Au Niger, les actes d’état civil sont encore délivrés en format papier et souvent rédigés à la main. Les archives sont consignées dans des registres entassés et conservés dans des armoires poussiéreuses, avec le risque que les actes qui y sont conservés soient abimés. Une situation qui n’est pas sans conséquences sur la vie des citoyens.
La délivrance des pièces d’état civil demeure encore un défi immense pour le Niger. Les citoyens dénoncent le retard dans la délivrance de certains documents d’état civil, la difficulté à rechercher ou retrouver des pièces dans les archives en l’absence d’un système d’interconnexion entre les différents centres d’état civil et la perte de certains documents. Mais le plus évident reste et demeure la lenteur dans la délivrance de ces actes notamment l’acte de naissance. Autant de difficultés qui peuvent être résolues grâce à la numérisation des services d’état civil. En effet, la digitalisation transformera profondément l’administration publique, particulièrement les services d’état civil en les rendant plus diligents et efficaces dans l’accomplissement de leurs missions.
La frustration des usagers se fait ressentir
« Je suis né au Niger, un pays où la délivrance des pièces d’état civil est un véritable parcours de combattant » déclare M. Ibrahim Tanimoune, un père de famille qui n’a que sa voix pour pester. En Septembre 2012, raconte-t-il, suite à la naissance de sa fille à la maternité centrale, le service de déclaration des naissances lui avait notifié que la durée de livraison de l’acte de naissance de sa fille serait de 4 mois. Sachant que ce papier est indispensable pour garantir à sa fille ses droits et son accès aux services sociaux de base, M. Tanimoune dit avoir supporté 4 mois de démarches administratives, de déplacements, de frais, de tracasseries, de corruption, d’incertitude et d’angoisse. Quatre mois durant lesquels, explique-t-il avec amertume, sa fille n’a pas pu bénéficier des soins médicaux nécessaires. Quatre mois pendant lesquels il s’est senti impuissant, humilié et délaissé par son propre pays, une colère resté ancrée en lui et qu’il est loin d’oublier.
En effet, l’incompréhension et la stupeur de ce père de famille sont totales. Quatre long mois de souffrance. « Je ne comprends pas pourquoi le système d’état civil au Niger est si lent, si inefficace, si opaque et injuste, ni pourquoi les autorités ne font pas plus d’efforts pour améliorer la situation et faciliter la vie des citoyens » déclare M. Tanimoune. Et, il n’est pas seul à vivre ce calvaire.
Mme Hadjara Sanda, a connu une toute autre expérience relative à la délivrance du casier judiciaire. En effet, au Niger pour avoir un casier judiciaire, le citoyen est obligé d’aller dans la région où il a été déclaré à la naissance. Ainsi, un habitant de Niamey déclaré dans la région de Diffa est obligé d’effectuer le voyage pour avoir son casier. « La question à se poser reste de savoir pourquoi ne pas numériser ce système ? », se demande-t-elle.
Les conséquences d’un tel système de délivrance de casier judiciaire ont couté à certains citoyens (dont Mme Hadjara Sanda) de renoncer à plusieurs concours du fait de la distance et de manque d’un proche dans lesdites régions. Étant née à Goudoumaria (Diffa) qui fait 1129, 8 Km de Niamey, elle dit avoir un véritable problème pour accéder à ce papier. « Avant il fallait que je me déplace car je n’avais personne sur place qui pouvait me le faire et l’envoyer par courrier, mais depuis quelque temps j’ai eu un contact là-bas qui, après avoir obtenu le document, le scanne pour me l’envoyer. Là aussi après avoir imprimé il faut chercher une signature ici et un timbre » a-t-elle déclaré. Avant d’ajouter qu’il est temps qu’on numérise cet acte administratif pour permettre à chaque citoyen de tenter sa chance à temps dans les concours.
