Directeur de Timbuktu Institte, Bakary Sambe est spécialiste des radicalismes, des conflits religieux ainsi que des mécanismes de médiation endogènes. Dans cette interview exclusive, ce chercheur africain évoque la menace terroriste au Sahel et ses évolutions. Il apprécie également les stratégies mises en œuvre par les différents Etats ainsi que l’approche internationale de lutte contre le phénomène terroriste au Sahel. Il insiste dans ses analyses sur la pertinence de l’approche nigérienne en matière de gestion des conflits.
Vous êtes directeur de Timbuktu Institute. Quels sont les principales thématiques sur lesquelles se concentrent vos travaux ?
Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies- est un centre africain de Recherche-Action fondé en 2016 par un groupe d’intellectuels, de chercheurs africains. Principalement orienté dans la recherche et la promotion de la paix ainsi que la résolution des conflits par le dialogue inclusif, le Centre basé à Bamako, Niamey et Dakar propose et mène une grande variété de projets aussi bien en matière de recherche (Think Tank) que d’actions concrètes sur le terrain (Do Tank). De ce point de vue, Timbuktu Institute est un cadre de production de connaissances endogènes et d’échanges pour l’édification de sociétés africaines ouvertes sur le socle de la tolérance et du respect mutuel. Dans cette perspective, par sa recherche appliquée, notre Institut produit de l’expertise en matière de politiques gouvernementales et mène des actions de capacitation et de plaidoyer dans le domaine de la médiation et de la prévention des conflits. C’est une équipe panafricaine et internationale qui combine donc la recherche, l’action, le plaidoyer et la sensibilisation dans le but de promouvoir la paix, de prévenir et de combattre toutes les formes d’instrumentalisation des idéologies ou des religions à des fins de violence et de conflit qui pourraient déstabiliser ou compromettre la paix, la démocratie et la stabilité régionale.
Vous êtes spécialiste des radicalismes et conflits religieux en Afrique. D’après vous, la situation actuelle que vivent les pays du Sahel répond-elle aux critères objectifs de conflits religieux ?
Vous savez, le Timbuktu Institute a été créé sur les flancs de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) en 2012 à l’époque motivée par la destruction du patrimoine de Tombouctou sur l’air du «plus jamais ça». Les extrémistes avaient pris pour cible une certaine lecture radicale de l’islam pour nier, à un mode de religiosité spécifique – le soufisme ou le malikisme-, le droit d’existence et d’expression. C’était une attaque au modèle islamique qui avait jusqu’ici préservé notre région de la culture du chaos. Il est vrai que, par la suite, en l’absence d’une approche holistique, les groupes extrémistes se sont emparés de toutes les conflictualités latentes et ont surtout exploité les conflits communautaires de même que les griefs sociopolitiques et les fragilités de nos sociétés et les vulnérabilités économiques. Mais actuellement, au regard des échecs du tout-militaire, il est temps de changer de paradigme surtout que la violence extrémiste a pris une dimension de plus en plus communautaire. La communautarisation de la violence suit son cours et les groupes terroristes s’en saisissent dans leur réorganisation et leur stratégie de pénétration et surtout d’ancrage dans les pays côtiers. Malheureusement, certains Etats de la région semblent vouloir compenser les échecs de leurs forces de de défense et de sécurité par une stratégie qui dresse des milices d’auto-défense et les volontaires contre des communautés ostracisées tout en créant les conditions de recrutements massifs dans ces mêmes communautés. Le fait est qu’à chaque fois que ces armées déclarent, triomphalistes, avoir ratissé telles zones et neutralisé des terroristes, elles sèment, en même temps, les graines des futures conflits intercommunautaires qui embraseront davantage la région
Vous semblez dire que les groupes terroristes sont en recomposition et s’adaptent aux stratégies de lutte ?
Malheureusement, il y a aujourd’hui une vaste recomposition au sein des groupes terroristes de la région avec notamment, des défections vers l’Etat islamique de la part d’éléments de la katiba de Serma. C’est dans ce contexte, qu’il faudrait intégrer la structuration d’AQMI, l’évolution de katibas engagées dans l’extension territoriale vers le sud du Mali et du Burkina Faso. Ces katibas difficilement identifiables ont une certaine autonomie de gestion mais reçoivent des consignes opérationnelles strictes sur les cibles du commandement central du JNIM. Elles opèrent, aujourd’hui, par le harcèlement des forces de sécurité au Burkina Faso, au Nord du Togo et du Bénin avec des éléments très mobiles. Elles ont une autonomie dans la relation avec les autorités traditionnelles, la gestion des butins de même que l’inclusion des chefs religieux influents des communautés dans le cadre de la mise en place de Shûrâ locale (comités de consultation).
