Le dossier judiciaire entre la Société Africard et le Niger qui a longtemps défrayé la chronique aussi bien au plan national qu’international avec la saisie de quelques biens de l’Etat du Niger a connu son épilogue. En effet, les deux parties ont librement opté pour un règlement à l’amiable de cette affaire qui n’a que trop duré à travers un protocole d’accord transactionnel signé le 27 juin 2018. C’est le directeur général de l’Agence Judiciaire de l’Etat, M. Maidagi Mainassara, entouré de deux avocats du Niger dans cette affaire en l’occurrence Me Illo Issoufou, avocat au Barreau du Niger et l’ancien bâtonnier du Benin Me Gabriel Archange Dossou, qui l’a annoncé lors d’un point de presse aminé samedi dernier à Niamey.
La procédure judiciaire a été à la fois longue et difficile pour le Niger et la société Africard concernant le litige qui les opposait. Le feuilleton judiciaire remonte à 2012 lorsque l’Etat du Niger à travers le ministre de l’Intérieur de l’époque avait décidé d’annuler la convention pour la production de passeport biométrique et électronique. Lors de ce point de point presse, le directeur général de l’Agence Judiciaire de l’Etat a d’abord relaté les faits du début jusqu’à l’aboutissement de la signature par les deux parties d’un protocole d’accord transactionnel précisant les concessions réciproques que les deux parties se sont mutuellement consenties, et ce sans aucune reconnaissance de responsabilité d’une quelconque partie.
Le contenu du protocole d’accord transactionnel qui vient mettre définitivement fin au litige
Selon le directeur général de l’Agence Judiciaire de l’Etat, M. Maidagi Mainassara, les deux parties ont effectivement convenu d’un certain nombre d’engagements pris de part et d’autre. Pour la République du Niger, elle s’engage entre autres : pour solde de tout compte, à payer à Africard Co LTD la somme de 5.000.000 d’euros à titre de règlement forfaitaire, transactionnel et définitif du litige, somme qui s’ajoute à celle de 3.300.000 d’euros déjà perçue par la société Africard le 1er septembre 2016 au titre de l’accord amiable partiel. Le règlement de cette indemnité transactionnelle, a dit le directeur général de l’Agence Judiciaire de l’Etat, doit se faire par virement bancaire sur le CARPA du conseil d’Africard au plus tard 30 jours après la signature du protocole d’accord transactionnel. Par ailleurs, il faut préciser que les 5.000.000 d’euros ont été virés le 19 juillet 2018. Au total, la République du Niger a payé plus de 8 millions d’euros, soit un peu plus de 5 milliards FCFA au lieu de 24 milliards quelques poussières que réclamait au 10 avril 2018 la société Africard.
Au plus tard quinze (15) jours après l’accomplissement complet des formalités de mainlevée et d’extinction de l’intégralité des mesures d’exécution, l’Etat du Niger s’est engagé à se désister de sa constitution de partie civile dans le cadre de la procédure pénale pendante devant le tribunal de grande instance Hors Classe de Niamey et le cas échéant à se désister de toute autre plainte et constitution de partie civile n’importe où dans le monde en relation avec le présent litige. Sur ce point, la République du Niger s’est désistée de sa constitution de partie civile devant le doyen des Juges d’instruction de Niamey par lettre en date du 27 juillet 2018 et reçue le même jour au cabinet du doyen des Juges d’instruction. L’Etat du Niger s’engage enfin à ne pas déposer plainte ou à ne pas se constituer partie civile contre Africard, ni d’un quelconque de ses dirigeants, associés, salariés, ses conseils ou le tiers financeur du litige devant toute juridiction n’importe où dans le monde en relation avec le présent litige.
Quant à la société Africard, elle s’engage à donner mainlevée, à ses frais, de l’intégralité des mesures d’exécution qu’elle a engagées sur des biens et avoirs de quelque nature que ce soit, de la République du Niger dans le cadre du présent litige, qu’elles soient dénoncées ou non. Dans ce cadre, les conseils d’Africard ont déjà communiqué au conseil de la République du Niger près de 70 procès-verbaux de mainlevée de saisies. Pour ce qui est des immeubles saisis à Paris, le directeur général de l’Agence Judiciaire de l’Etat a rappelé que la République du Niger avait déjà obtenu la mainlevée des saisies à la suite de plusieurs décisions rendues par le Tribunal de grande instance de Paris. S’agissant de l’immeuble de New York, les formalités ont été déjà faites tandis que pour les immeubles de Paris, les formalités seront introduites incessamment auprès des services compétents français.
