M. Yahouza Ibrahim, le 3 janvier dernier, vous avez remis à la ministre en charge de de l’Éducation nationale le fruit de votre travail, en quoi consistait cette mission ?
Permettez-moi, tout d’abord, de vous remercier très sincèrement pour cette opportunité que vous m’offrez de porter à la connaissance de l’opinion publique les tenants et les aboutissants de la nouvelle réforme des examens du CFEPD, objet des travaux du Comité de réflexion que j’ai eu à présider. En effet, par arrêté n°0187/MEN/A/EP/PLN/SG du 12 décembre 2023, la Ministre de l’Education Nationale, de l’Alphabétisation, de l’Enseignement Professionnel et de la Promotion des Langues Nationales, Dr Elisabeth SHERIF, mettait en place un comité technique chargé de réfléchir sur la réforme qui a consacré la suppression de l’examen du CFEPD en 2013. Il s’est agi pour le Comité de mener des réflexions approfondies afin de proposer des pistes d’actions pertinentes, réalistes et réalisables en vue de doter notre système éducatif d’un dispositif d’évaluation conciliant harmonieusement l’évaluation formative et l’évaluation sommative au service d’une transition réussie entre le CM 2 et la classe de 6ème.
En résumé, le comité est chargé de proposer aux décideurs politiques un système d’évaluation certificative crédible, objective, transparente et qui répond aux attentes de tous les acteurs. Après une semaine d’intenses travaux, le comité a présenté son rapport final, assorti d’une forte recommandation en faveur de la réinstauration de l’examen du Certificat de Fin d’Etudes du Premier Degré (CFEPD).
Quelles sont les raisons qui ont conduit le ministère de l’Éducation nationale à déterrer la question des examens du CFEPD ?
Il convient de souligner que cette réforme a fait l’objet d’une évaluation par le Projet d’Appui à une Education de Qualité (PAEQ) en 2017, soit quatre (4) ans après le début de sa mise œuvre. En ce temps déjà, il en était clairement ressorti que 77 à 90% des acteurs n’étaient pas favorables à cette réforme qu’ils jugeaient non ou peu satisfaisante, tandis que 80% des encadreurs pédagogiques avaient reconnu le manque d’objectivité des compositions trimestrielles.
Aussi, selon une étude réalisée en 2018, par la Direction de la Formation Initiale et Continue (DFIC/MES), les exclusions et les redoublements massifs constatés en classe de 6ème sont principalement attribués aux profils d’entrée des élèves en fin du cycle primaire, lesquels y ont accédé sans passer par un véritable filtre. En effet, selon cette étude, 83% des élèves admis en classe de 6ème avaient besoin de remédiation en lecture à leur entrée et 70% parmi eux sont incapables de faire une lecture courante d’un texte simple.
Soucieuse de la restauration de la qualité de l’éducation et de la crédibilité de son système d’évaluation, la ministre a cru bon d’écouter le cri de cœur de l’opinion publique en générale et des parents d’élèves en particulier qui se plaignent quotidiennement des faibles niveaux de leurs enfants. D’où l’initiative d’engager des réflexions sur le CFEPD, qui semblait être mieux appréciée des acteurs éducatifs.
Quelles sont les insuffisances relevées par votre rapport sur la méthode actuelle d’évaluation des élèves du CM2 et leur passage en classe de 6ème ?
Je rappelle que la réforme qui a supprimé l’organisation de l’examen du CFEPD l’a remplacé par des évaluations trimestrielles au niveau des classes de CM2. Ce faisant, les élèves sont promus aux études post-primaires sur la base de la moyenne des trois (3) évaluations trimestrielles. Malheureusement, l’on assiste à une sorte de passage automatique à cause des notes de complaisance attribuées par des acteurs qui jouent à la fois le rôle de juges et de parties.
