Confrontées à la rareté de l’emploi au Niger, les personnes cherchant désespérément un gagne-pain n’ont pas le choix face aux offres et conditions que leur proposent certains employeurs intéressés par le profit à tirer de cette situation. Ces demandeurs d’emplois sont recrutés par des entreprises qui ne respectent nullement les normes en vigueur en matière de droit de travail. Ainsi, des milliers de personnes se trouvent à travailler dans des conditions précaires. Une situation qui non seulement porte préjudice à ces travailleurs mais crée également un manque à gagner énorme à l’Etat.
Au Niger, les droits des travailleurs sont protégés par des dispositions légales, notamment la loi N° 2012-45 du 25 septembre 2012 portant Code du Travail de la République du Niger. Cependant, dans les faits, la réalité est tout autre. Horaires excessifs, salaires perçus avec des mois de retard, absence de congés, non déclaration du travailleur à la CNSS sont autant de problèmes auxquels les travailleurs sont confrontés au quotidien. C’est la situation qui prévaut dans certaines entreprises au niveau de la ville de Niamey où des employés ont accepté de témoigner.
Plutôt que de recruter des employés directement, beaucoup d’entreprises préfèrent externaliser certaines tâches à des prestataires de services. De cette façon, elles évitent de supporter les charges liées à l’embauche d’employés. En outre, ces entreprises sous-traitantes ainsi que de nombreux employeurs ne déclarent pas leurs employés à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS). Or sans y être déclarés, ces travailleurs ne peuvent pas bénéficier de la couverture sociale nécessaire pour faire face à certaines difficultés. Ceci compromet ainsi donc leur accès aux soins de santé, à la retraite et à d’autres prestations sociales.
Grogne des employés
Le secteur de la téléphonie est présenté comme un des grands pourvoyeurs d’emplois au Niger. Cependant, tout n’est pas rose pour certains jeunes qui ont pu y gagner un boulot. Dans une compagnie de téléphonie de la place, certains des travailleurs rencontrés se plaignent de leurs situations. C’est le cas de M. O, un jeune d’une trentaine d’années, marié et père de deux enfants. « Je travaille dans cette compagnie depuis 2021. J’ai été recruté via une entreprise de sous-traitance. Je n’ai aucune couverture sociale, aucune prise en charge médicale, pas de congé annuel, je travaille même pendant les jours fériés. En plus, j’ai un arriéré de deux mois de salaire et je n’ai toujours pas signé de contrat depuis 2022 », maugrée-t-il.
B.B, un autre travailleur de la même société a été recruté via une autre agence de sous-traitance. « Nous sommes tous dans le même cas, nos droits sont totalement bafoués. Notre employeur refuse de nous mettre dans nos droits pour se faire plus de bénéfices. On perçoit un salaire 2 fois inférieur à celui des agents recrutés par la compagnie. Nous nous sentons marginalisés, nous nous sentons comme des laissés pour compte. Nos droits sont spoliés, nous en appelons à l’Etat. Il s’agit d’une véritable exploitation de l’homme par l’homme », dénonce-t-il.
Dans une agence de transfert d’argent de la place, une employée déclare : « Nous sommes constamment sous pression pour réaliser des transactions rapidement et sans erreur. Malgré de longues heures de travail et d’efforts constant, on ne bénéficie d’aucune couverture sociale », affirme la dame.
Juxtaposé à l’agence, se trouve une compagnie de transport. Docker, M. H M, travaille depuis plus de 3 ans dans la société. « Je touche uniquement mon salaire. Je n’ai pas signé de contrat, tout a été fait de manière verbale. Je ne connais nullement le code du travail, ni les droits des travailleurs », dit-il d’un air ingénu.
Au sein d’une firme de production et de commercialisation de savons et détergents, une employée qui souhaite garder l’anonymat se confie : « Je travaille dur chaque jour pour subvenir aux besoins de ma famille, mais je vis dans la peur constante de tomber malade car nous sommes exposés constamment à des produits toxiques. Je n’ai pas de prise en charge et mon employeur ne m’a pas déclaré au niveau de la CNSS ; je serai totalement démuni en cas de problème de santé ». « Le respect des droits des travailleurs reste une grande utopie au Niger », renchérit un autre travailleur.
