
M. Urbain Aguemon
Monsieur Urbain, vous avez formé plus de 200 journalistes, blogueurs et activistes web au Niger et dans la sous-région en fact-checking. Dites-nous l’intérêt des formations que vous dispensez aux hommes des médias.
Les journalistes jouent un rôle crucial dans notre société. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la presse est qualifiée de quatrième pouvoir. La responsabilité des journalistes dans la diffusion d’une information de qualité est primordiale. Néanmoins, avec l’émergence des réseaux sociaux, de nouveaux acteurs de l’information apparaissent. Certains mal intentionnés et d’autres partageant involontairement des contenus erronés. Chaque minute, 500 000 tweets sont envoyés, 350 000 statuts sont mis à jour sur Facebook, 66 000 publications sur Instagram, 500 heures de vidéo sont téléchargées sur Youtube et 41 millions de messages sont envoyés chaque minute sur WhatsApp. C’est vertigineux et en constante croissance. Tout ceci rend parfois inaudible les productions des journalistes professionnels et c’est justement pour les accompagner à naviguer dans ce contexte complexe et parfois trouble que nous avons entrepris la mission de former les professionnels des médias aux nouveaux outils du fact-checking et de les accompagner. L’objectif est de leur permettre de discerner le vrai du faux et de produire un contenu de qualité, respectant les normes professionnelles, tout en évitant les pièges de la désinformation.
Quelle est l’importance du fact-checking dans le contexte actuel et pour la carrière du journaliste ?
Le contexte actuel est marqué par une surabondance d’informations, pouvant influencer, rassurer ou agiter la population. Les quelques chiffres sus-présentés en sont une preuve indéniable. Dans cette période particulière, l’information exacte et fiable est cruciale. Le fact-checking permet donc aux professionnels des médias de vérifier la pertinence des informations diffusées, contribuant ainsi à éclairer et éduquer le public. Les grands médias ont aujourd’hui une rubrique ou une émission dédiée au fact-checking dans leur grille de programmes en l’occurrence Info ou intox de France 24, Info/Infox de TF1, Les décodeurs du journal Le monde, etc. En somme, en temps de crise, fournir une information exacte et fiable devient essentiel, et le fact-checking facilite cette démarche. Pour la carrière d’un journaliste, le fact-checking représente une opportunité formidable de se démarquer. C’est en effet une compétence qui est de plus en plus recherchée sur le plan international. Maîtriser les outils du fact-checking, c’est se donner la chance de collaborer avec des médias internationaux sur des projets d’envergure avec des rémunérations conséquentes. C’est surtout et avant tout, jouer pleinement son rôle de journaliste en apportant la bonne information au bon moment.
Quels sont les obstacles relatifs à l’évolution du fact-checking au Niger et comment y remédier ?
Plusieurs obstacles entravent l’évolution du fact-checking au Niger. D’abord, le volume massif d’informations à vérifier, émanant de diverses plateformes et langues, rendant impossible une vérification exhaustive. Les médias doivent donc prioriser les informations cruciales en se basant sur certains critères que j’aborde souvent dans mes formations. Ensuite, la qualité variable de la connexion internet complique l’utilisation des outils de précision nécessaires au fact-checking. Enfin, la course au scoop dans les médias peut inciter certains de vos collègues à publier des informations sans prendre la peine de les vérifier, impactant la crédibilité journalistique et jetant l’opprobre sur toute une corporation. Pour y remédier, il est crucial d’établir des critères de priorisation et faire parfois des gymnastiques pour accéder à une connexion internet stable. Travailler la nuit ou très tôt le matin par exemple, utiliser deux SIM de deux opérateurs GSM différents, etc. Enfin, il est indispensable de respecter et de promouvoir les règles d’éthique et de déontologie.
Quelques pays africains disposent d’un site officiel pour publier leurs articles de vérification des faits. Qu’en est-il pour le Niger ?
Des initiatives existent à l’échelle du continent à l’image d’AfricaCheck. Mais au niveau des pays, il y a de belles choses qui se font également. Par exemple, le Togo dispose de Togocheck, la Côte d’Ivoire d’Abidjan Fact Check, la RDC de Balobaki et le Bénin de Bénin Check Info, etc. La liste complète des initiatives est consultable à travers ce lien www.odil.org/initiatives. Cependant, force est de constater qu’il n’y a rien de véritablement stable et identifiable au Niger mais, on peut saluer les efforts déployés par certains journalistes comme Souleymane Brah avec Pesacheck, les journalistes du Studio Kalangou et d’Aïr info Agadez, ainsi que l’initiative de la page Facebook NigerVérif. Ces tentatives montrent une volonté farouche de lutter contre la désinformation. Il faudrait certainement fédérer les efforts pour donner vie à une structure officielle et plus représentative. En ce qui concerne les obstacles à la mise en place d’une initiative commune, le principal obstacle reste le manque de moyens financiers. Je reste tout de même convaincu que si les médias unissent leurs forces pour produire du contenu vérifié, les partenaires nationaux et internationaux pourraient les soutenir. Je me tiens également disponible pour concevoir gratuitement une plateforme web pour tout regroupement de journalistes désireux de lutter contre la désinformation en ligne.
La diffusion de fausses informations inonde les réseaux sociaux ces derniers temps. Quelles sont les conséquences de cette situation pour la société ?
La diffusion de fausses informations peut avoir des conséquences dramatiques, pouvant menacer la cohésion nationale voire mettre des vies en danger. Diffuser des fausses informations n’est pas un acte anodin, c’est très dangereux pour la société entière.
Que disent les textes et lois du Niger concernant les personnes qui diffusent ces fausses informations sur les réseaux sociaux ?
Concernant les mesures juridiques, la loi n° 2019-33 du 03 juillet 2019, portant répression de la cybercriminalité au Niger, prévoit dans son article 31 une peine d’emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et une amende d’un million (1.000.000) à cinq millions (5.000.000) de francs CFA pour une personne qui produit, met à la disposition d’autrui ou diffuse des données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine par le biais d’un système d’information. Les autres articles de ce texte de loi sont d’ailleurs édifiants et devraient être connus de toute la population. Cela freinerait incontestablement certaines dérives qui pullulent aujourd’hui sur les réseaux sociaux.
Qu’avez-vous à dire aux médias du Niger, aux journalistes pour les encourager à prioriser la formation des agents en fact-checking ?
Je tiens tout d’abord à saluer le travail remarquable des professionnels des médias nigériens, travaillant avec persévérance malgré les difficultés. Mon conseil serait de leur dire de s’engager dans une formation continue aux outils de fact-checking. Bien que cela puisse sembler complexe initialement, une fois maîtrisés, ces outils permettent d’accéder à une information vérifiée, contribuant ainsi à fournir une information fiable à la population.
Massaouda Abdou Ibrahim (ONEP)