Comme toutes les institutions sociales, le mariage n’échappe pas aux mutations qui caractérisent les sociétés actuelles. D’une célébration dans la simplicité et le respect des normes sociales propres aux différents groupes ethniques qui composent la communauté nationale, les festivités de mariages répondent désormais à des codes qui n’ont rien à voir avec nos us et coutumes particulièrement à Niamey. Les familles de deux côtés se retrouvent prises dans l’engrenage des dépenses extravagantes qui leur imposent une véritable saignée financière dans le seul but de se faire remarquer dans la société. Une situation qui pousse souvent les futurs mariés (garçons) à s’endetter jusqu’au cou, pour avoir ‘’le mariage de l’année’’. Mais, la réalité finit toujours par s’imposer. Beaucoup de couples ne tiennent pas longtemps. Juste le temps des noces. Le mariage hier et aujourd’hui.
Le mariage traditionnel : Une célébration en toute simplicité
Le mariage est un engagement solennel entre deux personnes. Généralement, l’union d’un homme et d’une femme qui promettent de vivre ensemble pour le meilleur et pour le pire. Autrefois, la célébration du mariage se faisait dans la simplicité, la gaieté et la joie de vivre. Une cérémonie riche en émotions et en couleurs est organisée pour l’occasion, sans recourir au service d’un « weeding planner ». Dans les sociétés traditionnelles le mariage n’est célébré qu’après les récoltes et l’essentiel des ustensiles de la jeune mariée étaient confectionnés à la main.
Quand la tradition était respectée, deux jeunes ne peuvent se fréquenter. Un homme en âge de se marier n’a aucunement le droit de choisir sa dulcinée, car c’est une tâche destinée au chef de famille qui est le père. Les jeunes filles et garçons n’ont pas le droit de se fréquenter car, la coutume interdisait la proximité entre filles et garçons avant les noces. Ainsi, quand un père décide de marier son fils, c’est à lui de lui trouver la « perle rare ». « Le père envoie l’ami du garçon chez la demoiselle en question, qui explique aux parents de la jeune fille qu’un tel aimerait, votre fille comme épouse pour son fils », explique Maimouna Harouna dite Tinni Bio Gna. Après cette étape, dit-elle, le jeune homme et son ami se rendent dans la belle-famille. La jeune fille et son amie à leur tour, accueillent les deux jeunes hommes avec sourire. « Dans notre tradition, pour accueillir un prétendant, nous confectionnons deux nattes : une toute blanche et l’autre en deux couleurs croisées, noir et blanc connu sous le nom « ni tché bio, ni tché koira », rappelle la doyenne. Selon Tinni Bio Gna, la natte tressée à base de feuilles de palmier doum a une signification culturelle. Elle est utilisée d’une part, pour communiquer entre la fille et le prétendant et d’autre part pour la décoration de la case de la jeune mariée.
Le langage des objets et la perception de la dote
Ainsi, à l’arrivée du jeune garçon et son ami, poursuit-elle, la belle-famille a déjà confectionné les deux nattes. Si à son arrivée, il est accueilli sur une natte blanche sans aucune couleur, cela signifierit que la fille a accepté la demande. Mais si la natte est de deux couleurs croisées, la demande a été rejetée. « La fille n’a pas besoin de parler, ce sont les nattes qui parlent à sa place et tout un chacun connaît leurs significations. Si la demande est acceptée, ce ne sont pas les deux tourtereaux qui évoquent le sujet, mais chacun sera avec l’ami de l’autre pour en discuter. Ainsi quand le prétendant s’apprête à partir, lui et son ami mettent sous les quatre bouts de la natte des pièces de 25 F, 50 F bien qu’à notre époque, c’était une fortune. Dès qu’ils ont le dos tourné, l’amie de la jeune fille récupère la natte. Et si elle aperçoit qu’ils y ont déposé des pièces, elle fait entendre sa voix à travers des cris qui indiquent qu’une telle a eu une demande en mariage et la fête commence avec des chants et danses jusqu’au matin », a–t-elle dit. Et sur ces entrefaits débutent les démarches du mariage.
La dot désigne l’avantage pécuniaire ou en nature que le prétendant verse à sa fiancée. C’est une condition sine qua non à la validation du mariage. Elle est un droit inaliénable de la future jeune mariée. Par le passé, le montant de la dot n’était pas exorbitant. Ainsi, avec une petite somme ou un présent (mil, sorgho, maïs…etc.), un mariage peut être scellé. « À notre époque, la dot n’était constituée que de deux calebasses de mil avec au-dessus 10 F, 25 F, voire 50 F. Mais par contre d’autres qui sont plus aisées augmentent la somme de la dot », explique Tinni Bio Gna.
