Bassines de tourteau et d’huile d’arachide
À Birni N’Gaouré, chef-lieu du département de Boboye dans la région de Dosso, l’arachide est une véritable culture de rente. Pour de nombreuses femmes, elle représente une opportunité économique, un vecteur d’autonomie et un symbole de résilience. Organisées en groupements, ces femmes transforment cette légumineuse en divers produits tels que l’huile, la pâte et le tourteau, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire et à la vitalité économique des marchés locaux. Malgré les défis liés à l’accès aux matières premières et aux équipements, ces femmes, soutenues par des initiatives locales et des partenariats visant à renforcer leurs capacités, continuent de faire preuve d’une détermination exemplaire.
Composé de 15 femmes transformatrices d’arachide, le groupement Wadata incarne l’autonomisation féminine dans le département de Birni N’Gaouré. Sous la présidence de Mme Adama Hassane, le groupement s’est engagé dans la transformation artisanale de l’arachide, produisant de l’huile, de la pâte, du tourteau mais aussi de l’arachide sucrée et salée comme amuse-gueule, tous destinés aux marchés locaux.
C’est chez Mme Adama Hassane que s’activent ces femmes, ce vendredi 25 avril, autour des bassines de pâte à tourteau mélangée à l’huile obtenue après la transformation de huit sacs d’arachide. A côté d’une gigantesque poêle noire posée sur un foyer, une femme retourne avec une longue spatule le tourteau en train de frire. Une odeur tenace de cacahuète grillée imprègne l’air. À 2 mètres de là, d’autres femmes, accroupies malaxent énergiquement la pâte à tourteau afin d’extraire toute l’huile qu’elle contient. Juste à côté d’elles, un autre groupe découpe méthodiquement les galettes de tourteau pour les mettre en forme. Toutes sont concentrées, avec des gestes rythmés et maîtrisés. Ces femmes rient, causent, se relaient sans interruption. Le travail est exigeant, mais la solidarité est palpable.

Adama, en pleine activité elle aussi, salue notre arrivée avec un sourire. Malgré le fait qu’elle est la patronne, elle travaille aux côtés de ses camarades, sans relâche. « Nous avons grandi dans cette activité que nos parents pratiquaient déjà. C’est un savoir-faire que nous avons hérité, et que nous avons décidé de valoriser pour notre autonomisation », a-t-elle lancé fièrement. « Nous travaillons tantôt ensemble, tantôt individuellement selon les moyens » a-t-elle dit. Autrefois, selon la dame, tout se faisait à la main mais maintenant, il y’a des machines qui leur facilite le travail tout en précisant que le gros du travail se fait encore à la main, dans la chaleur et la fumée.
Cependant, cette activité bien que vitale, connaît aujourd’hui des difficultés. « Le prix de l’arachide a considérablement augmenté. Actuellement, un sac coûte environ 20 000 francs CFA », dit-elle. Malgré cela, Adama souligne quelques avancées. « Grâce à certains projets, nous avons reçu des appuis sous forme de sacs d’arachide ou de formations. Mais cela reste insuffisant. En cette période, notre activité est peu rentable. Nous continuons surtout par habitude et pour ne pas perdre notre clientèle », précise-t-elle avant de plaider pour plus d’accompagnement matériel et financier, pour faire évoluer leur activité et contribuer au développement économique du pays. « Quand on travaille sans soutien, c’est difficile d’avancer » a-t-elle conclu.
Si les groupements structurés jouent un rôle central dans la transformation de l’arachide à Birni, de nombreuses femmes mènent également cette activité de façon individuelle, parfois dans l’ombre, mais avec la même détermination.
C’est le cas de Mme Fourera Idrissa, transformatrice depuis 16 ans, qui a choisi cette voie pour être financièrement indépendante. « Je voulais une autonomie financière et ne plus tendre la main », confie-t-elle. Elle vend 7 petites boules de tourteau à 25 FCFA, la grande boite de pâte d’arachide à 1 200 FCFA, la petite boite à 600 et le litre d’huile à 1 600 FCFA. Grâce à cette activité, elle arrive à subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. Cependant, Mme Fourera se plaint des coûts de production qui, pour elle, sont élevés. « Le sac d’arachide avec coques est à 20 000 FCFA et le sac déjà décortiqué atteint 60 000 FCFA. Le décorticage d’un sac d’arachide coûte 250 FCFA, il faut encore payer 700 FCFA pour l’extraction de l’huile par fella (grosse tasse qui leur sert de mesure) et 100 FCFA pour la pâte d’arachide ». A cela s’ajoutent les difficultés d’écoulement de leurs produits. « Je peux faire une production de 10 sacs et ne vendre que pour 50 000 FCFA le jour du marché», précise-t-elle.
La flambée des prix de l’arachide : un frein brutal
De son côté Fati Soumana, âgée de 28 ans, évoque la cherté grandissante de l’arachide. « Avant, le sac d’arachide était vendu entre 7 000 et 9 000 FCFA. Maintenant, il est à 20 000 FCFA. En plus, on n’en trouve même pas souvent.», relève-elle pointant du doigt les commerçants qui stockent pour spéculer par la suite. Ils font exploser les prix au détriment des petites transformatrices. Selon elle, ce déséquilibre remet en cause la viabilité de l’activité.

Pour sa part, Mariama Abdou, transformatrice depuis 17 ans, souligne l’importance pour les femmes de chercher des revenus pour subvenir à leurs besoins. Mais, regrette-t-elle, cette activité ne marche plus comme avant. Elle se souvient d’une époque plus prospère. « Il fut un temps où je vendais jusqu’à 150 000 à 200 000 FCFA par jour de marché. Maintenant, le marché ne donne plus », déplore cette transformatrice confrontée à une baisse de la demande et à la cherté des matières premières. Aujourd’hui, malgré les machines à moudre et à décortiquer acquises un peu partout, un autre détail technique freine son rendement. « Nous n’avons pas de machine qui enlève la peau rouge de l’arachide, nous le faisons à la main et c’est épuisant », se lamente-t-elle.
Plaidoyer pour un meilleur accompagnement
Pour Kailou Oumarou, président de la chambre des métiers de l’artisanat de la commune, ces femmes sont « les piliers silencieux de notre développement rural ». Il insiste sur leur rôle essentiel dans la chaîne de valeur de l’arachide. « Ce sont elles qui ajoutent la plus grande valeur à notre production, mais ce sont aussi elles qui font face aux défis les plus lourds, souvent seules », dit-il. Selon lui, il est urgent de structurer le secteur, d’améliorer les conditions de travail et de créer des débouchés viables pour écouler leurs produits. « Elles ont les compétences, l’endurance et la volonté. Il ne leur manque que le soutien technique et financier pour faire de leur activité un véritable levier de croissance pour la commune » déclare-t-il.
M. Kailou plaide aussi pour une meilleure visibilité de leurs efforts dans les foires et les événements artisanaux régionaux. « Elles méritent d’être reconnues comme des entrepreneures à part entière, pas seulement comme des productrices de l’ombre. » conclu-t-il.
Aminatou Seydou (ONEP), Envoyée Spéciale
