaise de Tiguidit. Cette falaise bien marquée par un arc de cercle au Sud-Est d’In ‘Gall est morcelée. Elle forme des avancées et des retraits et a atteint sa courbure à Marandet.
De ses reliefs dévalent des koris qui charrient les eaux de pluies. Elles se déversent ensuite dans la plaine de l’Ihrazer Wan Agadez qui les drainent vers le Tamesna, grossis pendant l’hivernage des crues souvent violentes d’affluents venus de l’Aïr. Les crues qui dévalent de la falaise de Tiguidit modifient chaque saison la palmeraie d’In Gall, en arrachant les dattiers des rives convexes.
Dans cette zone, le temps a fait son œuvre. Sous des climats pluvieux, des alluvions se sont déposés aujourd’hui pour devenir des argiles colorées qui font la beauté des plaines aux horizons infinis sur lesquels se détachent des buttes de grès, sentinelles avancées de la falaise de Tiguidit , des lits de kori et des bancs de sables merveilleux, secrets, insolites , lieux enchanteurs ou féeriques qui se sont révélés en de fabuleux trésors touristiques.
Entre ces reliefs, s’étend une immense plaine parsemée d’îlots, qui avance vers des falaises de grès du Tégama, deTiguidda et la montagne d’Azuza qui se trouve au-delà de l’Irhazer. Dans l’îlot central, moins élevé, le grès apparait à nu et les sources, profitant de ces cassures, émergent des creux des rochers de Tiguidda , Gélelé et Azelik. C’est aussi le début de l’ancienne vallée fossile de l’Azawak, qui serpente jusque dans le Dallol Bosso.
À la croisée des grandes routes caravanières, In’ Gall, tel un mirage qui surgit des grands espaces désertiques, a été bâtie en contrebas de la colline Awalawal. Aujourd’hui, la perle de l’Irhazerwan-n- Agadez tente de donner un sens à son destin.
La ville des Ighallawas ne semble pas oublier un passé qu’on évoque assez souvent comme si le temps s’est arrêté à une époque récente de son apogée. Blottie entre une palmeraie et une ceinture verte, la cité d’In’ Gall se laisse découvrir dans toute sa splendeur et ses mystères. Le brassage des populations du sud et du nord donne davantage à la localité son cliché passé et présent.
Grâce au florissant commerce caravanier, In’Gall fut une plaque tournante des activités socio-économiques de Tahoua, Agadez d’une part, et Assamaka, Tamanrasset et Arlit d’autre part. Le commerce des dattes, du sel et des produits pastoraux a été florissant à un moment donné de l’histoire.
En effet, cette localité allait se développer si le ‘’déclin’’ économique ne lui était pas arrivé droit comme le couperet d’une guillotine. Elle aurait pu être un très important point de passage et de transit vers le Tchad, sans doute même au détriment d’Agadez. En effet, en 1912, une mission menée par le Capitaine Nieger traça le projet de chemin de fer dit ‘’Transsaharien’’ entre l’Irhazer et l’Aïr, préfigurant l’actuelle route de l’uranium que la métropole avait prévue de construire lorsqu’une décision est prise en 1927 pour annuler cette grande aventure humaine. L’Irhazer finalement ne connaîtra jamais ce chemin de fer. En plus, le tracé de la route de l’uranium considéré comme une lueur d’espoir dans le Sahara viendra ignorer In’ Gall qu’il a déviée d’une soixantaine de kilomètres.
Pourtant, sur le tracé initial, il était prévu que la RTA passe par la cité des In’Gallawas mais, étrange destin ou ironie du sort, la localité fut oubliée par les traceurs de routes de l’époque. Avec la RTA, In’ Gall aurait bénéficié des retombées du trafic routier Tahoua, Agadez, Arlit et devenir un pôle d’attraction économique.
Mettons nos pendules à l’heure de la Tinekert, car la fête a commencé avec l’arrivée des différentes délégations et des groupes nomades drapés dans leurs tenues d’apparat qui se marient remarquablement avec le harnachement de leurs montures.
La ville d’In’ Gall est animée et ses ruelles invitent les visiteurs à la découverte. Comme si le village s’est organisé dans une unité solidaire, pour se protéger des razzias d’une époque révolue. Le vieux noyau urbain conserve ses concessions étroitement serrées, ses ruelles étroites qui forment un véritable labyrinthe difficilement accessible aux visiteurs dans les anciens quartiers de Agafaye, Akoubla, Agazirbéré, Tazaikoyo, Iguiwantalak, Bourgou, Langoussoun Bené, Ataram, Téguef Koyo, etc.