‘’Il faudra rester vigilant face à la désinformation’’
Deux concepts reviennent souvent dans vos analyses à savoir ‘’niches de radicalisation’’ et ‘’mécanismes endogènes de gestion des crises’’ quels contenus renferment ces concepts ?
Il y a des facteurs qui s’imbriquent et qui offrent des niches de radicalisation par la cristallisation des ressentis et des frustrations. C’est là qu’on trouve les niches de radicalisation à l’intersection des griefs sociopolitiques, du déficit de capacité d’inclusion de la part des États et les stratégies d’instrumentalisation des facteurs combinés par les groupes extrémistes violents. J’évoque beaucoup les mécanismes endogènes de régulation et de médiation propres à nos sociétés sahéliennes et qui ont été négligées dans les stratégies globales et les paradigmes dominants. En fait, dans le cadre de son développement régional à partir de Niamey comme point d’ancrage dans le Sahel central, les activités de médiation, de diplomatie préventive et de résolution des conflits par le dialogue inclusif au niveau régional et international vont être renforcées par des stratégies de communication sociale basée sur l’innovation technologique et les stratégies numériques sans oublier l’expérimentation de méthodes agiles dans les zones de crise. Vous savez, en tant qu’observateur attentif du Niger depuis plus d’une décennie, j’ai pu observer la capacité des communautés à activer les mécanismes traditionnels qu’il faudra absolument renforcer. Les exemples sont nombreux. Qu’il s’agisse de la résolution des conflits sur la délimitation des espaces cultivables dans la Commune de Baryol de manière pacifique ou encore de la manière dont les habitants de la commune de Bankilaré (département de Téra, région de Tillabéri) au Niger, ont pu mener des actions similaires avec une forte implication des communautés, sous la supervision des leaders religieux, afin de les pousser à un meilleur respect des conventions historiques non écrites notamment entre éleveurs et agriculteurs, la tradition du dialogue a encore tout son poids. Dans la région d’Agadez, qui a été marquée par la rébellion des années 90, les leaders religieux se sont constitués en «Observatoire religieux» regroupant toutes les sensibilités afin de traiter des problèmes récurrents et de maintenir la cohésion sociale. Parfois, ces mécanismes ont même une efficacité transfrontalière comme les actions menées spontanément par les communautés du département d’Abala, frontalier du Nord du Mali afin de rapprocher les Peuls du Niger et les Touaregs du Mali. Je me souviens également des nombreuses initiatives des habitants de la commune d’Ayrou pour contribuer au relèvement et l’assistance des réfugiés maliens du camp Tabareybarey suite à l’attaque de mai 2017. Comme pour rappeler que la coopération transfrontalière qui reste une nécessité devrait mieux intégrer ces mécanismes. La Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP) a aussi été une innovation majeure que l’on pourrait citer comme une bonne pratique dans la région.
‘’La plus grande richesse du Niger n’est ni l’uranium ou encore le pétrole : c’est sa stabilité’’
Depuis plusieurs années, la région du Sahel est tourmentée par une crise sans précédent, mais jusqu’alors, le Niger tient bon qu’est ce qui explique cette résilience du Niger ?
Le Niger a appris des crises précédentes depuis les années 90. Quels que soient les reproches faits par certains observateurs aux modes de gestion des crises, le Niger a pu échapper au sort qui a été celui du Mali face aux rébellions. L’enjeu majeur reste, cependant, de consolider une résilience nationale dans un environnement régional instable. Ce défi est aujourd’hui plus qu’important à relever. Je pense que le Niger a su adopter une approche mixte avec une sécurisation du territoire doublée de stratégies basées sur l’implication des communautés de manière assumée par les autorités en parfaite intelligence des spécificités de ce pays qui a pu faire d’une mosaïque un creuset d’intégration au sein d’une même communauté nationale. Je dis souvent aux amis nigériens que la force de votre pays réside dans sa capacité d’intégration des différences et de synthèse des diverses expressions d’une volonté de vie commune. La dernière alternance politique dans ce pays est le signe d’une maturité à consolider. Je crois qu’aujourd’hui, la question sécuritaire et les défis y inhérents doivent constituer un point de convergence des idées et des efforts et même faire l’objet d’un sursaut au-delà des appartenances politiques. Il faudra rester vigilent face à la désinformation qui s’empare d’une jeunesse en quête de sens et de chance et aux marchands d’illusions dont l’objectif est de déstabiliser la région. Les pays qui ont tenté de saper les fondements de la démocratie malgré ses imperfections s’acheminent vers des lendemains incertains. La plus grande richesse du Niger n’est ni l’uranium ou encore le pétrole : c’est sa stabilité.
