Monsieur le Secrétaire général, pouvez-vous nous faire une brève présentation de la tannerie de Gamkalley ?
Située au bord au fleuve Niger, la tannerie de Gamkalley est une vieille structure qui date des années 1930. Nous avons une coopérative des tanneurs. La tannerie est construite en matériaux définitifs et équipée en 1995 grâce à la volonté des autorités du Niger avec l’appui du Projet Luxembourgeois. Elle a comme activité le tannage des peaux des ovins, des caprins voire des reptiles comme les crocodiles et autres.
Notre principale activité est la collecte, le traitement, la transformation et la commercialisation des cuirs et peaux tannés. Comme toute coopérative, elle est composée d’un bureau exécutif et de plusieurs comités pour la bonne marche de l’organisation. Elle compte 147 membres dont 75% sont des jeunes. Nous pourvoyons plus de 50 emplois temporaires. Elle dispose de quatre (4) halls dont celui de charnage, des grands magasins pour les machines, le hall du tannage et deux autres petits magasins de stockage de peaux finies.
Nous avons un partenariat formel avec le marché des artisans tels que la coopérative du Village artisanal de Wadata, du Centre de métiers d’arts, la coopératives Zango, du Musée national Boubou Hama et d’autres centres environnants de Niamey.
Expliquez-nous le processus de la collecte et de la transformation de la peau au niveau de votre centre de tannage.
Nous faisons la collecte des peaux au niveau des marchés environnants de Niamey comme celui de Torodi, Balléyara, Makalondi et bien évidemment à l’abattoir frigorifique de Niamey. Notre collecte des peaux va au-delà de nos frontières car, nous importons des peaux fraiches en provenance de la Côte-d’Ivoire, d’Algérie et du Mali. Le processus de tannage est long et nous avons un certain nombre de principes et règles à respecter depuis la collecte de la peau brute jusqu’à l’obtention du produit finie, la peau tannée. Ce processus est constitué de quinze (15) étapes. La collecte, le tri où on fait les choix, le reverdissage (trempage de la peau brute dans l’eau simple) pendant 48h. Je dois préciser que cette opération consiste à débarrasser les déchets sur la peau brute. Suivra le chaulage à l’aide de la chaux éteinte, du natron et de l’eau qui s’effectue dans les fossés. Après 48 h, nous procédons au déchaulage suivi de l’ébrouage afin d’enlever les poils pour ensuite faire ce que nous appelons le pinaillage qui est en fait le dégonflement de la peau à l’aide des feuilles de ‘’fataka’’. La peau est rincée à l’aide de l’eau, de détergent et d’eau de javel. L’ensemble de ce processus est appelé chaulage. C’est à près le chaulage qu’interviendra le tannage proprement dit qui est un mélange d’acacia, de l’eau, le blanc coton (produit chimique qui rend la peau très blanche et souple). Puis le deuxième tannage puis écharnage (séparer la peau de la chaire) par méthode chimique ou traditionnelle. Puis le quatrième tannage on ajoute la nourriture de la peau qui peut être du tourteau, de la cendre ou d’arachide égrainée. Puis interviendra le séchage, la peau peut être aussi teintée pour obtenir du cuir enfin le classement selon la qualité, et la vente.
Votre secteur engage des jeunes, quelle appréciation faites-vous d’apport ou contribution des tanneries dans la lutte contre le chômage et pauvreté ?
La tannerie forme gratuitement les jeunes sans attendre quoi que soit en retour de la part de l’Etat ou de leurs familles. Cette action participe à la lutte contre le chômage, l’oisiveté et la délinquance juvénile. En général, ce sont les familles qui sollicitent la formation pour leurs enfants. Certains jeunes apprenants viennent d’eux-mêmes. Nous enregistrons l’affluence des jeunes apprenants surtout pendant les congés et vacances scolaires. Les parents sont convaincus que leurs enfants apprendront des métiers qui leur permettront, un jour, de se prendre en charge et d’acquérir leur autonomie financière.
Nous avons l’habitude de former aussi les éléments de la Garde Nationale et de la Gendarmerie Nationale.
Quels sont les actions entreprises par la tannerie ou le ministère de tutelle pour promouvoir ce savoir-faire endogène qu’est le tannage ?