M. Moustapha Gado, quant à lui raconte comment son enfant s’est retrouvé avec deux certificats de nationalité originaux dans la même période. « J’avais demandé à un premier facilitateur de me suivre la procédure après avoir mis à sa disposition les documents de base pour la nationalité de mon fils. Avec cette personne la procédure avait pris trop de temps. J’ai, alors, engagé une autre procédure avec un autre facilitateur. Finalement, à ma grande surprise les deux facilitateurs ont tous pu obtenir le certificat de nationalité pour mon fils », a-t-il confié. Si le système était numérisé ça n’aurait pas permis de faire deux nationalités dans la même période pour une seule personne.
Il en va de même pour la carte d’identité nationale. En effet, la non-numérisation du système fait qu’une seule personne peut disposer d’autant de cartes d’identité dans la même période de validité qu’il le souhaite. Selon plusieurs témoignages, il suffit juste de changer de commissariat de police. D’autres affirment même qu’il est possible de se faire délivrer plus d’une fois une carte dans le même commissariat. Une situation qui traduit le manque de contrôle dans le système.
Une procédure qui arrange certains acteurs
Cette procédure archaïque de délivrance des pièces d’état civil ne fait pas que des mécontents. Elle arrange certains acteurs dans les rouages de l’administration. En effet, pour éviter de se mettre dans les longues listes d’attente et subir tout ce qui va avec comme tracasserie, les demandeurs n’hésitent pas à recourir à la baguette magique « des bras longs » ou « mains huilées ». Par les relations sociales ou par un paiement conséquent de dessous de table, des citoyens arrivent à contourner la longue liste d’attente pour s’octroyer leurs pièces au grand dam de ceux qui attendent patiemment leur tour. M. Rabiou Moussa témoigne : « si tout le système administratif est numérisé toutes ces mauvaises pratiques ne seront plus possibles. Cela mettrait fin à toutes les magouilles et fermerait tous les tuyaux de vols, non seulement des pauvres citoyens, mais aussi des caisses de l’Etat, parce que avec le «un système», tout est consigné et il restera toujours des traces ».
Les IPN et l’Innovation comme alternative
A l’heure ou la révolution numérique bat son plein, le Niger doit nécessairement se doter et travailler avec les outils numériques. Les Infrastructures Publiques Numériques (IPN) sont des dispositifs qui permettent de fournir des services numériques aux citoyens, notamment en matière d’identité, de santé, d’éducation, de sécurité, etc. Elles reposent sur des infrastructures numériques telles que le haut débit, les télécommunications mobiles et l’internet.
Selon M. Boubacar Issoufou Djibo, docteur en télécommunication et Directeur Général de l’Ecole Supérieure de Télécommunication Électronique et de la Poste au Niger, il est plus que nécessaire pour l’Etat de poursuivre, parce qu’il y a des jalons qui sont lancés, la numérisation des actes d’état civil. Cela, a-t-il poursuivi, réside dans la volonté politique du gouvernement d’adhérer au processus de matérialisation d’une approche de gouvernance électronique au Niger, notamment le développement d’une société de l’information. « Pour amorcer le développement d’une société d’information au Niger, il est plus qu’urgent que l’Etat s’engage sur la numérisation et la mise en ligne des services d’état civil », explique ce spécialiste.
Pour M. Djibo, la numérisation des actes d’état civil permettra de faciliter l’accès aux documents, de réduire les coûts, les délais et les fraudes liés à la production et à la délivrance de ces documents. Elle permettra, également, d’améliorer la qualité et la fiabilité des données d’état civil, qui sont essentielles pour la planification du développement, la protection sociale, l’exercice des droits civiques. Elle permettra en outre à l’État, plus précisément aux collectivités territoriales, de moderniser leur approche de gestion à travers une exploitation qui serait d’optimiser des documents d’état civil. En utilisant la numérisation, les collectivités vont pouvoir créer des bases de données et pouvoir satisfaire, en temps réel, les besoins des citoyens en pièces d’état civil. « Aussi, l’archivage sera sécurisé facilement parce que ça sera un disque ou une clé. Pour le personnel aussi le temps de recherche sera réduit », a expliqué le spécialiste.
