Monsieur le Ministre, quel est l’état actuel du tissu industriel au Niger ?
Je vous remercie pour l’opportunité que vous m’offrez pour parler du secteur industriel au Niger qui revêt une grande importance pour l’Etat. Pendant longtemps ce secteur a constitué la fierté des pouvoirs publics. En effet, dès le lendemain de l’indépendance, les autorités de la 1ère République avaient fixé trois (3) objectifs globaux à atteindre, parmi lesquels, figurent en bonne place, ceux relatifs à l’industrialisation. Il s’agit singulièrement du relèvement du niveau de vie des masses notamment par l’industrialisation. Au niveau du plan triennal ou plan intérimaire 1961- 1963, les autorités ont fait réaliser des recherches et des études systématiques pour connaître les potentialités économiques du Niger dans tous les domaines. Ces études, avaient prouvé que le Niger est un pays potentiellement riche et plein d’avenir. Il fallait donc mettre en valeur toutes ces potentialités pour faire décoller le pays, promouvoir sa croissance économique et le lancer dans un processus d’industrialisation. Au regard de ces grandes ambitions, le pays qui ne disposait en 1960 que de trois (3) petites huileries, a choisi la voie de l’industrialisation, en vue d’assurer son indépendance économique et sociale. Cette politique d’industrialisation se fonde sur deux (2) axes principaux : la valorisation des ressources locales qui devait permettre de promouvoir l’agro-industrie en vue de diversifier les exportations et lutter contre la détérioration des termes de l’échange ; l’industrie de substitution aux importations qui devait permettre l’amélioration de la balance de paiements en assurant l’approvisionnement du marché national en produits finis manufacturés grâce à l’utilisation d’intrants.
Sous les régimes qui se sont succédés par la suite, notamment de 1990 à 2014, il a été relevé, une émergence du secteur privé moderne grâce à l’enrichissement tout relatif de quelques opérateurs économiques nigériens qui ont créé des sociétés modernes de transports terrestres, des sociétés de transformation de produits laitiers et de celles de production de jus, d’embouteillage de l’eau minérale naturelle etc.
Le Gouvernement actuel ne déroge pas à la règle, il réaffirme sa volonté à faire jouer à l’industrie le rôle de la croissance. Cette volonté se traduit à travers la Déclaration de Politique Générale (DPG), dans laquelle, le Premier Ministre, chef du gouvernement a pris l’engagement de sauvegarder toutes les unités industrielles existantes et de créer les conditions de l’émergence de nouvelles unités, mais aussi de veiller au renforcement de la compétitivité globale de l’économie et à la cohérence des politiques en vue de la conquête des marchés intérieurs et extérieurs pour les produits nigériens. Dans cette optique, le Niger s’est engagé vers une redéfinition des stratégies et politiques de son secteur industriel et cela, conformément aux orientations du plan de développement économique et social (PDES 2017-2021).
Permettez-moi aussi de rappeler, que depuis l’avènement de la 7éme République, de gros efforts sont déployés pour créer des infrastructures routières, énergétiques et autres, nécessaires à la construction d’une économie moderne véritable et ce, conformément au Programme de Renaissance du Niger.
Cependant, force est de constater que les efforts engagés n’ont pas permis de résoudre tous les problèmes des unités industrielles qui restent toujours confrontées à de nombreuses contraintes d’ordre structurel et conjoncturel notamment : l’étroitesse du marché intérieur et la concurrence déloyale, la faiblesse de la demande intérieure ainsi que la rigidité de certaines charges fixes qui plombe sérieusement la compétitivité des biens et services produits au Niger.
Notre objectif c’est de développer et stabiliser le secteur industriel nigérien. Nous sommes en train d’accompagner les opérateurs afin de maintenir les entreprises en survie. Notre devoir c’est justement de respecter l’engagement de sauvegarder toutes les unités industrielles existantes, tout en créant les conditions de l’émergence de nouvelles unités.