Avant de recommander la réinstauration du CFEPD, le comité a passé au peigne fin tous les avantages et inconvénients de sa suppression. Il est apparu clairement que le seul et unique avantage mis en avant est le gain du coût lié à son organisation, au détriment de la qualité. Pourtant, l’on a coutume de dire que l’éducation n’a pas de prix, mais elle a un coût. Par contre, les insuffisances et inconvénients relevées par le Comité Technique sont légion. Il s’agit entre autres de l’incohérence des textes qui encadrent la réforme avec les normes juridiques. Dans le cas d’espèce, le comité a relevé que ce sont les circulaires N°0362/MEP/DESCPO du 8 octobre 2013 et N°006/MEP/A/PLN/EC/SG/DGR/PLN/EC/DESAS/O du 7 janvier 2016 qui ont servi de base à la mise en œuvre de cette réforme en lieu et place d’un décret qui devrait être pris en conseil des ministres pour abroger le Décret N° 77-53 du 29 avril 1977.
La convergence avec les directives de l’UEMOA évoquée lors de l’adoption de la réforme n’est qu’un prétexte car, plusieurs pays membres de cette organisation continuent d’organiser l’examen du Certificat de fin d’études primaires (le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Togo et le Sénégal). Du reste, les traces de ces prétendues directives sur le CFEPD sont introuvables. Entre autres griefs, on peut citer le manque d’objectivité des résultats des compositions trimestrielles, le manque d’harmonisation des épreuves des évaluations trimestrielles dans les classes de CM2, l’absence d’émulation entre élèves et entre enseignants, les taux élevés de déperditions scolaires constatés en classe de 6ème. Il y a également la faiblesse des acquis scolaires, la pauvreté des apprentissages attestée par les évaluations nationales et internationales, le manque de contrôle à posteriori des compositions trimestrielles laisse le champ libre à des velléités d’attribution de notes de complaisance ; etc…
Vous avez sûrement proposé des pistes de solutions visant à sortir le système éducatif nigérien de ce processus de passage de masse qui sans nul doute handicape les études secondaires, qu’en est-il ?
En effet, au regard de tout ce qui précède, les membres du comité technique ont formulé d’importantes recommandations en faveur de la réinstauration de l’examen du CFEPD et du CEPE/FA, sous l’appellation du Certificat d’Etudes Primaires (CEP) et du Certificat d’Etudes Primaires, Franco-Arabe (CEP/FA).
Pour réussir la mise en œuvre de l’examen du CEP et du CEP/ FA, les membres du comité ont également formulé des recommandations à l’endroit du Ministère au niveau central et au niveau déconcentré, ainsi qu’à l’endroit des structures de gestion décentralisée des écoles. Ainsi, nous avons, entre autres, recommandé aux autorités d’organiser une réunion de partage du rapport final des travaux du comité avec les responsables centraux et les responsables régionaux pour une meilleure appropriation des enjeux de cette nouvelle réforme; de faire prendre, en Conseil des Ministres, un décret consacrant la réinstauration de l’examen du CFEPD et du CEPE/FA, sous l’appellation de « Certificat d’Etudes Primaires (CEP) » et du « Certificat d’Etudes Primaires Franco-Arabe (CEP/FA) », pour se conformer avec les normes juridiques ; de prendre un arrêté ministériel portant modalités d’organisation de l’examen du CEP et du CEP/FA, pour mieux cadrer l’organisation de ces examens. Le comité a aussi recommandé d’élaborer et mettre en œuvre un plan de communication pour sensibiliser et mobiliser les acteurs sur la réinstauration de l’examen du CFEPD et du CEPE/FA ; de mobiliser les ressources humaines matérielles et financières nécessaires pour la mise en œuvre de la réinstauration du CFEPD et du CEPE/FA ; d’assurer le respect du plan opérationnel de l’organisation des examens ; de créer des passerelles pour prendre en charge les élèves qui ne seront pas admis au CEP et au CEP/ FA afin de les maintenir dans le système jusqu’à l’âge de 18 ans, conformément aux dispositions de l’article 2 de la LOSEN ; de mettre en place un mécanisme de suivi de la mise en œuvre des recommandations formulées par le comité, à travers la création d’un comité tripartite, ministère-syndicat et associations actives en éducation et PTF ; de réviser l’arrêté de 2003 fixant les effectifs des classes, le taux de redoublement, l’âge de recrutement et d’entrée en 6ème, pour entre autres, arrêter le passage automatique.
