Pour limiter le risque qui s’attache au crédit, le banquier exige souvent de son client des garanties qui peuvent être mobilières ou immobilières. Dans le cadre de ce travail, il sera essentiellement question de la réalisation des garanties immobilières ou hypothèques.
L’hypothèque est une sûreté très largement employée dans le commerce de banque pour la garantie des crédits à long terme, dont la durée est supérieure à 7 ans ou des facilités à court ou moyen terme portant sur de fortes sommes d’argent. Le crédité fournit le titre de propriété de son immeuble à l’établissement de crédit et une convention d’affectation hypothécaire est conclue entre les parties. Comme une décision de justice, l’acte d’affectation hypothécaire, revêtu de la formule exécutoire, constitue un titre exécutoire ou de créance liquide et exigible conformément au droit OHADA (arts. 33 et 247 AUPSRVE).
Après mise en demeure constatant la défaillance du débiteur à rembourser sa dette, le créancier impayé saisit le bien hypothéqué afin de le faire vendre et se payer sur le prix de vente ou de se faire attribuer ledit bien.
La saisie immobilière est donc une des voies d’exécution qui consiste pour un créancier de poursuivre la vente forcée des immeubles appartenant à son débiteur défaillant ou de ceux affectés à sa créance. Il s’agit d’une vente par expropriation forcée, c’est-à-dire cession des biens immobiliers du débiteur contre sa volonté ou la volonté de toute personne engagée dans le remboursement d’une créance adossée à une garantie réelle immobilière, comme un tiers ayant acquis l’immeuble ou qui s’est porté caution hypothécaire.
Ce qui nous amène à nous intéresser à la problématique de la vente sur saisie des immeubles, c’est parce que nous constatons qu’au Niger depuis plusieurs années, les ventes aux enchères des biens immobiliers des personnes débitrices vis-à-vis des banques ne suscitent pas l’intérêt des opérateurs économiques. La majorité des immeubles hypothéqués par les débiteurs, vendus suivant procédure de saisie immobilière, ont été attribués aux créanciers poursuivants (banques), faute d’enchérisseurs.
Bien avant OHADA, ceux qui voulaient enchérir devaient procéder par le ministère d’avocat. Aujourd’hui, en plus de l’avocat, la loi uniforme donne aux enchérisseurs le droit de porter eux-mêmes les enchères (art. 282 al. 3 AUPSRVE). Donc, tout intéressé peut enchérir ; même les personnes frappées d’incapacité de droit commun (mineurs, majeurs en curatelle) peuvent enchérir par voix de leurs représentants légaux. Seuls les membres du tribunal, de l’étude du notaire lorsque l’adjudication se fait en son cabinet et l’avocat poursuivant ne peuvent enchérir.
Malgré toute cette flexibilité juridique, les hommes d’affaires nigériens ne sont pas au rendez-vous des tribunaux au moment des ventes aux enchères publiques des immeubles donnés en garantie aux établissements financiers et de crédit.
Qu’est-ce qui explique alors cette réticence du monde des affaires à s’intéresser aux ventes sur saisie immobilière au Niger ? Est-ce la lenteur de la procédure ou les considérations d’ordre socioculturel ?
Il est vrai que la procédure de saisie immobilière est complexe. Dans un souci de célérité, le législateur OHADA l’a encadrée dans un délai maximum de 90 jours. Pendant ce temps, il se passe des actes extrajudiciaires et des actes judiciaires.
D’abord, le commandement aux fins de saisie est l’acte extrajudiciaire par excellence. Il est destiné, à la fois, à mettre en demeure le débiteur de régler sa dette et de placer l’immeuble sous main de justice. Tout est lié à partir de la signification du commandement : soit le débiteur paye dans le délai de 20 jours ; soit le commandement est transmis à la conservation foncière et vaudra saisie à compter de sa publication. Lorsque la saisie porte sur un immeuble détenu par un tiers, le commandement est signifié avec sommation à tiers détenteur. Si le débiteur ou le tiers paye dans les 20 jours, l’inscription du commandement est radiée par le conservateur.
A compter de la transcription, il est interdit au débiteur de passer des actes de disposition sur le bien saisi, c’est-à-dire qu’il ne peut plus l’aliéner ni le grever de droit réel ou charge.
Ensuite, le cahier des charges est rédigé et déposé au greffe du tribunal compétent par l’avocat poursuivant dans un délai maximum de 50 jours à compter de la publication du commandement. Un acte de dépôt dressé par le greffier en chef est remis au déposant.
En outre, dans les 8 jours qui suivent le dépôt du cahier des charges, le poursuivant fait sommation au saisi et aux créanciers inscrits de prendre connaissance du cahier des charges et d’y faire insérer leurs dires et observations. Par la même occasion, il fixe la date de l’audience éventuelle de contestations qui doit être située entre le 30ème et le 60ème jour à compter de la dernière sommation faite au saisi, étant entendu que s’il n’y a ni dire ni observation au cahier des charges la date ainsi fixée est non avenue. Il y est également fait mention de la date d’adjudication qui doit intervenir dans les 15 jours au plutôt et 45 jours au plus tard.