Dans les stations d’essences, les agences de transfert d’argent, de nettoyage, de gardiennage, dans les compagnies de transport, dans les pressings, les imprimeries, dans les écoles, instituts, dans les salons de beauté, de coiffure, de couture, qu’ils soient dans les bureaux ou sur le terrain, de nombreux travailleurs sont confrontés à ce genre d’abus.
Que disent les entreprises mises en causes ?
Si certaines de ces entreprises qui opèrent savamment cette pratique sont bien connues de tous, d’autres dissimulent leurs pratiques. Le Directeur général d’une entreprise fortement mise en cause par ses employés affirme offrir du travail pour ces personnes et contribuer à réduire le nombre de chômeurs. « L’État doit plutôt nous alléger certaines charges », dit-il.
Pour le directeur des ressources humaines d’une grande entreprise qui génère un chiffre d’affaire de dizaines de milliards de FCFA et qui malheureusement emploie la majorité de ses salariés via la sous-traitance, leur société n’est « pas responsables des abus de ces sous-traitants vis-à-vis de leurs employés ». Pour M. A A, un employeur de la place, « toutes les entreprises font la même chose, d’ailleurs, les travailleurs n’ont que faire de la protection sociale, le plus important pour eux c’est de trouver du travail ». « Le taux de cotisation sociale est vraiment élevé, il faut que l’État revoit le taux à la baisse », estime un autre employeur.
Par ailleurs, plusieurs employeurs refusent de répondre aux accusations d’abus par leurs employés. D’autres employeurs par contre, tentent par des moyens peu orthodoxes de dissuader ceux qui cherchent à s’informer sur leurs pratiques. En plus de violer délibérément les droits de leurs employés, ces employeurs choisissent souvent de ne pas les déclarer afin d’éviter de payer les cotisations sociales obligatoires, ce qui leur permet d’économiser de l’argent aux dépens des travailleurs.
Que peuvent faire l’inspection du travail et la CNSS face à la situation ?
Service rattaché au Ministère de l’Emploi et du Travail, l’inspection du travail est chargée de veiller au respect de l’application des textes relatifs au travail, à l’emploi, à la santé, à la sécurité au travail et à la sécurité sociale. Les inspecteurs de travail assurent le contrôle et l’application de la législation et de la réglementation du code de travail. Ils ont le pouvoir de pénétrer librement et sans avertissement à toute heure du jour et de la nuit, dans les établissements assujettis au contrôle de l’inspection.
« Au Niger on compte 14 inspecteurs de travail. A Niamey, plus grand centre urbain du Niger où il y a des milliers d’entreprises ainsi que des dizaines de milliers de travailleurs, il n’y a que 4 inspecteurs du travail chargés de contrôler la réglementation en vigueur. Les 10 autres sont sur l’ensemble du territoire national à savoir Agadez 2, Arlit 1, Diffa 1, Dosso 1, Maradi 1, Zinder 1, Tahoua 1 et Tillabéri 2 », confesse Mr. Mamane Oumarou, Chef de service de l’inspection du travail de la région de Niamey.
« L’inspection est constamment submergée par un très grand nombre d’employés qui viennent signaler des abus de la part de leurs employeurs. Nous sommes malheureusement gênés par des ressources très limitées pour accomplir efficacement nos tâches. Il est urgent que des mesures soient prises pour pallier ce manque de personnel et de créer plus de directions d’inspection du travail dans la ville de Niamey et dans les autres régions et départements du Niger afin de garantir une application effective des lois du travail et d’assurer une meilleure protection sociale aux travailleurs du pays. Il y va de la dignité et de la sécurité des travailleurs nigériens », insiste-t-il.