Les populations locales parlent le Tasawaq, très spécifique et à base de Songhay, l’Arabe et le Tamasheq. Dans ces contrées où beaucoup de mouvements de population ont eu lieu, le Songhay, ou un proto-songhay, était sans doute une langue véhiculaire, mais peut-être pas seule, car l’Aïr occupée par des Gobirawa, et le site de Maranda (falaises de Tiguidit), étaient plus vraisemblablement hausaphone. Des traditions orales Hausa les font même remonter jusqu’au massif de Teleginit, non loin d’Azelik.
Toujours est-il que l’Ighazer paraît être à la fois la limite orientale d’un véhiculaire songhay, et la limite septentrionale d’une influence Hausa, dans un espace-temps qui peut être compris entre le VIè et le XVIème siècle. Ce pourrait donc être suite à la destruction de Azelik-Takedda que le Tasawaq serait né et devenu une langue vernaculaire pour des populations « réfugiées » à Agadez et Ingall, leur conférant ainsi une identité nouvelle dans une zone d’influence toujours mouvante, au milieu du XVIè siècle.(Michael J. Rueck&Niels Christiansen – 1998 in ‘’Les langues du Songhay septentrionale au Mali et au Niger ‘’-
Selon Pr A. Aboubacar, dans ‘’Agadez et sa région ‘’, c’est sous le règne d’Askia Mohamed que s’installèrent, dans le sud-ouest de l’Aïr, notamment à In’ Gall et à Agadez, des colonies songhay pour consolider la conquête, mais surtout pour renforcer la route caravanière Gao-Egypte. Les habitants des centres de l’Aïr parlaient une langue très proche du songhay, le Tassawak. Cette langue a survécu et est actuellement parlée à In’gall, mais comporte beaucoup de termes tamasheq et haoussa. Elle était parlée à Agadez jusqu’au XIXème siècle, au passage de l’explorateur allemand Henri Barth. Aujourd’hui encore, le parler agadésien reste très marqué par le songhay. Il en est de même de la toponymie : Hougoubéré, FouneImé, Hougou Farda, Agajibéré, TanuBéré, Obitarat, Tendekaïna, etc.
Le marché local rassemble de nombreux éleveurs peulhs et touaregs autour de quelques commerçants arabes et haoussas et des populations résidentes. On y trouve de beaux harnachements de chameaux, des tissus indigo qu’affectionnent les Touaregs, des bijoux, des fanfreluches, des selles de méhari confectionnées avec art, etc. En effet, la localité d’In’ Gall est très riche en produits artisanaux, notamment la croix d’Ingall ou Tanfuk tan’ Azref (Azref en Tamasheq signifie « argent » apparue, vers le milieu du XXè siècle et qui figure de nos jours au nombre des croix des régions touarègues du Niger comme celle d’Agadez ou Teneghelt qui depuis le début du siècle connait une grande notoriété.
Dans la tradition des Touaregs de l’Aïr et de l’Azawak du Niger, la Teneghelt tan’ Agadez, dénommée par les européens «croix d’Agadez », est l’un des plus anciens bijoux parmi ceux connus actuellement et pendant de nombreuses années le seul à être appelé ainsi et qui a gardé son nom jusqu’à aujourd’hui.
L’artisanat d’art utilitaire, riche et varié, a acquis une notoriété pas des moindres au plan national et international et s’impose sur le site de la palmeraie de In’ Gall. Devant la tribune officielle construite en matériaux définitifs, le tendé résonne, frénétique, et les peulhs bororos ou waddabés animent le guéréwol, la grande fête de la beauté, qui donne l’occasion à des mariages bororos.
Pendant la curée salée, la fête ne s’arrête pas aux seules portes de In’ Gall. Le tendé se fait entendre jusque dans les campements mélancoliques où, des crêtes, l’on est toujours pas surpris de voir de belles silhouettes des méharées touaregs et peulhs surgirent des plaines et des horizons sans fin qui frémissent en mirages où l’on voit se refléter le moindre arbuste ou le chameau de passage, dont les lignes verticales prennent des dimensions sans proportion avec la réalité.
