En visite de travail au Niger, le Vice-président de la Banque Mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale a accordé une interview exclusive à l’ONEP. Dans cet entretien à cœur ouvert, M. Ousmane Diagana évoque plusieurs thématiques dont la résilience de l’économie nigérienne, les différents programmes et projets financés par la Banque Mondiale au Niger dont le barrage de Kandadji, le financement du PDES 2022-2026, la justice climatique et la place du Niger dans le partenariat de cette institution avec les pays Africains. «Quand on regarde ce qui se passe au Mali, au Burkina Faso et même en Libye et au Tchad qui ne sont pas très loin, on se dit que le Niger est un îlot de stabilité. Et ce n’est pas quelque chose qu’il faut seulement observer et saluer, c’est quelque chose qu’il faut maintenir et créer les conditions pour sa pérennisation», a entre autres confié M. Diagana.
En juin 2021, vous étiez au Niger dans le cadre d’une mission . Vous voilà encore à Niamey, quel est l’objectif de cette visite au Niger ?
Je suis venu cette fois-ci entant que Vice- président de la Banque Mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et centrale et ma visite a un triple objectif. Il s’agit en premier lieu de faire la revue des programmes que nous finançons au Niger avec à la fois des visites de terrain (à ce sujet j’ai été à Kandadji) mais également des discussions techniques avec les Ministères de tutelle et les structures responsables de l’exécution et du suivi de ces projets. Le deuxième objectif, c’est de m’imprégner davantage sur les priorités du gouvernement en matière de développement économique et social et voir dans quelle mesure la Banque Mondiale peut, dans le cadre de son partenariat avec le Niger, accompagner le pays. Parlant de vision, je tiens à souligner que cette visite se tient dans un contexte particulier avec l’organisation prochaine à Paris par le Niger, d’une Table ronde pour le financement de son Plan de développement économique et social (2022-2026). Le dernier objectif de ma mission est de visiter mes propres collègues au Niger. En effet, on a un très grand bureau au Niger avec beaucoup de staff. Il s’agit donc pour moi de voir leurs conditions de travail, de m’imprégner de leur situation ici et voir comment on peut toujours les accompagner pour qu’à leur tour travaillent dans des meilleures conditions possibles avec le Niger qui est un pays très important dans notre dispositif de partenariat avec les pays africains.
‘’Nous avons mobilisé plus de 400 Millions de dollars. Ce qui représente plus du tiers du coût total du barrage’’
Le Niger fait face à divers chocs (sécuritaire, climatique, sanitaire ainsi qu’aux conséquences de la guerre en Ukraine. Mais, l’économie nigérienne fait preuve de résilience. Que faut-il faire pour maintenir cet état de fait ?
En effet, le Niger à l’instar des pays du monde entier est frappé par ces crises multiples et qui se chevauchent. Il y a eu la pandémie et ensuite les crises, pas seulement celles qui sévissent dans la région du Sahel, mais aussi le conflit russo-ukrainien et la crise liée au changement climatique. Le Niger fait preuve de résilience. Le niveau de croissance économique, en terme absolu, est à saluer mais il est important qu’on accompagne le Niger surtout dans son contexte géographique à rester débout. C’est-à-dire pour qu’il puisse continuer à bénéficier de l’accompagnement technique et de l’accompagnement financier pour que l’économie puisse produire les emplois qui sont indispensables à l’amélioration des conditions de vie des populations pour que les services sociaux puissent être disponibles, solides et surtout accessibles aux populations. Je pense précisément à l’éducation, à la santé, à l’accès à l’eau potable et à l’énergie. Pendant cette mission, on a beaucoup échangé sur ces questions. On a surtout essayé d’être plus pragmatique en se disant qu’il y a de grands programmes de la Banque Mondiale dans chacun de ces secteurs. Il faut donc accélérer leur mise en œuvre pour que justement cet objectif de servir les populations partout où elles se trouvent puisse être atteint. Et je pense que c’est ça qui va renforcer la résilience, faire reculer la pauvreté mais aussi créer les conditions d’une reprise poste crise beaucoup plus importante.
Pour beaucoup de Nigériens, la construction du Barrage de Kandadji ressemble à un mythe. Après avoir visité le site du chantier, quelles sont vos impressions relativement à l’aboutissement d’un tel projet ?