Dans la tradition, ajoute-elle, il n’y avait pas de valises, ni de cadeaux et encore moins d’uniforme pour la réception de la dot. « Les jeunes filles d’avant avaient honte et avaient de la pudeur dans le regard. Elles avaient honte de se montrer le jour de la réception de la dot. Contrairement à cette génération où pour recevoir une dot, il faut tout un processus », a-t-elle dit.
Les festivités de mariage dans l’ancienne époque
Le mariage ne se déroule qu’après les récoltes, au moment où les tiges de maïs et de mil sont sèches. La case des jeunes tourtereaux est construite le jour même du mariage. « Les parents de la mariée confectionnent à leur tour bien avant le jour J le matériel nécessaire pour leur fille. A notre époque, il n’y avait pas de luxe, tout se fabriquait avec ce que nous avons sous la main », a expliqué la doyenne. Le lit était fait à base de tiges de mil, les nattes tressées avec des feuilles du palmier doum, les oreillers en cuir, des pots et objets d’art en argile, des calebasses etc. Les lundis et vendredis sont les jours par excellence pour les noces.
Ainsi à quelques jours de la cérémonie, la tante de la mariée se rend en brousse et recueille sur chaque arbre une feuille. Une fois à la résidence, cette dernière mélange les feuilles avec un peu d’encens qu’elle pile soigneusement. Cette astuce est utilisée selon notre interlocutrice pour savoir si une fille est innocente. « Après obtention du mélange, elle rajoute un peu d’eau dans ce dernier. Peu de temps après, ce même mélange est déposé sur la tête de la fille accompagnée par des chants et danses. Si le liquide que contient le mélange coule le long de son front jusqu’à sa bouche et que la fille contracte de la fièvre alors c’est une fille innocente. Mais si le liquide est dispersé un peu partout sur sa tête et son visage alors ce n’est pas une fille qui reste tranquille», explique Tinni Bio Gna.
Après ce rituel, à la tombée de la nuit, la belle-famille envoie le cortège pour chercher la mariée. « Nous ne possédions pas de voiture, tout se faisait à dos de cheval. Une fois dans sa nouvelle demeure, elle ne sort qu’après sept jours, ne mange pas et ne boit pas sans autorisation », ajoute la doyenne. « Nous célébrions nos mariages dans la simplicité, pas trop de dépenses. Pour dire qu’on a pas besoin de trop pour être heureux », a-t-elle conclu.
Fatiyatou Inoussa (ONEP)
Les mariages modernes : Entre extravagances et désir de reconnaissance
De nos jours, la célébration des mariages impliquent de nouvelles formes de fantaisies. Les jeunes nigériens en âge de se marier, garçons comme filles ne veulent montrer au monde que la somptuosité de leur mariage à travers des dépenses extravagantes. Chacun veut s’exhiber, et démontrer qu’il a organisé ‘’le mariage de l’année’’. Ainsi plusieurs festivités sont organisées au cours de cette cérémonie, à coût de centaines de milliers, voire de millions de francs CFA pour le grand plaisir du futur couple.
De nos jours, même la dot connaît une évolution choquante, car elle est perçue comme une source de pouvoir. Pour beaucoup de familles, c’est le montant de la dot qui détermine l’appartenance à une bonne famille. C’est ainsi que plusieurs demandes de mariages se trouveraient rejetées à Niamey, parce que le montant de la dot n’est pas consistant. Une situation qui pousse les jeunes garçons ambitieux à se résigner à l’idée de fonder un foyer avant d’accumuler un certain montant. C’est le cas de Hamidou Amadou, un étudiant rencontré à l’Université Abdou Moumouni de Niamey qui nous a fait part de ses craintes. « Je prévois de me marier sous peu, mais quand je pense au prix de la dot ça me décourage. Imaginez qu’aujourd’hui il y a des familles qui disent à leurs filles de ne pas accepter 500.000 FCFA. Récemment, la copine de mon ami lui disait qu’elle ne peut pas prendre 500.000 FCFA pour sa dot, car il y a trop de dépenses à faire, et que même les meubles dépassent cette somme », a-t-il fulminé.
Selon une mère, c’est bien normal que le montant de dot soit élevé. « Nous demandons à nos filles de ne pas accepter 500.000 FCFA comme dot, car tout est devenu cher à Niamey. Les meubles coûtent chers, il y a l’organisation de la cérémonie, en plus de cela vient s’ajouter la valise du jeune marié qui s’est avérée être un présent de la part de sa belle-famille composée de bazin, tapis de prière, chapelet, chaussures, tissus, parfums, savons, montre, etc. La mariée aussi doit puiser dans cet argent pour remplir sa valise de pagnes, bazin, lèches, bijoux, produits de beauté chaussures etc. Donc au vu de tout ceci, nous avons de bonnes raisons de demander plus », a-t-elle confié.
