De nos jours, de nombreuses femmes exercent des Activités Génératrices de Revenus (AGR) aussi bien en ville que dans les zones rurales. A Boubon, un village situé à quelques encablures de la capitale, les femmes sont très actives dans l’économie rurale. Elles travaillent dans les jardins pour la production maraichère, dans la transformation des céréales locales, dans l’élevage et dans les petits commerces. Cependant, la rentabilité de leurs activités reste souvent limitée. C’est pourquoi, elles font de l’épargne traditionnelle communément appelée tontine, qui leur permet de constituer un petit capital et renforcer leurs activités commerciales.
Ici, comme partout ailleurs, les femmes se sont constituées en groupements pour mener des activités qui génèrent de revenus. On peut citer entre autre le groupement Hallassey, Sahel vert, Ir ma zada. Elles exploitent des grandes superficies de terre. Les spéculations cultivées dans les jardins des femmes sont l’oignon, l’arachide, le moringa, le choux, la tomate, la laitue, etc.
Sur le terrain, les activités avancent très favorablement. A travers, ces activités quotidiennes, les femmes participent à l’équilibre des ménages en supportant certaines dépenses. Ces productrices disent rencontrer des difficultés et cela s’explique par la rareté de la clientèle et le manque de moyens pour conserver leurs produits. Elles vendent les produits et les recettes engrangées sont gérées sous forme de tontine. Le matériel agricole rudimentaire, le difficile accès aux pesticides et fertilisants insuffisants ; l’absence d’un système d’irrigation adéquat sont entre autres défis auxquels les femmes qui entreprennent dans le domaine du maraîchage sont confrontées. Bon gré, mal gré, Elles se débrouillent pour exploiter les potentialités de la zone du fleuve Niger.
Tous ces facteurs entrainent de grosses pertes des cultures et donc de revenus. Face à cette situation, elles lancent un cri de cœur à l’endroit des autorités pour alléger certaines de leurs souffrances.
Autres lieux, autres activités. Mme Biba Issaka, 38 ans, est vendeuse de poisson, son mari est un ‘’sorko ‘’ (pêcheur) avec une famille bien engagée dans le domaine de la pisciculture. Depuis 13 ans, cette brave femme, exerce ce métier de mareyeuse. Elle a avec son époux une famille en charge composée de quatre enfants dont trois filles et un garçon. En ce moment de montée des eaux, les affaires ne marchent pas bien. Très attachée à son commerce qu’elle exerce avec passion et rigueur, il n’est pas question pour Biba de se laisser prendre en charge par les siens. «Le commerce me rapporte beaucoup. Souvent je me retrouve avec 50.000 FCFA par jour quand tout va bien. Cette activité me permet de subvenir convenablement à nos besoins quotidiens ; mes enfants et moi durant toutes ces années», dit-elle avec un air de fierté. «Ici, dans ce village, nous sommes plus de quinze familles qui n’excellent que dans ce métier de pisculture», ajoute-t-elle.
C’est grâce à ce travail que Biba arrive à prendre soin de ses quatre enfants. C’est pourquoi elle accorde beaucoup d’importance à ce qu’elle fait comme travail. Elle a su également payer les études supérieures de ses deux premiers enfants. A l’en croire, elle a commencé avec un budget de 5.000 FCFA. «Et Dieu Merci, de bouche à oreille et à travers ses connaissances, je reçois des commandes au niveau de Niamey pour des cérémonies sociales», déclare-t-elle.
Allier AGR et instruction/alphabétisation
L’itinéraire nous amène chez le Chef du village pour découvrir le centre d’alphabétisation, et constater de visu également le fonctionnement de cette structure créée par les femmes et pour les femmes. Sur place, plusieurs femmes mariées et célibataires dont l’âge varie entre 20 et 60 ans, toutes à l’œuvre sont en train d’apprendre des petits métiers pour lutter contre le chômage. Dans ce petit hangar en tôle qui peine à les contenir, une vingtaine de jeunes femmes mues par l’envie d’apprendre sont subdivisées en plusieurs petits groupes. Tricotage, couture, tableaux de décoration, fabrication des produits cosmétiques, l’apprentissage de l’écriture en langue nationale (zarma) sont entre autres activités réalisées sur ce site.