La cure salée est née de l’expansion des pasteurs touaregs vers le sud nigérien où ils avaient établis des relations multiséculaires et qui, chaque année, perpétuent la remontée vers le sud pour revigorer leurs animaux avec la cure dans les pâturages salés de l’Irhazer. Ce grand mouvement de la transhumance pastorale en direction des zones salées est plutôt un mouvement progressif des pasteurs nomades qui s’opère dès les premières pluies et jusqu’à la fin de l’hivernage pour libérer les zones agricoles du sud et exploiter les pâturages du nord.
Le bétail y trouve l’amcheken, plante caractéristique de cette plaine et boit l’eau salée aux sources de Tiguidan Tessoum, de Gélélé, d’Azelik, d’In’abangarit et de Fagoshia. Le secteur de l’élevage constitue la principale activité économique et la source essentielle de revenus des populations de la commune d’In’ Gall, voire du département.
La priorité à l’heure actuelle est de redonner à la cure salée sa vraie dimension économique, sociale et culturelle, s’inspirer de ce qu’elle fut, lui donner une dimension à la mesure des temps modernes et des problèmes des temps modernes, selon le Professeur DjiboHamani.
Autrefois, la cure salée était pour les nomades l’occasion de préparer les transactions avec la Taghlam (caravane de sel), mais surtout de s’entretenir et de traiter avec d’autres caravaniers venus d’horizons nord africains. Des siècles durant, le rassemblement des éleveurs avait servi de cadre non seulement de retrouvailles et d’échanges, mais surtout de règlement des conflits.
La cure salée avait deux dimensions essentielles : le déplacement des troupeaux vers le nord appelé transhumance, la dimension politique qui donnait à l’époque l’occasion d’une grande rencontre dite ‘’Amanen’’ où les nomades réunis autour du sultan réglaient les conflits qui existent entre les différentes confédérations touaregs qui renouvelaient leur allégeance à l’autorité du Sultan.
Cette dimension de la fête a été depuis la nuit des temps la plus importante car elle permettait de régler les problèmes essentiels des populations nomades. L’administration coloniale trouva une occasion rare pour rencontrer les chefs de tribus.
Elle imprima à la rencontre une autre dimension cette fois-ci politique et l’administration nigérienne, à travers la création d’un ministère chargé des affaires sahariennes et nomades confié à M. Mouddour Zakara, prit le relais. Après le renversement du régime de Diori Hamani, la junte militaire arrivée au pouvoir s’est aussi servie de la cure salée à des fins politiques. Elle apporta quelques innovations à travers des vaccinations du bétail. Des conseils sont prodigués par les services d’animation, d’alphabétisation et autrefois par les radios club et la radio Niger.
Le cheptel, composé essentiellement de camelins, bovins, ovins, caprins, asins, équins, est l’élément de base du commerce pratiqué dans l’Irhazer. Les localités les plus importantes des départements d’In’Gall et de Tigidan-Tessoum, qui forment deux ilots sédentaires dans une région occupée uniquement par des nomades, se trouvent dans la dépression périphérique de l’Irhazer, au pied de la falaise de Tigiddit jusqu’aux premiers contreforts de l’Aïr.
In Gall et Tigidan-Tessoum, d’après S. et Edmond Bernus, se trouvent dans une région déjà présaharienne, une terre de contrastes entre les koris, les plaines, une région où la saison des pluies donne la récolte des dattes, alors qu’elle interdit la production du sel très prisé de Tiguidan Tessoum.
L’autre richesse d’In’ Gall, c’est la palmeraie établie sur les terrasses du lit d’un kori (oued) issu de la falaise de grès toute proche. La variété des dattes qui font la notoriété d’In’ Gall dénommée El medina appréciées, consistantes et d’un goût sucré, a été rapportée de Médine par les Isherifen, qui seraient fondateurs d’In Gall.
In’gall a été créée au milieu du XVIè siècle et la période coloniale a commencé avec l’installation d’un poste administratif par le Lieutenant Jean en septembre 1904. La construction du fort commença en 1917 et servit de fort militaire jusqu’en 1941 avant de devenir successivement école coloniale, école publique à l’indépendance en 1960. Cette école fut abandonnée vers 1976 et aujourd’hui sert de Musée d’ossements de dinosaures qui, par manque de financement malgré les richesses archéologiques de la région, n’a aucune renommée.
Le poste administratif (érigé aujourd’hui en département) fut créé en 1956 peu avant l’indépendance, et couvre un espace très vaste qui va de Assamaka, marquant le passage de la frontière algérienne, et jusque vers Tamayya au Sud.
Par Abdoulaye Harouna(onep)