Caressant la trentaine, Issa Moussa est père de 4 enfants. Il excelle depuis déjà dix bonnes années dans le métier de fabrication de carreaux et de pavés à base d’argile. Vêtu d’un boubou gris qui lui sert d’habit de travail, Issa est assis ce jour-là à même le sol, le regard perdu…en quête d’inspiration. Les bras en perpétuel mouvement, le jeune homme à l’air d’avoir du temps et de l’énergie pour s’affirmer dans cet art. Issa et ses coéquipiers travaillent comme des fourmis pour honorer un rendez-vous faisant ainsi valoir davantage leur savoir-faire et leur génie artistique. Juste sous ses pieds, plusieurs objets servant d’outils de travail pour la confection des ornements de maisons sont exposés. Le village de Boubon est réputé comme un village touristique, avec ses berges, et surtout sa poterie.
Ce jeune entrepreneur a abandonné les bancs en classe de 3ème sans pour autant décrocher le Brevet d’Etude du Premier Cycle. Pour ne pas rester les bras croisés, c’est tout naturellement qu’Issa est une fois de plus revenu vers la terre pour construire sa vie et sa famille.
A Boubon, ils sont une quinzaine d’équipes composées de jeunes hommes dont l’âge oscille entre 15 et 50 ans à exercer ce travail de l’argile. Ces hommes ont décidé de ne plus laisser le travail de la terre aux femmes exclusivement. C’est le cas de Issa Moussa qui, depuis près d’une décennie, n’a d’autres activités que la fabrication des carreaux et pavés à base d’argile.
«Avec le poids de l’âge des parents, je n’en avais pas d’autres choix que de persévérer dans ce travail. Aujourd’hui, je vis tranquillement grâce à mes économies, à travers ce métier qui me permet de subvenir à mes besoins et même d’aider mes proches parents. Mon atelier reste toujours ouvert en dépit de la morosité économique et de la mévente qui secouent le quotidien de beaucoup de ménages. Mon intime conviction est que seul le travail libère l’homme», confie-t-il au milieu des seaux, des planches, de chiffons, de coupons de tissus. Le non averti verra en ce lieu une sorte de désordre dans lequel Issa et ses employés se retrouvent aisément. Cela fait dix années entières qu’Issa Moussa explore cet art sous le regard bienveillant de ses ainés. Ses employés et lui se sont intéressés à ce métier grâce à l’expertise de la Suisse Monika qui a séjourné pendant près de trois décennies dans le village de Boubon.
Argile, résidus de jarres et de planches, moules métalliques, chiffons, eau, coupons de tissus, four en banco…. constituent les matériaux et équipements nécessaires pour la fabrication des pavés made in Boubon. «Nous sommes une dizaine de jeunes dans notre groupe à embrasser ce métier et à dignement l’exercer. Une équipe forte et soudée qui, au fil du temps, est devenue comme une famille. Nous vivons bien de ce travail et chacun de nous est payé au prorata de ce qu’il produit. Aujourd’hui, c’est une bonne journée pour nous, nous sommes inspirés, car nous venons de recevoir une commande de 60.000 FCFA. Nous vendons le mètre carré à 5000 FCFA. Quand je suis heureux, j’ai envie de travailler avec l’argile. Je suis rassuré car je peux continuer aisément mes projets en cours», explique-t-il, tout en ajoutant que cela témoigne de l’importance vitale de ce métier pour lui. La livraison est au frais de celui qui a lancé la commande.
Ingénieux et appréciés de ses ainés, Issa se distingue de ceux de sa génération
Résilient et ingénieux, Issa sait bien travailler l’argile, la dresser et fabriquer des plusieurs types de pavés et des carreaux. «Le pavage est un peu compliqué, parce qu’il y a beaucoup d’exigences. Au moment de la vente, les acheteurs font des tris souvent qui énervent. Ils veulent eux-mêmes choisir les produits finis. C’est pour cela que nous mettons de la rigueur lors de la fabrication. Un carreau mal fait ne sera jamais vendu et c’est du gâchis et une perte pour nous», explique-t-il. Avec l’expertise de ses ainés, Issa travaille manuellement sans grande difficultés.
Amadou Niandou, est à la fois doyen et président des jeunes fabricants de pavés et carreaux de Boubon. Il parraine quinze équipes de jeunes. «C’est rare de voir un jeune diplômé pratiquer honnêtement ce métier dans les villages. Lorsqu’un jeune opte pour un tel métier, nous sommes ravis de le voir presque tous les jours à l’œuvre car contrairement à beaucoup de jeunes de sa génération, Issa travaille avec courage, abnégation et détermination. Gagnés par la paresse, nombre de jeunes préfèrent embrasser d’autres métiers. Pour eux, le travail de l’argile rend sale. Nous encourageons Issa, car ce n’est pas facile surtout avec la mévente et nous qui sommes les ainés, nous allons l’appuyer pour qu’il puisse réussir dans ses projets. Cela fait près de cinq ans que je collabore avec lui et pendant ce temps on a tissé de très bonnes relations. Il est assidu dans son travail, il est dynamique et surtout motivé car dans ce travail seule la motivation compte», a-t-il fait savoir.
Avec cette passion qui l’anime, Issa lance un appel aux bonnes volontés pour l’aider ; il en appelle à la sagesse de tout un chacun. Il y a déjà certaines personnes qui les assistent en achetant ce pavé pour leur maison. «Il nous faut des moyens financiers et un espace pour créer une petite entreprise», dit-il.
Selon le Représentant du Chef du village de Boubon, c’est exceptionnel de voir un jeune de nos jours s’adonner à ces genres de métier. «Ils sont presque tous partis en exode, laissant femmes et enfants. Lui, Issa est resté aux cotés des siens pour apprendre ce métier et y vivre dignement», témoigne ce dignitaire local. Cependant, le jeune Issa dit avoir éprouvé énormément des difficultés d’écoulement de ses produits. Aussi déplore-t-il le fait que les gens sont plus portés sur les pavés faits à base de ciment, que celui en argile. Beaucoup ne considèrent pas vraiment à sa juste valeur ce travail de carrelage, de pavage, car soutient-il, il contribue à la protection environnementale. C’est difficile de convaincre les gens à payer ces pavés qui sont moins coûteux, plus humides et jolis à voir dans les maisons.
Malgré la morosité du marché, ce jeune entrepreneur assure être à l’abri du besoin. Il soutient que le métier nourrit bien son homme mais comme la plupart des jeunes entrepreneurs, les problèmes financiers persistent. Et c’est à ce titre qu’il appelle les bonnes volontés, les pouvoirs publics pour appuyer l’entreprenariat en milieu rural. Issa explique qu’ils ont besoin d’un lieu aménagé pour exercer pleinement cette activité.
«Ici à Boubon, nous n’avons aucun programme dédié aux jeunes, aucun programme de développement. Pourtant nous sommes si proches de la capitale Niamey. Cette insouciance n’encourage pas les jeunes à créer, à entreprendre», dit-il tout en exhortant les jeunes à plus de créativité et d’initiatives. «Les jeunes veulent bien travailler, ils prennent de plus en plus conscience ; ils peuvent s’investir dans toute sorte de travail. Pour le développement de ce pays, créons des opportunités à la jeunesse», appelle le jeune entrepreneur.
Aïssa Abdoulaye Alfary(onep), Envoyée Spéciale