Je me rappelle une fois, le ministère en charge du Commerce a organisé une foire de cuirs et articles issus des cuirs grâce à l’appui d’un projet pour promouvoir cette industrie à base de cuirs et peaux. Cette rencontre a été de mon point de vue une réussite mais n’a malheureusement pas eu de suite. Pour nous, c’était une opportunité qui a permis de faire la visibilité du génie créateur de nos artisans qui confectionnent des chaussures, des sacs, des portemonnaies, des objets d’art décoratif, des habitats traditionnels etc… Au cours de cette rencontre les artisans ont fait un certain nombre de propositions dont celle d’expérimenter trois produits notamment le sac d’écolier du primaire, celui du secondaire et de l’étudiant. Un concours a été lancé partout dans les huit régions et c’est la région de Zinder qui a remporté le premier prix, suivie d’Agadez et Niamey est arrivée en troisième position. L’idée derrière ce projet de promotion de sacs scolaires en cuir est de faire disparaitre progressivement les petits sacs en caoutchouc qui, non seulement ne sont pas résistants et donc ne durent pas, mais ils sont aussi polluants pour l’environnement. Cela aidera le secteur à se développer et aux parents de faire des économies. Le prix du sac était fixé à 8.000 F. Le sac en cuir peut durer au minimum trois (3) ans. Ainsi, au lieu d’acheter un sac en caoutchouc chaque année ou tous les six mois à près 5.000 F, un sac en cuir peut suffire à l’enfant pendant une longue période. Nous aimerions que l’Etat encourage ces genres d’initiatives pour promouvoir le ‘’made in Niger’’ et aider la filière artisanale à se développer.
Pouvez-vous nous parler du projet de la délocalisation ou de la modernisation de votre coopérative ?
Il y a eu une première tentative de délocalisation qui n’a pas été une réussite. Entre temps, peu avant les évènements du 26 Juillet 2023, les partenaires italiens à travers l’Organisation Internationale du Travail (OIT) nous ont approchés pour accompagner la tannerie à travers la construction d’un grand centre de tannage traditionnel et un autre moderne. L’idée, c’est la délocalisation mais surtout la construction d’une ‘’ Nouvelle Citée Industrielle’’. Prêts à investir quatre à cinq milliards de nos francs, ces investisseurs ont prévu de délocaliser certaines de nos sociétés dont la Sonitextil, l’abattoir frigorifique de Niamey et Laban. Cet ambitieux projet était prévu comme site à la commune Bitinkodji. Nous invitons le CNSP de reprendre langue avec ces investisseurs pour la relance de ce projet. Ce dernier permettra de moderniser un certain nombre d’industries et améliorera davantage l’image aussi de la capitale.
Le tannage, traditionnel soit-il, peut avoir des impacts environnementaux, pouvez nous expliquer certains de ces impacts. Avez-vous des partenaires qui vous accompagnent à étudier ces impacts ?
Chaque période de cinq ans, nous menons une étude environnementale. Nous avons mené trois (3) études dans ce sens. Ces recherches révèlent un effet inattendu pour certains. Car, elles montrent que les rives du fleuve qui nous sont proches sont les endroits où les poissons se multiplient plus qu’au niveau de l’abattoir. Cela est lié aux débris des grains d’acacias qui tombent, ceux de viandes et autres qui sont riches en alimentation. Aucune de ces études n’a révélé un impact environnemental négatif. Mieux, nous avons un certificat de conformité au niveau du service environnemental. Ces études ont été menées grâce au soutien du Canada.
Lors du passage de la ministre en charge de l’Artisanat, celle-ci a encouragé le renforcement du partenariat entre les acteurs du secteur notamment avec les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), quelle lecture faites-vous de cette proposition ?
Nous partageons cet avis. D’ailleurs, nous voulons développer de partenariat formel aussi bien avec ces pays et bien d’autres. Nous sollicitons une pleine implication des autorités à ce sujet. Cet appui est plus nécessaire. Ce partenariat est avantageux pour notre pays car, nous avons un savoir-faire que les autres ne disposent pas à savoir tanner la peau.
Quelle destination prennent les peaux tannées du Niger ?
Les peaux tannées de notre pays prennent deux (2) directions. Il y ‘a d’abord une partie qui est consommée localement. C’est avec ça que nos artisans confectionnent beaucoup de gadgets et autres accessoires dont j’ai fait cas tantôt. En effet, nos artisans sont créatifs et leurs talents reconnus dans la sous-région. La seconde partie de notre production et non de moindre, 80%, est exportée vers le Mali. Ces peaux servaient à confectionner surtout des tentes. Je pense que notre jeunesse doit saisir l’opportunité qu’offre ce secteur pour non seulement se spécialiser dans le domaine mais surtout pour promouvoir notre savoir-faire et le valoriser.
Mamane Abdoulaye (ONEP)