Malheureusement, on assiste à une expansion de l’extrémisme violent et du terrorisme dans la zone des trois frontières ; quelles sont les facteurs qui ont favorisé cet état de fait ?
En réalité, la stratégie d’AQMI, ces dernières années a toujours été de créer des zones d’instabilité et de procéder à l’instrumentalisation des conflits intercommunautaires comme ceux liés au pastoralisme en profitant de la frustration des communautés due aux travers de la lutte contre le terrorisme et des bavures des armées nationales. L’instabilité politique permet à AQMI de prospérer en cherchant surtout des terrains propices aux alliances avec les communautés «persécutées» où il peut y avoir des couveuses locales. Les terroristes ont réussi à se présenter, désormais, comme des protecteurs des populations transfrontalières en proie à l’insécurité. La dure réalité est que, selon la forme actuelle de la coopération militaire, nos armées s’entraînent en y mettant beaucoup d’énergies et de moyens à des formes de batailles qu’elles n’ont que peu de chance à livrer sous la forme que l’on imagine aujourd’hui. Mais, l’instrumentalisation des frustrations et des injustices à l’égard de communautés stigmatisées et dont l’engagement djihadiste devient parfois une stratégie de protection reste, aujourd’hui, la grande trouvaille des groupes extrémistes. Il est clair que la militarisation à outrance de la réponse et la stigmatisation de même que le ciblage ne feront qu’aggraver la situation. Le Niger devra persister dans sa stratégie de dialogue et l’élargir. Mais il ne faudra pas oublier une sensibilisation des forces de sécurité et de défense à ces subtilités.
Face à cette situation, les pays ont adopté différentes approches. En plus de la réponse militaire, le Niger n’exclut pas l’amnistie pour les repentis. Cette stratégie est-elle vraiment porteuse face à des individus qui ne respectent rien ?
Il faut se féliciter d’une telle initiative sous-tendue par un courage politique mais aussi une fine connaissance de la question du terrorisme. La stratégie du tout-militaire dans laquelle beaucoup de pays s’entêtent en négligeant la part du dialogue avec les communautés avait déjà largement montré ses insuffisances en face de la menace asymétrique. Le Niger semble avoir compris cet enjeu depuis l’expérience de Goudoumaria dans la région de Diffa. Le Président Mohamed Bazoum qui était, d’ailleurs, la cheville ouvrière de cette stratégie à l’époque a eu le courage politique d’assumer cette méthode qui commence à porter ses fruits malgré des difficultés qu’il faudra surmonter. Le Niger devrait partager ces bonnes pratiques bien ancrées si l’on se souvient que déjà dans les années 90, il y a eu la cérémonie de dépôt des armes, à Ouallam dans la région de Tillébéry où les autorités expérimentent encore aujourd’hui un dialogue ouvert, assumé et inclusif basé sur l’activation des leviers traditionnels et des ressorts endogènes qui fonctionnent encore.
‘’La sécurité doit rester une prérogative régalienne de l’État central’’
Ailleurs, on utilise des civils pour participer à la lutte contre les groupes terroristes. Que pensez vous d’une telle option ?
