Retrouvés depuis la nuit des temps à travers l’histoire de l’humanité, les vêtements, dit-on, cachent autant qu’ils révèlent. En effet, dans les sociétés africaines surtout, les tenues reflètent les différentes cultures et traditions des communautés à travers leurs composantes géographiques, ethniques. Au Niger, les vêtements traditionnels pour hommes ou femmes, renvoient ainsi à des régions, ethnies ou groupes sociolinguistiques du pays. C’est le cas de ce qu’on appelle « vêtements d’Agadez » ou tenues touarègues. Connues, appréciées et portées au-delà du Niger, ces tenues reflètent l’expression d’une culture, d’une tradition voire d’une identité.
La confection ou la couture de ces tenues, mais aussi d’autres objets dont les chaussures ou les sacs avec des matières comme le cuir, relève d’un savoir-faire qu’essaient de perpétuer certains tailleurs et artisans à travers des créations constituant leurs « marques ». C’est le cas, entre autres, de Abdoulkader Alfidja dit Boukka, exerçant le métier de tailleur styliste depuis une cinquantaine d’années et promoteur de Création Tomolette ; de Bachir Alassane, créateur du modèle du vêtement ‘’Tawakass’’ ; ou Abdoul Razak de l’atelier Sokni d’Agadez qui s’illustrent tous à travers leurs produits reflétant la beauté et l’originalité des tenues traditionnelles touarègues ou style de vêtement d’Agadez ou leur adaptation à l’évolution de nos sociétés. Des produits pouvant être considérés comme des éléments du patrimoine culturel nigérien même si pour certains ils ne font pas toujours l’objet de protection comme propriété intellectuelle.
« Je me réjouis du fait que les tenues traditionnelles continuent de susciter l’engouement au-delà de notre pays », Abdoulkader Alfidja dit Boukka, promoteur de Création Tamolette à Agadez
Plus connu sous le surnom Boukka, Abdoulkader Alfidja est un nom et un visage familiers à Agadez. Mais sa notoriété acquise grâce au métier qu’il exerce depuis un demi-siècle va bien au-delà de la capitale de l’Aïr où il a vu le jour en 1956. Après un bref parcours scolaire à l’école franco arabe, Abdoulkader Alfidja commença, dans sa jeunesse, l’apprentissage de la couture auprès d’un de ses frères et lors de ses voyages. Depuis 1975, Boukka s’adonne avec succès à ce travail dont il maîtrise les ficelles, se démarquant par son talent à travers ses coupes particulières sur le modèle de la tenue d’Agadez. « J’avais ouvert mon premier atelier devant ma maison. Je fais plusieurs modèles de coupes, de vêtements, pour femmes et hommes ainsi que toutes sortes de broderies », rappelle Abdoulkader Alfidja. Tout en travaillant à son compte, Boukka offrait ses services là où il était sollicité pour une collaboration ou des contrats, comme ce fut le cas avec Alphadi durant un moment. C’était pendant son séjour à Niamey où il avait tenu pendant quelques années son atelier de couture. « J’avais beaucoup de clients à l’époque car, tous ceux qui voulaient les tenues de style traditionnel d’Agadez venaient chez moi », raconte-t-il.
Installé définitivement au quartier Agargarin saka dans la vieille ville d’Agadez depuis quelques décennies, Abdoulkader Alfidja continue à exercer, innovant et diversifiant dans ses créations avec des modèles de vêtements, des sacs toujours confectionnés avec une touche illustrant le style agadézien. La relève est assurée car son entreprise, dénommée Tamolette Création, est animée par des jeunes dont son fils. Le métier de couture a fait connaître Boukka au Niger et à l’extérieur avec des prix et distinctions comme lors de l’ouverture du village artisanal de Niamey et à l’édition de l’année 1994 du SIAO, rappelle aujourd’hui avec fierté, le sexagénaire. Ses créations continuent d’être exposées lors de ces grandes rencontres comme lors de la 13ème édition du Salon International de l’Artisanat pour la Femme (SAFEM) en décembre 2024 à Niamey où était présent Abdoulkader Alfidja.
Un savoir-faire à sauvegarder
« Mon appel à l’endroit des autorités est qu’un centre soit ouvert pour la formation aux métiers notamment la couture ; car nous avons le savoir-faire dans divers métiers de l’artisanat ; personnellement, il y a quelques années, j’ai eu à former des burkinabè qui de retour chez eux ont innové dans ce qu’ils ont appris. Si le centre est créé et équipé, moi je peux bénévolement former les jeunes pour qu’ils apprennent et aient un métier. C’est mon souhait depuis des années, car on devient de plus en plus vieux. Nous avons du potentiel et nous pouvons développer une industrie dans les différents métiers de l’artisanat », appelle ainsi de tous ses vœux le sexagénaire. « Nous pouvons innover pour la production de vêtements, sacs scolaires, et autres accessoires ; cela va aider les parents à équiper leurs enfants, au lieu d’acheter les sacs importés chers et moins résistants. À mon niveau je le fais, mais c’est une petite production. J’ai fait ces propositions aux autorités, peut être que ça viendra », fait savoir Abdoulkader Alfidja.
La sauvegarde du patrimoine est la préoccupation à laquelle se consacre de plus en plus Boukka ces dernières années avec notamment son rôle de président des comités des 11 quartiers de la vieille ville d’Agadez œuvrant pour la conservation de ce site inscrit au patrimoine de l’Unesco. « Le style vestimentaire, l’habitat, l’artisanat, font partie de notre tradition, patrimoine, dit-il. Si nous les anciens, nous ne gardons pas et ne valorisons pas ces traditions, ce travail, tout cela va disparaître », prévient-il.
Dans le domaine de la couture, les jeunes rassurent, car, de plus en plus, ils s’illustrent dans le domaine en innovant dans leurs créations avec une touche de modernité aux styles de vêtements agadéziens. « Nous faisons de notre mieux pour encadrer certains de nos jeunes d’Agadez qui savent faire le travail de couture traditionnelle avec la broderie, afin qu’ils maîtrisent la technique de pose du fil blanc qui fait partie de notre style de couture », indique M. Abdoulkader Alfidja dit Boukka. « Je me réjouis du fait que cette couture dite d’Agadez continue de susciter l’engouement au-delà de notre milieu, de notre pays, et les jeunes aussi s’intéressent à ce travail. Je peux dire que cette tenue d’Agadez est une identité, notre marque, celle du Niger même. Partout où elle est portée, on voit un lien avec Agadez, ce qui est un grand motif de satisfaction pour nous », affirme Boukka.
Souley Moutari(onep)