Selon, la formatrice de ce centre, Saleye Halidou 46 ans, le foyer était à ses débuts entièrement consacré à l’apprentissage de l’écriture zarma mais au fil des ans, il a fini par embrasser une panoplie d’activités. «Ce centre reçoit quelque cent apprenantes. Nos membres sont soit déscolarisées, soit des femmes qui n’exercent aucune autre activité, et qui veulent avoir du changement dans leur vie quotidienne», explique-t-elle. Les apprenantes se disent satisfaites de cet apprentissage. En effet, les connaissances et les compétences qu’elles ont acquises grâce à cette formation leur permettent, avec l’aide des partenaires et des projets, d’exercer des AGR. Elles gagnent ainsi plus de revenus qu’auparavant.
La tontine ou l’expression d’une solidarité traditionnelle
Malgré toutes les adversités, les femmes membres des groupements arrivent à surmonter les défis. Les membres des trois (3) groupements sus cités ont mis en place une caisse alimentée par les tontines qu’elles gèrent de façon rentable et substantielle.
Fati Amadou est gérante de la caisse. Ces groupements compte trente membres qui cotisent chacun 250 F et 500 F par jour.
«Les groupements féminins sont très importants parce qu’ils permettent de faire des tontines pour faire face à la cherté de la vie, la pauvreté, le taux élevé de chômage et les besoins sans cesse croissants de la famille. Ce sont des situations qui ont permis de bien comprendre l’utilité de l’autonomisation financière de la femme pour la famille et la société. Il faut impliquer la femme à tous les niveaux de la vie collective. Les femmes qui exercent des AGR sont membres de cette tontine. C’est une source de revenu supplémentaire qui peut aider véritablement le foyer à se développer, à mieux s’épanouir», indique Fati Amadou.
La tenancière de la caisse de préciser qu’en plus de l’homme qui est chef de famille ; et qui est considéré comme le garant de la famille, la femme vient se joindre à lui. La situation de cette cellule familiale s’améliore parce que tout simplement, les deux vont apporter quelque chose en terme économique qui va soulager la gestion familiale. Selon Fati, cela fait 9 ans que les femmes sont dans cette tontine. C’est un cadre fédérateur de tous les groupements, et c’est un cadre bien structuré, bien formel. Ce cadre sert à renforcer les liens de solidarité entre elles, contribue à améliorer la gestion des besoins de ses membres et ceux d’intérêts familiaux. Il permet aussi d’épargner pour réduire les dépenses inutiles et créer des systèmes de mobilisation des fonds pour contribuer aux financements des activités, des mariages et des baptêmes aux membres par des prêts sans intérêts. «Nous donnons souvent des prêts de 250.000 voire 500.000 FCFA à des femmes qu’elles peuvent rembourser par mensualités et selon leur convenance», précise-t-elle.
Selon le sociologue-communicateur Alou Ayé Issa, les femmes membres des associations et ou groupements féminins, sont les premières actrices du changement de mentalité au niveau communautaire. «Quelques années, auparavant, dans la conscience collective, la place de la femme se trouvait au foyer où elle doit s’occuper du bien-être de la famille», souligne-t-il.