En outre, cela permettra à l’Etat de réduire les coûts de l’organisation des élections. « Pendant des élections on dépense des milliards parce qu’il faut faire le tour du pays, porte à porte pour le recensement électoral, alors qu’il suffit d’interroger la machine pour savoir le nombre de Nigériens en âge de voter et on imprime le fichier électoral dans la même journée » a-t-il ajouté. Dr Boubacar Issoufou Djibo a, par ailleurs, estimé que tout est réuni au Niger pour aller dans cette voie. « Si le Bénin et le Burkina l’ont fait pourquoi pas nous ?», s’interroge-t-il. « Il suffit de construire une base de données, un serveur (une salle remplie de machine) qui va stocker ces données, les numériser. Le Niger est déjà dans un processus de reconnaissance de la signature numérique », a précisé le spécialiste, qui croît fermement en la réalisation d’un tel projet. « C’est bel et bien faisable au Niger, cela ne nécessite pas grand-chose. C’est à la portée de l’Etat du Niger, les ressources humaines sont là aussi bien dans le domaine des TICs qu’au Ministère de l’Intérieur » a-t-il martelé.
Dr Boubacar Issoufou Djibo relève que dans la presque totalité des pays de la sous régions, les citoyens ont une carte en polycarbonate comme les cartes bancaires. Les Nigériens sont les seuls au monde à avoir encore une carte pliable tapée à la machine.
Un projet d’établissement de carte d’identité biométrique a été initié mais abandonné selon ce spécialiste. « C’est un problème de suivi et de résilience au niveau de tout ce qu’on initie », a-t-il souligné. « Aujourd’hui, le Niger a plus de 4000 km de fibre optique posée. Il n’y a pas une grande localité qui n’est pas desservie. On peut créer un réseau de l’ensemble des juridictions, tous les tribunaux habilités à délivrer les casiers judiciaires et certificats et les interconnecter sur une même base de données qui sera sous la coordination soit du ministère en charge des TICs ou du ministère de l’Intérieur » a-t-il proposé.
La problématique de l’instabilité des agents de l’Etat
En termes d’obstacle, Dr. Boubacar Issoufou Djibo cite le problème de mobilité des agents de l’Etat. Pour cela, a-t-il conseillé, il faut rendre technique les postes techniques et les désolidariser de la politique. Cela permettra de mener jusqu’à leurs termes les projets initiés. « Au Niger il y a une instabilité permanente et cela a un impact négatif sur l’aboutissement des projets. On a les financements pour les centres de données maintenant ce ne sont pas les simples ordinateurs à mettre dans les services d’état civil, ou la plateforme qu’on peut développer qui manque » a-t-il soutenu.
Quoiqu’il en soit, les pièces d’état civil sont un droit fondamental pour tout citoyen et l’Etat à l’obligation de les lui délivrer. De par les dispositions de la loi N°2019-29 portant code des régimes de l’état civil, l’état civil est l’ensemble des qualités inhérentes à une personne que la loi prend en considération pour y attacher des effets juridiques. Le système d’état civil est un dispositif d’ordre juridique administratif et technique, permettant de repérer, d’enregistrer, de stocker, de sécuriser et d’exploiter dans le temps et l’espace les faits d’état civil intervenus dans la vie d’une personne. Les différents faits d’état civil au Niger sont, la naissance, les mariages, le décès, de par la nouvelle loi le divorce et la répudiation. Dans un monde qui se modernise plus que jamais, l’administration publique nigérienne doit migrer vers le numérique. Il est nécessaire d’innover et rendre efficace la délivrance des actes d’état civil, qui sont les documents les plus importants de la vie d’une personne et cela n’est possible qu’à travers la digitalisation.
Aminatou Seydou Harouna (ONEP)
Réalisé dans le cadre de la bourse de journalisme sur les IPN organisée par la Fondation Médias pour l’Afrique de l’Ouest et CO-Dévelop.