J’ai eu la chance d’être moi-même en poste au Niger quand la première pierre de ce programme a été posée, il y a une quinzaine d’années. J’ai eu beaucoup de témoignages, appris beaucoup de choses sur l’histoire de ce barrage. La pose de la première pierre était déjà, à l’époque, une étape extrêmement importante qui a été saluée par les autorités et les populations nigériennes. J’ai été sur le site et j’ai constaté que les travaux ont repris. Ce qui m’amène à vous répondre de manière claire et précise : Le barrage de Kandadji verra bien le jour. On m’a dit que la date d’achèvement des travaux de génie civil, de mise à l’eau du barrage pourra avoir lieu autour du mois d’octobre 2025. Je pense qu’au vu de ce que, j’ai vu sur le terrain, il y a des raisons de rester optimiste en se disant que c’est une échéance qui peut être tenue. Mais si pour des contingences diverses pas toujours prévisibles, ce délai doit être revu, cela ne remettrait pas en cause la réalité du barrage. Ce d’autant que les financements sont mobilisés. Nous-mêmes en tant qu’institution financière, nous avons mobilisé plus de 400 Millions de dollars. Ce qui représente plus du tiers du coût total du barrage qui est d’un peu plus d’un milliard deux cent millions de dollars. Donc, les ressources financières sont mobilisées, les entreprises sont en train de travailler, l’Agence du Barrage de Kandadji (ABK) est dans son rôle. Le gouvernement, malgré le contexte difficile du moment, est en train de tenir tous ses engagements par rapport au barrage.
‘’En moyenne pour les trois années à venir, c’est près de trois (3) milliards de dollars additionnels que le Niger va obtenir de façon concrète’’
Dans son Projet de capital humain, la Banque mondiale insiste beaucoup sur l’autonomisation des femmes, des filles et des jeunes. Concrètement comment cela se traduit-il au Niger ?
Ce projet se traduit par des financements de plusieurs opérations dans le secteur de l’éducation avec un accent particulier sur l’éducation des filles mais également avec une attention très particulière sur le renforcement de la qualité du système éducatif pour que les Nigériens qui sortent du système puissent avoir les compétences qu’il faut pour être employés ou s’auto-employer. Ça se traduit également par un financement significatif en faveur du secteur de la santé. Pendant la Covid nous avons été, peut-être, en termes de financement pour l’achat de vaccins, la première institution. En plus de cela, nous avons été l’institution qui a dit que la crise sanitaire doit être une opportunité pour renforcer le système de santé dans son ensemble. Nous avons pour cela alloué de ressources financières importantes à ce secteur. Et finalement, ce projet se traduit par une augmentation de nos ressources pour le renforcement du système de protection sociale et le financement des programmes de Filets sociaux. Au Niger, l’Indice de capital humain est très bas. Il se situe aux alentours de 0,35, c’est à dire qu’à l’âge de 18 voire 20 ans, un Nigérien ne peut utiliser qu’à peu près 35% de son potentiel. Ce qui n’est pas suffisant pour que les populations puissent contribuer au développement de l’économie et en même temps s’épanouir à la fois physiquement et socialement. Donc les programmes que j’ai mentionné tantôt ont pour objectif de relever cet indice de capital humain et donc de créer toutes les conditions pour que les jeunes filles et garçons soient des acteurs économiques, des citoyens solides, bien formés, en bonne santé et capables de soutenir le pays dans l’atteinte de son objectif légitime d’économie émergente et d’un pays qui peut se développer.
La question de fonds disponibles se pose souvent pour assurer les financements des différents projets surtout dans le contexte mondial actuel. Il n’y a pas de souci à ce niveau ?
En effet, nous avons complété l’approvisionnement ou la reconstitution de l’IDA 20. Il y a, à peine quelques mois, c’est un montant de 65 millions de dollars qui avait été obtenu pour l’ensemble des pays africains et le Niger est bien positionné pour obtenir une part suffisante de ces ressources. Il a déjà commencé à obtenir des ressources à ce niveau là. En moyenne pour les trois années à venir, c’est près de trois (3) milliards de dollars additionnels que le Niger va obtenir de façon concrète. Et ceci va s’ajouter aux programmes importants dans plusieurs secteurs qui existent au Niger et qui financent des projets en cours d’exécution dont le montant global est de plus de 4,4 milliards de dollars américains.
‘’C’est une question de justice que d’appuyer les pays africains à s’adapter au changement climatique, ce n’est pas seulement une question économique ou sociale’’
L’adaptation au changement climatique est un enjeu majeur au Sahel et au Niger en particulier. Et la question du financement en particulier pour les pays africains est toujours d’actualité ainsi que le prouve les débats lors de la COP 27. Quel est votre point de vue sur ce sujet?