Le premier acte judiciaire, dans une procédure de saisie immobilière, est la décision rendue à l’audience éventuelle pour trancher les contestations soulevées à travers les dires et observations des parties. Pour être recevables, la jurisprudence est constante que les contestations doivent être sérieuses. Relativement à la clôture contradictoire du compte, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) dont le siège est à Abidjan (Côte d’Ivoire) a récemment cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso qui a retenu que la clôture du compte n’a pas été contradictoire, alors même qu’il n’est pas contesté que B.B a sollicité et obtenu maintes informations sur ses comptes, sans élever une quelconque protestation (CCJA, arrêt n°151/2023 du 29/06/2023, B.B c/ IB BANK S.A) ; de même, il a été décidé qu’en l’absence de contestations sérieuses, le montant unilatéralement arrêté par la banque doit être retenu (TGI/HC, jugement civil n°573/18 du 24/10/2018 : BAN c/ Sté MOTRACOM ; CCJA, n°25, 15/07/2004 : M c/ SCA-CL. Ohada J-O5-168, Juris-Ohada, n°4/2004, oct, déc. 2004, p. 2, note Brou Kouakou Mathurin). En cas de non insertion de dires au cahier des charges, le tribunal le constate et renvoie la cause et les parties à l’audience d’adjudication.
La phase d’adjudication comporte trois étapes : la réquisition, les enchères et la décision. En effet, le tribunal ne procède à l’adjudication que sur réquisition du poursuivant ou, à défaut, sur demande de l’un des créanciers inscrits. Il en résulte qu’au jour de l’adjudication, le saisi n’a pas droit de requérir. Les juges doivent déclarer irrecevable la réquisition du saisi sous quelque forme qu’elle soit présentée.
Les enchères sont des offres successives et de plus en plus élevées présentées par des personnes qui désirent acquérir l’immeuble sous réserve des interdictions d’enchérir évoquées plus haut. Aussitôt les enchères ouvertes, le montant de la mise à prix est annoncé. Cette mise à prix est au minimum égale au ¼ de la valeur vénale de l’immeuble. Par exemple pour un bien évalué à 100 millions, la mise à prix sera fixée à partir de 25 millions à plus. Une mise à prix équitable permet non seulement d’attirer les enchérisseurs mais aussi de garantir le remboursement de la dette. A partir de ce moment, trois bougies préparées sont mises à feu une à une pour une durée d’une minute chacune : soit il n’y a pas d’enchère après l’extinction des trois bougies et le poursuivant est déclaré adjudicataire ; soit plusieurs enchères sont portées. Dans ce cas, plusieurs situations se présentent au juge. Si, avant l’extinction d’une bougie, il survient une enchère, celle-ci ne devient définitive et n’entraine l’adjudication que s’il n’en survient pas une nouvelle avant l’extinction de deux autres bougies. Toute enchère portée pendant cette période couvre automatiquement l’enchère précédente et libère l’enchérisseur précédent, même si la nouvelle enchère est nulle. L’adjudication est prononcée en faveur du dernier et plus offrant enchérisseur. Lorsque la dernière enchère est portée par ministère d’avocat, l’avocat dernier enchérisseur a trois jours pour faire connaitre le nom de l’adjudicataire et fournir son acceptation ou représenter son pouvoir. A défaut, il est réputé adjudicataire.
Enfin, les biens sont adjugés à celui qui a porté l’enchère la plus élevée par décision judiciaire ou procès-verbal du notaire porté en minute à la suite du cahier des charges.
Pour couper cours au dilatoire, le législateur prévoit que les décisions rendues en matière de saisie immobilière ne sont pas susceptibles d’opposition. Elles ne sont frappées d’appel que dans les conditions fixées par la loi (art. 300 de l’AUPSRVE).
En dépit des gardes fous consacrés pour un déroulement efficace de la procédure de saisie immobilière, les nigériens sont réticents à investir les tribunaux pour enchérir et se faire adjugés des immeubles. A titre d’exemple, pendant dix ans nous n’avions assisté qu’à deux procédures de vente sur saisie où des enchérisseurs se sont manifestés dont l’un à Niamey et l’autre à Maradi. Or, c’est une grande opportunité à saisir pour faire des affaires. Ainsi, la recherche des goulots d’étranglement nous oblige à fouiller dans nos considérations socioculturelles.