De nos jours, la réception de la dot est accompagnée par des festivités chez la future mariée. Les amies de la mariée, vêtues de leurs uniformes, avec différentes sonorités de musique d’amour font des vidéos et des photos pour immortaliser l’événement. Ainsi, Fatoumata raconte à cet effet les festivités organisées lors de la remise de la dot de sa sœur. « Comme le font beaucoup de jeune mariée ou wayhidji et ses amies, nous avons opté pour des saharis en guise d’uniforme. Les sœurs du jeune marié ont apporté le gâteau sur lequel c’est écrit ‘’she said yes’’, autrement dit ‘’elle a dit oui’’. Un plat spécial a été préparé pour la circonstance. Et pendant que les anciens recevaient la dot, nous faisions la fête », explique-t-elle.
Ce changement brusque dans les attitudes inquiète plus d’une personne. « Plus nous avançons dans le temps, plus les choses se compliquent. Remise de dot avec beaucoup de formalités, c’est vraiment inquiétant. Je me demande même ce qui est à l’origine de ce changement. Pourtant, nos mamans nous racontaient qu’avant ce n’était pas si compliqué de se marier. Nos jeunes sœurs ne cherchent que le luxe, l’extravagance, avoir le plus beau mariage qui fait saigner les parents financièrement. Parce que ce n’est pas évident d’envisager de se marier si l’on n’a pas les poches pleines », a souligné Hamidou Amadou.
Une véritable saignée financière pour les familles
La célébration du mariage à Niamey est devenue de nos jours une sorte de compétition qui excite les uns et les autres. Entre fantaisies, envie, mensonges et paraître, la célébration du mariage prend une autre tournure. Plusieurs festivités sont organisées une semaine avant et après les noces. En premier lieu, l’enterrement de vie de jeune fille ou ‘’Bridal Shower’’. Au cours de cette cérémonie, les amies et connaissances de la mariée vêtues de leurs uniformes se retrouvent soit dans un restaurant, une demeure ou dans un endroit approprié pour immortaliser le moment dans une bonne ambiance, avec de la musique, de bons plats, des boissons et un gâteau pour certains.
Ensuite vient la cérémonie du henné qui consiste à embellir les futures jeunes mariés en leur donnant un teint éclatant. C’est une cérémonie qui donne lieu à des festivités provoquant des coûts exorbitants. C’est une cérémonie pendant laquelle les griots se garnissent les poches. Après cette réjouissance, vient ensuite le ‘’patin kawyawa’’ ou style à la villageoise qui a lieu la veille du mariage. Cette festivité consiste à retracer les anciennes coutumes et à renforcer les liens de fraternité. Vêtues d’habits traditionnels et maquillées à la villageoise, les demoiselles se regroupent autour de la jeune mariée elle-même habillée d’un pagne traditionnel différent de l’uniforme des autres invités. A l’occasion, certains font appel à des professionnelles de la musique traditionnelle et d’autres utilisent la radio. Après cette étape, vient le grand jour que certains qualifient, à juste titre, ‘’jour de défilé de mode’’.
En effet, en cette seule journée, les convives se font confectionner trois à quatre complets. « Lors de la fatiya, nous avons porté un bazin violet comme uniforme, dans l’après-midi l’uniforme proprement dit. Lors du cortège, nous avons opté pour un sahari marron à la touareg. Le jour du cocktail, nous avons opté pour des robes raffinées. J’ai acheté le tissu à 5 000 f et je l’ai cousu à 10 000 », a avoué Fatoumata.
Beaucoup de gens se posent des questions sur la durée de vie des mariages de nos jours. Récemment sur la toile circulait des informations sur un mariage annulé par la faute des tantes et cousines de la mariée. En effet, selon les informations à une semaine des noces, les tantes et cousines de la jeune mariée ont sommé le futur jeune marié de trouver une nouvelle maison, car pour elles, la chambre principale de la maison qu’il avait prise en location est trop petite pour contenir les meubles importés qu’elles ont commandés, et que les carreaux des autres chambres ne leur conviennent pas. Outré par le comportement de sa belle-famille, le jeune homme lui a laissé la dot et tout ce qu’il a amené, et s’est marié avec une autre fille. Pourtant, selon les recommandations prophétiques, ‘’le meilleur mariage est celui qui est facile’’ autrement dit, la meilleure dot est celle qui est la plus facile et la plus modeste. A cet effet, Omar Ibn Khattab dans ses récits dit « n’exagérez pas dans le montant des dots. Si c’était une bonne action ici-bas ou un acte pieux pour l’au-delà, le prophète Mohamed paix et salut sur lui, l’aurait fait avant nous. Mais il n’a pas donné en dot à une de ses femmes, ni n’a réclamé en dot pour ses filles, plus de douze onces, et l’once équivaut à quarante dirhams ».
Fatiyatou Inoussa (ONEP)