L’usage des civils pour lutter contre les groupes terroristes a été une trouvaille par dépit au regard de l’échec des forces de sécurité conventionnelles à éradiquer ce mal. Le Burkina Faso avait expérimenté les Koglogos avec toutes les dérives vers des conflits communautaires que l’on a pu observer par la suite. On se souvient des massacres de Yirgu Fulbé et de Solhan. Les VDP ne font pas mieux aujourd’hui, malgré le triomphalisme des autorités militaires qui contraste avec le nombre de victimes allant croissant au Burkina Faso qui ne contrôlent pas plus de 40% de son territoire. Avant, le Mali avait fait l’option de créer des milices d’autodéfense comme les Ganda Koï et les Ganda Izo dans le Centre du pays. On a pu observer les mêmes dérives. Ne parlons même pas de milices comme Dan Ambassagou qui ont envenimé les relations intercommunautaires au Centre du Mali. La situation n’a fait que s’aggraver notamment avec les supplétifs de Wagner, avec ce qui s’est récemment passé à Moura contre les populations. Ce qu’il faut toujours craindre dans ce type de stratégie est le fait d’aboutir à des vendettas ou à opposer les communautés entre elles. La sécurité doit rester une prérogative régalienne de l’État central. La privatisation de la sécurité que ce soit à travers des groupes paramilitaires comme Wagner ou des milices d’auto-défense ne conduit pas toujours aux meilleurs résultats.
Le Niger et la région du Sahel en général étaient connus pour leurs pratiques d’un Islam modéré, qu’est-ce qui, aujourd’hui pousse certaines populations à être réceptives aux idées extrémistes, voire terroristes ?
La dualité du champ islamique entre des courants traditionnels et des mouvements dits réformistes, très souvent, d’obédience salafiste ou wahhabite constitue une tendance régionale à laquelle le Niger ne fait pas exception. Il est vrai que très souvent nos États et les partenaires internationaux sont obnubilés par l’expression violente de l’extrémisme religieux alors que l’islam politique cherche à saper les fondements de l’État dans le temps. L’itinéraire de l’islamisme, de ses courants, de ses stratégies d’expansion et surtout de conquête des élites y compris politiques montrent comment les États de la région peinent à saisir cette dynamique moins visible que le phénomène terroriste et la violence immédiate. Une recherche du Timbuktu Institute menée récemment en partenariat avec l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme basée à Abidjan s’est intéressée aux stratégies islamistes de contestation de l’ordre sociopolitique sans négliger la variable explicative de la fabrique idéologique des groupes terroristes ouest africains que beaucoup d’experts de l’extrémisme tentent de remettre en cause, souvent, par simple défaut de grilles d’analyse. En s’intéressant aux nouvelles tendances régionales et perspectives de l’islamisme en Afrique de l’Ouest, une place importante a été réservée au phénomène d’émergence d’espaces de socialisation concurrents à la puissance publique pouvant aboutir à une montée de conflictualités du type religieux ou instrumentalisant les appartenances confessionnelles comme le choc aujourd’hui, redouté entre islamisme radical et certains courants évangéliques. Il en est de même du lien entre montée en puissance des tendances salafistes conquérantes et les risques de tensions ethnico-religieuses dans certains pays mais aussi des tendances à une «normalisation» progressive du salafisme, loin de la perception que les analystes «occidentaux» peuvent en avoir.
Une certaine opinion pense que l’inefficacité de la présence des forces militaires étrangères (notamment occidentales) contribue à accentuer la radicalisation. Quel lien peut-on établir entre ces deux aspects (présence de forces étrangères et radicalisation) ?
Il y a eu depuis longtemps ce que j’appelle un conflit de perception du conflit au Sahel entre les approches internationales et les perceptions locales. La coopération sécuritaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a été victime de ce conflit. Il y a eu, au début de cette coopération un défaut de pédagogie et d’information en direction des populations dans un contexte où les sociétés civiles, boostées par les réseaux sociaux, se sont emparées de la question sécuritaire qui n’est plus l’apanage des militaires et des États. Il est vrai que la présence militaire n’a pas réussi pour l’heure à éradiquer le terrorisme et elle ne le réussira pas sous cette forme. Le double discours de certains dirigeants qui sollicitaient cette coopération et la pourfendaient en même temps auprès de leurs opinions publiques a aussi eu ses effets. Bien qu’il faille mitiger le tout militaire avec des stratégies de prévention assumées, il ne faut pas perdre de vue que les États sahéliens et leurs partenaires internationaux sont liés par des impératifs de sécurité collective. La redéfinition des modalités de déploiement au Niger aussi bien avec l’Europe qu’avec la France plus particulièrement dans le sens des intérêts stratégiques nationaux est une bonne approche si elle est accompagnée d’une communication transparente. Dans le principe, toutes les initiatives de coopération sont à saluer au regard de la montée des périls dans la sous-région et plus particulièrement au Sahel dont les pays les plus touchés se trouvent dans l’espace communautaire. Il y a urgence dans une région où on note une augmentation de 1000% (mille pour cent) du nombre de morts depuis 2007 alors que le Sahel concentre 43% du nombre total de victimes du terrorisme en Afrique subsaharienne. Dans le cadre de la coopération sécuritaire, il va falloir se prémunir des effets de certaines propagandes et d’une instrumentalisation des jeunes. De même, les partenaires internationaux devraient adapter leur stratégie à la nouvelle situation en donnant plus de place à la résilience communautaire comme dans le cadre du Programme régional d’appui aux pays côtiers (PRAPC) de l’USAID.