Les pays africains sont frappés par les effets du changement climatique et ils ne sont pas suffisamment bénéficiaires des ressources qui sont en train d’être promises ou même mobilisées pour les aider à s’adapter au changement climatique. C’est quelque chose d’injuste qu’il faut corriger parce que les pays africains contribuent très peu à l’émission des gaz à effet de serre et que par ailleurs ils absorbent une partie importante de ces pollutions qui sont générées d’ailleurs. Il y a donc nécessité de les aider à s’adapter aux effets du changement climatique et diminuer les pertes qu’ils enregistrent à cause de cela. C’est une question de justice, ce n’est pas seulement une question économique ou sociale. La Banque Mondiale se fait l’avocat des pays africains en mettant cette question sur la table dans toutes les négociations internationales. En même temps nous jouons notre rôle en finançant des programmes qui permettent aux pays africains de s’adapter au changement climatique. Lorsque je parlais tantôt de ce que nous faisons dans l’agriculture, l’énergie, l’eau, nous le faisons selon une approche qui permette à ces secteurs d’être encore plus résilients, qui tienne compte de l’impact du changement climatique sur les sols et sur la production ou la productivité agricole. Dans le domaine de l’énergie, nous plaidons pour que les pays, qui ont un potentiel important en matière d’énergie renouvelable comme le solaire ou l’éolien puissent utiliser ça pour créer les conditions d’un meilleur accès des populations à l’électricité.
Le PDES 2022-2026 a un coût de 30 millions de dollars dont 16,5 millions sont à rechercher. Etes-vous optimiste quant à l’issue de la Table ronde de Paris et qu’est ce qui justifierait cet optimisme?
Je ne peux parler que de la Banque Mondiale. Le Niger organise la table ronde avec l’ensemble de ses partenaires; mais pour nous à la Banque Mondiale, le Niger est un pays très important d’abord par rapport à sa situation géographique et les problèmes d’insécurité dans son voisinage immédiat. Quand on regarde ce qui se passe au Mali, au Burkina Faso et même en Libye et au Tchad qui ne sont pas très loin, on se dit que le Niger est un îlot de stabilité. Et ce n’est pas quelque chose qu’il faut seulement observer et saluer, c’est quelque chose qu’il faut maintenir et créer les conditions pour sa pérennisation. Pour cela, il faut des programmes structurants qui permettront aux jeunes d’avoir accès à un travail et à un travail décent; aux jeunes filles d’aller à l’école et d’en ressortir avec des connaissances qui leur permettent de contribuer à adresser le défi démographique. Tout cela demande des financements conséquents. Nous tenons compte de cela pour aider le Niger à bénéficier des ressources financières importantes. En plus, le Niger accorde une place extrêmement importante aux institutions ; des institutions qui sont solides, stables et crédibles. C’est une œuvre de longue haleine qu’il faut accompagner. Il y a aussi la résilience des populations nigériennes. Avec tous ces éléments, des institutions comme la Banque Mondiale ne peuvent qu’accompagner le Niger. Nous ne sommes pas qu’une banque, nous sommes une institution de développement. Et c’est à ce titre que nous regardons les facteurs qui peuvent contribuer à amener un pays d’une situation A aujourd’hui, à une situation B demain où les populations bénéficient de conditions de vie meilleures. Et cette situation B ne doit pas être un point d’arrivée définitif. Tous les pays cherchent à s’améliorer tous les jours. On ne peut pas dire que les Etats Unis et la France sont aujourd’hui des pays développés et doivent croiser les bras. Ils doivent maintenir les résultats en matière de développement, donc ils doivent se réformer en permanence, ils doivent interroger leurs politiques publiques, ils doivent approcher les programmes d’investissement d’une autre manière.
Quand je dis que nous sommes une banque de développement, c’est parce que nous apportons notre expertise technique et nos conseils au gouvernement pour que ses objectifs de développement puissent être atteints. Notre mission de banque devient ensuite un appoint puisqu’il faut mobiliser des financements pour à la fois contribuer à la réalisation d’un certain nombre d’objectif, mais aussi compte tenu de la crédibilité de l’institution que nous représentons, notre financement d’un dollar pourrait amener trois dollars de plus. Et c’est ça qui permet d’avoir un effet multiplicateur pour des résultats durables. Donc si le monde a la même lecture que moi, je peux être optimiste pour le résultat de la table ronde.
‘’Si le Niger d’aujourd’hui est mieux que le Niger d’il y a 5 ans, on peut en déduire mathématiquement que le Niger dans 5 ans sera meilleur qu’aujourd’hui’’
Est-ce que le numérique représente une bonne perspective de développement pour nos pays?