Le Sociologue -communicateur renseigne que la dynamique sociale de nos sociétés reposait jadis sur une chaine de solidarité traditionnelle que Durkheim appelle ‘’la solidarité mécanique’’, car elle se focalise sur la volonté d’assistance mutuelle face aux intempéries de la vie socioéconomique. Ainsi plusieurs dispositifs concourant à la manifestation de cette solidarité dont la tontine, ont été déployés depuis la nuit des temps par nos sociétés traditionnelles. Fonctionnant comme un système bancaire, la tontine est un mécanisme d’épargne collective, où chaque membre cotise un montant fixe, déterminé au préalable dans une durée bien connue de tous, permettant ainsi, aux différents membres de la tontine d’en bénéficier du montant cotisé à tour de rôle. Considérée comme une «banque des pauvres» par beaucoup d’économistes, la tontine est aussi une forme d’expression de la solidarité traditionnelle, de protection sociale et de résilience.
En se basant, exclusivement sur la confiance mutuelle, sans aucun engagement écrit, la tontine constitue une preuve tangible que la parole était sacrée dans nos sociétés traditionnelles. Au nom de la parole donnée, de l’engagement pris, chaque membre est tenu au respect strict de sa cotisation au moment voulu. Ainsi, les membres dans une dynamique sociale, s’assistent mutuellement, les uns après les autres, sans crainte d’escroquerie ou de trahison.
Développant le sentiment d’appartenance à un groupe social, la tontine a-t-il dit, est un creuset d’entraide. A ce titre, elle aplanit ainsi, les conflits intercommunautaires et renforce la cohésion sociale et la coexistence pacifique de ses membres. En effet, les socles de nos tontines sont le plus souvent, les liens d’appartenance à une communauté, à une famille, à une confession, à une profession ou à une région.
Cependant, elle est de plus en plus sources de différends, de tensions sociales qui finissement malheureusement devant les juridictions. C’est pourquoi, il est de nos jours plus judicieux d’introduire les clauses et engagements écrits des différents membres des tontines afin de palier toute éventualité. Si hier, la parole donnée faisait foi, était sacrée aujourd’hui force est de constater qu’il faut mieux asseoir les règles des gestions de nos tontines. D’après le sociologue communicateur, cette gestion a toujours priorisé aussi, la notion d’entraide face aux impératifs de ses membres à un ordre de passage préétabli. C’est ainsi à chaque instant qu’un membre de la tontine fait face à une difficulté, par consensus les autres membres lui concèdent la prise même si ce n’est pas son tour par ailleurs. Car la volonté première est cette solidarité face aux épreuves de la vie, qui pourrait être l’une des raisons de l’avènement des tontines.
Cadeaux symboliques, une autre forme d’entraide
D’après Moustapha Ahoumadou, membre de l’Association Islamique du Niger, l’islam encourage cette forme d’assistance lors des cérémonies de réjouissance. Dans notre société, la solidarité est une valeur culturellement reconnue. Elle contribue au renforcement des relations entre les membres de la communauté. «Les cérémonies de réjouissance comme les mariages sont donc des moments de joie par excellence pendant lesquels les cadeaux en nature ou en espèce à l’endroit des mariés constituent l’expression d’une grande émotion. Dans un passé récent, le geste à lui seul revêtait un caractère symbolique car quelle que soit sa valeur, il est hautement apprécié par celle ou celui qui reçoit. Mais, aujourd’hui les cadeaux sont donnés sur mesure c’est-à-dire en fonction du pouvoir économique», souligne-t-il. Les prescriptions islamiques, recommandent juste que cela ne soit pas une habitude. «Pour un premier évènement, il faut faire des gestes aux jeunes couples pour débuter la nouvelle vie. Les cadeaux ne doivent pas être un placement dont il faut attendre un retour. Le Prophète (PSL) a autorisé l’accompagnement, l’aide sociale mais pas de façon ostentatoire, et le faire de façon cachée», précise M. Moustapha Ahoumadou.
Il a fait savoir, que cet accompagnement a permis de tout temps à des communautés à revenu faible de pouvoir subvenir aux besoins sociaux de bases (mariage, baptême…) et de faire des investissements et autres réalisations de la vie courante.
Aïssa Abdoulaye Alfary, Envoyée Spéciale