D’abord, est-il permis pour un musulman d’acheter une maison saisie aux enchères ? Cette question mérite d’être posée au Niger où 99% de la population est musulmane. Selon une source digne de foi (islamweb.net) : « en cas d’incapacité de remboursement du capital de la dette par le débiteur et non des intérêts illicites de cette dette, il est alors permis d’acheter cette maison et de participer à la vente aux enchères publiques organisée pour la vendre ». Au demeurant, le droit musulman n’interdit aux fidèles d’acheter une maison à l’occasion d’une procédure de saisie que lorsque la vente aux enchères de l’immeuble n’est organisée que pour recouvrer uniquement les intérêts de la dette. Ceci relève de la doctrine soutenue par la majorité des ulémas. Ils s’appuient, entre autres arguments, sur le hadith d’Anas selon lequel le messager d’Allah (bénédiction et salut soient sur Lui) a mis en vente une natte ou un tapis de selle et une coupe en disant : « Qui va acheter ce tapis et cette coupe ? » Un homme a dit : « Je les ai pris à un dirham ». Le Prophète (bénédiction et salut soient sur Lui) dit : « Qui offre plus d’un dirham, qui offre plus d’un dirham ? » Un autre homme lui a offert deux dirhams et il le lui a vendu » (rapporté par At-Tarmidhi et en a dit : « Ce hadith est beau »). C’est pertinent car grâce aux enchères qu’il a provoquées, notre Prophète a pu vendre ses articles au plus offrant. Il ressort de ce qui précède que le droit musulman n’est pas réticent aux adjudications. Tout le monde peut non seulement vendre mais aussi acheter des biens aux enchères publiques, comme l’a si bien fait le messager d’Allah.
Ensuite, pour certains les relations sociales en sont pour quelque chose. Dans les villes nigériennes presque tous les gens se connaissent et tout se sait. En effet, pour informer le public de la date d’adjudication, la loi prévoit une publicité en vue de la vente, trente jours au plutôt et quinze jours au plus tard par insertion dans un journal d’annonces légales et par apposition de placards à la porte du domicile du saisi, de la juridiction compétente ou du notaire convenu ainsi que dans les lieux officiels d’affichage de la commune de la situation des biens. A travers cette publicité, les potentiels enchérisseurs se renseignent non seulement sur la date et lieu de la vente mais aussi surtout sur l’adresse du débiteur. Spontanément, une sorte de solidarité se manifeste de bouche à oreille autour du saisi et influe directement ou indirectement sur la volonté d’acquérir l’immeuble.
Enfin, d’autres invoquent les considérations morales. En effet, ouverte aux impératifs de la conscience, la morale intervient souvent dans le domaine des affaires au Niger. Un débiteur est considéré par la société comme une personne en difficulté dont il ne faut pas aggraver la situation. Il en est toujours ainsi lorsque l’immeuble saisi abrite la famille du débiteur. Or, il faut le dire qu’à ce niveau, le législateur OHADA a été clément vis-à-vis des débiteurs. Il est interdit de consentir à la réalisation conventionnelle ou par attribution judiciaire du bien hypothéqué, toutes les fois que l’immeuble est à usage d’habitation ou la résidence principale de la personne débitrice.
Dans ce dernier cas, le créancier qui n’est pas payé à l’échéance ne peut réaliser l’hypothèque que selon les règles applicables à la saisie immobilière. Cela a pour avantage de mettre le bien sous main de justice et d’attiser la convoitise des potentiels acquéreurs à travers les enchères, permettant ainsi de vendre l’immeuble au plus offrant.
D’après un adage bien connu des juristes : « les droits viennent à ceux qui veillent ». A mon avis, contrairement à l’opinion généralement répandue, il n’y a plus de préjugés que de vérité quant à la perception des nigériens sur l’achat des immeubles vendus aux enchères. En effet, l’adjudication est profitable à plus d’un titre.
D’abord, celui qui acquiert un immeuble à l’occasion d’une vente aux enchères publiques aide le débiteur à mieux sauvegarder ses intérêts en lui évitant de brader son bien.
Ensuite, la vente sur saisie permettra au banquier d’avoir de liquidité nécessaire pour faire tourner l’économie du pays par le financement des projets ou l’octroi de crédits aux entreprises.
Enfin, l’acquéreur pourra à son tour revendre l’immeuble sur le marché ordinaire avec une plus-value déterminée selon la loi de l’offre et de la demande.
Après analyse de la problématique de la vente sur saisie immobilière au Niger, nous constatons que la difficulté découle moins de la lenteur procédurale que de l’état d’esprit de nos concitoyens. En effet, la réticence se manifeste tout simplement parce que l’adjudication se déroule devant un tribunal. Pour beaucoup de nigériens, ne se trouve devant une juridiction que celui qui a des démêlés avec la justice. Cette perception peut être contournée de deux manières : d’une part, en faisant appel à un avocat qui peut valablement représenter et enchérir au nom et pour le compte de celui qui a requis son ministère ; d’autre part, nous devons explorer, pour certains types de dossiers, la procédure d’adjudication devant le notaire.
Cette pratique, qui n’est jusqu’alors pas usitée au Niger, est rentrée dans les mœurs dans certains pays comme le Sénégal.
Maître Laouali Amadou Madougou, Avocat à la Cour
Ancien Membre du conseil de l’Ordre des Avocats du Niger
Ancien Gouverneur de Zinder
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