La réponse est oui. Pas seulement pour la Banque Mondiale, mais pour tout le monde. Si on est en mesure d’avoir cet entretien où chacun de nous va trier les éléments dont il a besoin et le partager avec ses auditeurs, lecteurs ou téléspectateurs, c’est grâce au numérique. Si la crise sans précèdent que le monde a connu et dont il continue de souffrir de certains de ses effets en l’occurrence la COVID-19, les économies et les populations ont appris à être résilientes, c’est à grâce au numérique. Quand les écoles ont continué à fonctionner dans pas mal d’endroits surtout pour ce qui concerne l’enseignement supérieur, quand les transferts monétaires ont continué à se faire au moment où les populations ne pouvaient pas bouger, c’est grâce au numérique. Oui, le pouvoir de transformation du numérique est sans précédent. Je le dis à beaucoup de mes interlocuteurs, l’analphabète de demain et je pourrais dire d’aujourd’hui n’est pas celui qui n’est pas allé à l’école, mais plutôt celui qui ne comprend pas ou qui n’utilise pas le potentiel du numérique.
Monsieur le président pour finir, je veux vous prendre au mot par rapport à une déclaration que vous avez faite dans l’interview que vous nous aviez accordée en juin 2021. ‘’ Je pense que dans les cinq (5) ans à venir, le Niger sera un pays en pleine transformation’’. Cette déclaration nous intéresse parce qu’on sait que vous êtes un observateur averti et attentif pour tout ce qui concerne le Niger et surtout pour y être resté pendant des années. Est-ce que cet optimisme reste encore de rigueur, un an après cette déclaration ?
Vous êtes mieux placés que moi pour dire où est-ce que le Niger se trouve par rapport à cette déclaration. C’est vous qui vivez ici. Moi, je viens pour passer deux ou trois jours. Mais ce que je sais c’est que le Niger d’aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec le Niger d’il y a six (6) ou sept (7) ans. Le Niger d’il y a six (6) ans ou sept (7) ans n’a pas grand-chose à voir avec le Niger d’il y a dix (10) ans, ne serait-ce que sur le plan physique. Si le Niger d’aujourd’hui est mieux que le Niger d’il y a 5 ans, on peut en déduire mathématiquement que le Niger dans 5 ans sera meilleur qu’aujourd’hui. Je vous ai parlé de ce qui se passe avec le barrage de kandadji qui est en train de se réaliser. Ce barrage peut-être dans cinq (5) ans sera vraiment une réalité avec tout ce que cela va avoir comme résultats en termes de niveau de production de l’électricité, de développement de l’agriculture et de la maitrise de l’eau pour que les paysans puissent réaliser produire constamment avec un taux de rendement meilleur que les six (6) à sept (7) tonnes à l’hectare aujourd’hui. Dans cinq (5) ans, le Niger peut faire 15 tonnes à l’hectare. Ce qui veut dire le Niger sera absolument une solution, pas seulement à son propre problème d’insécurité alimentaire, mais le Niger peut aussi devenir un grenier pour toute l’Afrique de l’Ouest et que les pays africains ne soient pas affamés parce qu’il y a une guerre en Ukraine. L’Ukraine n’a que 40 millions d’habitants alors qu’en Afrique, on a plus d’un milliard quatre cent millions habitants. Il faut voir désormais les choses autrement. On a parlé du pouvoir de transformation du digital. Le peu que le Niger a aujourd’hui dans l’économie numérique ne pourra que s’augmenter au fil des années. Cela peut permettre aux étudiants de l’Université Abdou Moumouni d’avoir tous accès aux bibliothèques de Harvard ou toute autre Université au monde et avoir par conséquent sans bouger du Niger les mêmes chances d’accéder à un savoir qui s’est mondialisé et être compétitifs à l’échelle mondiale. On peut faire des hospitalisations et donner des soins de santé de qualité à travers le digital. C’est comme ça que demain se fera et il doit profiter à tous les pays. Oui, je suis vraiment optimiste et mon rôle en tant que partenaire du Niger est de faire en sorte que cet optimisme ne soit pas un optimisme béat, c’est-à-dire qu’on ne tient que dans le discours. Il faut qu’on soit dans l’action portée avec les Nigériens (les autorités gouvernementales; le secteur privé, la société civile et surtout les jeunes parce que le futur de l’Afrique se fera ou ne se fera pas qu’avec sa jeunesse.
Réalisé par Assane Soumana et l Siradji Sanda