Avec plus de 70 000 entreprises affiliées pour 83 798 employés déclarés, la CNSS est l’organe de tutelle de la sécurité sociale. Elle a pour mission de gérer les différentes branches de sécurité sociale instituées en faveur des travailleurs. Elle veille également au respect de la déclaration d’embauche effectuée par l’employeur à la CNSS qui est obligatoire et qui doit intervenir 8 jour après l’embauche. Cette déclaration permet à l’employé d’obtenir un numéro d’immatriculation plus un livret d’assurance et ainsi bénéficier des différentes prestations servies par la CNSS à savoir les prestations familiales (dont l’objectif est d’alléger les charges inhérentes à la venue d’un enfant dans le foyer du travailleur), les accidents de travail et les maladies professionnelles (dont le but est de compenser la perte de salaire découlant d’un arrêt de travail ou d’une capacité totale ou partielle permanente subie à la suite d’un accident ou d’une maladie intervenue à l’occasion ou par le fait du travail), les retraites pour garantir un revenu pendant la vieillesse du travailleur, ou en cas de décès de celui-ci à ses ayants droit.
Pour vérifier le respect de la législation et de la réglementation de sécurité sociale en vigueur par les employeurs, la CNSS peut faire procéder à tout moment à des contrôles sur place et sur pièces par ses contrôleurs assermentés. Elle compte 25 contrôleurs dont 16 à Niamey et 9 dans les autres régions et départements.
Cependant, pour M. Laminou Hankouarou Directeur de Recouvrement des Cotisations à la CNSS, « la situation est vraiment complexe. Beaucoup d’entreprises trichent dans leurs déclarations d’embauches, d’autres ne déclarent même pas leurs employés et beaucoup d’entreprises sont en arriérés de paiement de leurs cotisations sociales. Vu le nombre de contrôleurs de la CNSS, vu la nécessité de contrôler au besoin toutes les entreprises, il y a lieu que l’État examine la situation et prenne des décisions adéquates », admet-il.
« Face à cette situation, nous ne restons pas passifs. Malgré cet effectif moindre, nous organisons quotidiennement des contrôles inopinés dans les entreprises. Nous organisons également avec la direction de communication, des séances de la sensibilisation des employés sur leurs droits en matière de protection sociale et nous les encourageons à signaler tout cas de non-déclaration à la CNSS. De plus, grâce aux possibilités qu’offrent les technologies de l’information et de la communication, nous sommes en train de préparer une amélioration du système de suivi et de contrôle des employeurs afin que quiconque qui n’est pas en règle, soit automatiquement fiché. Des sanctions sévères à l’encontre des employeurs récalcitrants seront prises pour garantir le respect des droits des travailleurs et assurer le fonctionnement adéquat du système de sécurité sociale », annonce-t-il.
« Les cotisations sociales dans leurs rôles d’amortisseurs social doivent être appropriées et adoptées par l’ensemble des nigériens de façon que les bénéfices de la sécurité puissent profiter à tout le monde », dixit le Directeur de Recouvrement des cotisations de la CNSS.
La Ministre de la Fonction Publique, du Travail et de l’Emploi, Mme Aissatou Abdoulaye Tondi a rencontré plusieurs employeurs de différents secteurs d’activités pour évoquer la situation du respect des droits des travailleurs. Elle a également diligenté une enquête sur le sujet afin de permettre aux milliers de travailleurs d’être dans leurs droits. Récemment, le Ministre du pétrole, M. Barké Mahamane Moustapha a ordonné à certaines sociétés du secteur pétrolier de procéder à des recrutements directs et non à travers des sociétés de placement.
Le financement de la sécurité sociale au Niger est essentiellement assuré par des cotisations calculées sur les rémunérations et supportées par les salariés et les employeurs appelés cotisants de la CNSS. Le taux de cotisation sociale est fixé à 21,65% du salaire mensuel qui ne peut être inférieur au Salaire Moyen Interprofessionnel Garantie (SMIG) qui est actuellement fixé à 42 000 F CFA. S’agissant de la cotisation sociale, 16,40 % sont la charge de l’employeur et 5,25 % à la charge de l’employé. Cependant, le non-paiement des cotisations sociales prive la CNSS des ressources financières essentielles pour remplir son rôle de protection sociale envers les travailleurs. Cette situation compromet la viabilité du système de sécurité sociale.
Combien y a-t-il alors d’employés non déclarés à la CNSS par leurs employeurs et peut on continuer à admettre que de milliers de pauvres travailleurs, pour la plupart pères de famille continuent à travailler dans des conditions précaires ?
OUSMANE Nazir (ONEP)