‘’On semble persister dans une approche traitant les symptômes en négligeant les racines du mal déjà profondes’’
Faut-il craindre une expansion du phénomène terroriste aux pays côtiers ?
Cette expansion est aujourd’hui réelle. Dans le cadre de cette stratégie d’AQMI visant à multiplier les «jihads» locaux, l’aile traditionnelle d’Ansarul Islam s’est fixé comme priorité de s’étendre davantage au Burkina Faso, tandis que des éléments de la Macina Katiba et, dans une moindre mesure, de la Serma Katiba se concentrent stratégiquement sur la zone des trois frontières du Mali, du Burkina Faso et de la région des Cascades, en Côte d’Ivoire. Dans cette expansion par la descente observable vers les pays du Golfe de Guinée, il y a une intense activité de la Katiba dite «Gourma». Elle serait dirigée par un Mauritanien du nom d’Abou Hamza qui contrôlerait les trois zones frontalières du Burkina Faso, du Bénin et du Niger. La zone d’opération de cette Katiba serait la zone autour de la forêt qui commence au Niger dans la zone de Tamou et s’étend jusqu’au nord du Bénin, en passant par l’est du Burkina Faso. Les combattants de cette Katiba du Gourma, qui fait l’objet d’une attention croissante, coopéreraient avec la Katiba du Macina. C’est cette jonction qui facilite les zones de passage et les attaques sporadiques dans le nord du Bénin, au Togo et même au Ghana. Les précurseurs de la Katiba Macina sont chargés par le commandement central d’AQMI d’ouvrir des brèches pour préparer la logistique, à travers l’installation de Markaz. Ces Markaz, qui se multiplient dans le nord du Bénin, sont des bases-vie pour regrouper les combattants et assurer le ravitaillement des zones de repli stratégiques et des pistes en attendant un ancrage plus important dans la région.
Puisque la menace est globale, sans frontière et asymétrique, quelles pourraient être les voies de sortie pour nos pays ?
Au Sahel, les États ont presque tout essayé dans le domaine de la lutte militaire. Tous azimuts. Dans les pays côtiers, le déploiement militaire, baptisé Opération Goundalgou, s’inscrivait, aussi, dans le cadre de l’Initiative d’Accra, un concordat signé en 2017 entre le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo pour lutter contre la menace croissante dans la région. Et il faut dire que ce n’est pas le premier cas d’opérations militaires bilatérales contre les groupes déjà actifs dans la région : En 2018, une opération conjointe entre les forces armées du Mali et du Burkina Faso avait permis de démanteler une cellule terroriste présumée à Ouagadougou. Mais à vrai dire, ce ne sont pas les initiatives militaires qui manquent mais une approche globale du phénomène multiforme du terrorisme. Il faudra travailler au renforcement de la coopération entre États afin de lutter contre l’insécurité grandissante en Afrique de l’Ouest au moment où l’Afrique est effectivement devenu le nouveau point chaud du terrorisme international selon les dernières données du Global Terrorism Index qui consacre malheureusement l’Afrique subsaharienne comme le foyer de repli du terrorisme mondial après la déroute de Daech (EI) en Orient. Il est donc temps que la CEDEAO impulse une nouvelle dynamique à son action anti-terroriste surtout que l’organisation sous-régionale semble avoir été dépossédée de cette question sécuritaire, ces dernières années, au profit du G5 Sahel, partenaire favori des partenaires internationaux. Mais l’approche jusqu’ici adoptée n’a pas empêché que l’Afrique subsaharienne concentre la moitié des décès dus au terrorisme en 2021. Hélas, on semble persister dans une approche traitant les symptômes en négligeant les racines du mal déjà profondes. A la fois membre influent du G5 Sahel dont la naissance doit beaucoup aux efforts de Niamey mais aussi de la CEDEAO, le Niger pourrait porter ces initiatives de synergie plus que nécessaires.
Siradji Sanda (ONEP)