Expressément et irrévocablement pendant une durée de trente (30) jours après la signature du protocole d’accord, et sans limitation de durée si l’indemnité transactionnelle est payée et en tout état de cause sous réserve des points 6.2 et 6.3 relatifs à la portée de la transaction, Africard s’est engagée à ne procéder à aucune nouvelle mesure ou procédure d’exécution ou de contrainte, quelle qu’elle soit, sur un quelconque bien ou avoir de la République du Niger, en quelque pays ce soit, en lien avec le présent litige, au titre des sentences arbitrales ou de toutes décisions donnant effet aux sentences arbitrales, ni à chercher à se faire payer une quelconque sommes en lien avec les mesures d’exécution auprès d’un quelconque tiers, ni à réaliser aucune des mesures d’exécution.
En outre, les deux parties se sont engagées, lorsque l’intégralité des mesures d’exécution auront été levées ou retirées, à prendre les dispositions nécessaires pour mettre fin dans les meilleurs délais aux procédures en cours selon les modalités prévues dans le protocole d’accord transactionnel.
Rappel sur une procédure longue, difficile et couteuse pour les deux parties
Suite à la résiliation de la convention par la République du Niger, la société Africard, en application de l’article 25 de ladite convention, a introduit le 8 avril 2013 une demande d’arbitrage devant la Cour Commune de justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA dont le siège se trouve à Abidjan en Côte d’Ivoire. Le 9 juin 2014, l’arbitre unique a rendu une sentence jugeant abusive et fautive la résiliation de la convention par la République du Niger et ordonnant la désignation d’un expert pour évaluer le préjudice subi par Africard. A cet effet, le cabinet Deloitte Cote d’Ivoire a été désigné. C’est ainsi que le 6 décembre 2014, une sentence finale a été rendue par l’arbitre unique condamnant la République du Niger à payer à Africard les sommes ci-après : 44.740.781 FCFA au titre d’indemnisation du préjudice de pertes subies ; 15.440.533.316 FCFA au titre d’indemnisation du préjudice de manque à gagner et 1.000.000.000 FCFA à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral, le tout assorti d’un taux d’intérêt annuel de 13%.
A ce chapelet de préjudices cités, vient s’ajouter la somme de 156.747.299 FCFA au titre de frais de procédure que la République du Niger a été également condamnée à payer au titre, soit une somme totale de 15.652.021.396 FCFA. Mais, à la date du 10 avril 2018, la société Africard réclamait la somme de 24.432.095.960,46 FCFA en principal intérêts et frais. Le 12 février 2015, la République du Niger a introduit un recours en contestation de validité de la sentence rendue devant la CCJA, lequel recours a été rejeté par le CCJA suivant l’arrêt du 14 juillet 2016. Le 26 janvier 2015, Africard a obtenu l’exequatur de la sentence sus-indiquée par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris. Et le 27 septembre 2016, la « United States district Court for the district of Columbia » prononça aussi une décision rendant la même sentence exécutoire sur le territoire des Etats Unis.
Munie de l’ordonnance d’exequatur et de la décision rendue à Washington, Africard a pratiqué diverses mesures et procédures forcée sur des biens (meubles et immeubles) et avoirs de la République du Niger tant en France qu’aux Etats Unis. Voyant sa souveraineté écorchée, le Niger a introduit le 10 janvier 2017 un recours en révision devant la CCJA à l’encontre des deux sentences arbitrales et de l’arrêt du 14 juillet 2016 en invoquant une fraude commise au cours de la procédure d’arbitrage. Le 12 avril 2018, la CCJA a prononcé un arrêt ouvrant une procédure de révision de l’arrêt du 14 juillet 2016. Par la suite le Niger a engagé toutes les procédures lui permettant de bien se défendre dans cette affaire aussi bien à Paris qu’aux Etats Unis. C’est ainsi qu’une demande d’arbitrage a également été introduite par la République du Niger le 7 février 2017 auprès de la Cour d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale de Paris afin d’obtenir l’annulation de l’accord amiable partiel signé le 30 juillet 2016 sur le fondement de la fraude reprochée à Africard.
Les deux conseils de la République du Niger en l’occurrence Me Illo Issoufou, avocat au Barreau du Niger et l’ancien bâtonnier du Benin, Me Gabriel Archange Dossou ont également pris la parole pour d’abord montrer la délicatesse du dossier et comment le Niger s’est défendu jusqu’à parvenir à un règlement à l’amiable de cette affaire. Pour expliquer davantage cette affaire, les deux conseils ont fait référence à l’adage qui dit qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. En effet, le Niger a commencé à voir le bout du tunnel dans cette affaire avec la détection de la fraude qui a pu aider la société a obtenir cette sentence sur la base de laquelle elle se permettait sans gêne de mettre en mal la souveraineté de l’Etat du Niger. « Voilà comment le Niger a pu renverser la vapeur jusqu’à l’aboutissement d’un règlement à l’amiable à travers un protocole d’accord transactionnel. Et au regard des dispositions du code civil, ce litige relèvera désormais du passé », a conclu Me Gabriel Archange Dossou.
Hassane Daouda (onep)