Il est en outre recommandé de responsabiliser tous les acteurs de la chaîne de pilotage du système éducatif sur les résultats des apprentissages et des examens scolaires ; de concevoir et mettre en place des ressources éducatives (manuels, guides et supports numériques) de qualité au profit des enseignants et des apprenants ; de revaloriser le diplôme du CEP et du CEP/FA en l’exigeant au recrutement militaire, des chauffeurs et des auxiliaires de l’administration ; de concevoir un portfolio d’apprentissage unique pour le cycle de base élargie (1re année du primaire à la classe de 3e) ; de promouvoir la culture de l’évaluation afin qu’elle soit au service des apprentissages et de la réussite scolaire et enfin de former tous les acteurs (enseignants, directeurs, Conseillers pédagogiques, Inspecteurs) en évaluation des apprentissages et tenue à jour des portfolios.
Nous avons également formulé une douzaine de recommandations à l’endroit des responsables des structures déconcentrées. Il leur est ainsi recommandé d’organiser des activités de remédiation pédagogique à l’intention des élèves de CM2 pour une transition CM2/6ème réussie ; d’initier l’organisation des examens blancs pour mieux préparer les élèves du CM2 à réussir l’examen du CEP et du CEP/FA ; de gérer de manière optimale le temps scolaire dans une approche collaborative entre l’Etat et les partenaires sociaux, de renforcer les pratiques d’enseignement/apprentissages des disciplines fondamentales (lecture, écriture et calcul) ; de recentrer l’organisation pédagogique des écoles sur la réussite des premiers apprentissages en confiant les classes du début du sous-cycle (CI-CP) aux enseignants chevronnés de l’équipe pédagogique ; d’assurer un accompagnement pédagogique de proximité aux enseignants à travers la dynamisation des mini-CAPED ; de renforcer les compétences professionnelles des enseignants sur les pratiques pédagogiques de référence, sur le suivi régulier des acquis scolaires, l’évaluation formative et sur les pratiques de remédiation pédagogique entre autres.
A l’endroit des structures de gestion décentralisée des écoles, le comité a recommandé de prévoir des activités de remédiation pédagogique à l’attention des élèves de CM2 dans leurs Plans d’Actions Axés sur la Qualité de l’éducation et de veiller au respect du temps scolaire dans les écoles.
Pensez-vous que la seule réinstauration du CFEPD suffira à relever le système, quelles peuvent être les autres réformes nécessaires à mener ?
La mise en œuvre des mesures et recommandations issues des travaux du comité contribuera sans doute à réinstaurer avec succès le CFEPD et le CEPE/FA pour impulser la qualité des enseignements / apprentissages. Toutefois, ce n’est pas une panacée car, le système éducatif nigérien est confronté à d’innombrables défis liés à la qualité, à l’accès et au pilotage.
De ce fait, plusieurs autres réformes sont indispensables pour remettre notre système éducatif sur les rails, dans ce contexte de renouveau, où notre pays aspire à la dignité et à la souveraineté nationale. Il s’agit entre autres de procéder à la révision de la Loi n° 98-12 du 1er juin 1998, portant Orientation du Système Educatif Nigérien (LOSEN) pour prendre en compte l’évolution du système éducatif national. En effet, cette loi devait être révisée chaque cinq ans, mais voilà un quart de siècle qu’elle est restée intacte, de généraliser progressivement la réforme curriculaire (entrée par les langues nationales). Comme le démontre la littérature internationale et les évaluations PASEC, la mise à l’échelle et l’utilisation des langues nationales au primaire facilitera les premiers apprentissages. Il faut aussi renforcer les dispositifs d’accompagnement pédagogique des enseignants à tous les échelons de la chaîne de pilotage de notre système éducatif.
Par Hamissou Yahaya (ONEP)