Malgré les difficultés que rencontre le secteur, il y a quand même une dynamique industrielle dans notre pays. A titre d’exemple, l’on peut citer la relance des activités de la Nouvelle Cimenterie de Malbaza le 28 décembre 2018, bientôt celle de Keita verra le jour. En outre, plusieurs unités industrielles sont en phase d’installation et d’expansion, nous pouvons citer entre autres : La ferme avicole AVINIGER qui envisage de produire plus de 38 millions d’œufs par an ; Le complexe avicole NUSEB, une ferme avicole moderne de production de poulets de chair, d’aliments bétails, de volailles qui dispose d’un abattoir moderne pour les poulets. Nous envisageons aussi, très bientôt le lancement de la construction d’un complexe industriel de production de sucre dans la région de Dosso notamment à Gaya ; La création d’une nouvelle zone industrielle à Niamey, notamment dans l’arrondissement communal Niamey 5, plus précisément sur le plateau de Bougoum ; La création d’une zone franche industrielle d’exportation à Yawaré. Un sommet sur le développement industriel de l’Afrique sera organisé probablement au moins de novembre 2020 à Niamey
A toutes ces initiatives louables viendra s’ajouter, très prochainement, le démarrage de la formulation d’une Politique Industrielle Nationale et les études de préfaisabilité des filières porteuses dont le financement est quasiment acquis.
Le 9 juin dernier, la journée mondiale de l’accréditation a été célébrée sous le thème : « améliorer la sécurité sanitaire des aliments ». Comment en Afrique en général et au Niger en particulier, peut-on concrétiser ce thème?
Faut-il le rappeler, la journée mondiale de l’accréditation est une initiative du Forum International d’Accréditation et de l’Organisation Internationale des Accréditeurs de laboratoires qui a pour but de mieux faire connaître l’importance de l’accréditation des organismes d’évaluation de la conformité pour l’économie mondiale et le rôle qu’elle joue pour répondre aux besoins de tous les secteurs d’activité. En avril 2019, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ont mis en évidence les conséquences des maladies d’origine alimentaire sur les êtres humains avec l’enchaînement des crises sanitaires des années passées, notamment la grippe aviaire et la maladie de la vache folle. A travers donc cette journée, l’accent est mis sur la nécessité d’une alimentation saine et sûre. Au Niger, pour concrétiser ce thème, notre action a consisté à adresser un message aux consommateurs et l’ensemble des acteurs concernés à cause de la pandémie de la COVID 19. L’objectif pour nous, c’était d’abord de revenir sur l’accréditation elle-même souvent confondue avec la certification, ensuite d’expliquer le rôle que joue l’accréditation pour une alimentation saine et sûre et enfin de faire connaître le Système Ouest-Africain d’Accréditation (SOAC).
Il est également important de rappeler que les opérateurs économiques puissent exporter leurs produits, ces derniers doivent nécessairement être accompagnés de certificats d’analyse émis par des laboratoires accrédités. Aujourd’hui grâce au SOAC mis en place par la volonté de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africain (UEMOA) et de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) les opérateurs économiques ont la possibilité de réaliser leurs analyses dans des laboratoires compétents et proposer des coûts accessibles dans les pays de l’espace UEMOA. Cette démarche a été soutenue par l’Union Européenne et l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI).
Monsieur le Ministre, existe-t-il au Niger des structures travaillant précisément dans ce cadre ? Quel rôle jouent-elles concrètement ?
Excellente question! Au Niger, la Direction de la Promotion et du Contrôle de la Qualité (DPCQ) et l’Agence Nigérienne de Normalisation, de Métrologie et de Certification (ANMC) sont chargées de mettre en œuvre et de promouvoir l’Infrastructure Nationale de la Qualité (INQ). Cette INQ est composée de cinq piliers à savoir : la normalisation, l’accréditation, les organismes d’évaluation de la conformité (OEC), la réglementation technique et la métrologie.
La Direction de la Promotion et du Contrôle de la Qualité (DPCQ) est chargée de faire la promotion de la qualité, d’établir les procédures de contrôle ainsi que les critères d’analyse et d’essais. Une de ses missions c’est également de sensibiliser les opérateurs économiques sur les enjeux de la qualité.
L’Agence Nigérienne de Normalisation, de Métrologie et de Certification (ANMC) quant à elle a pour mission l’élaboration des normes, le suivi des mesures, le contrôle des instruments de mesure réglementée et l’évaluation de la conformité. Elle a également comme mission de garantir aux consommateurs, l’accès aux produits et services de qualité au Niger et contribuer à une meilleure compétitivité des produits locaux sur les marchés national, régional et international.
Ces structures protègent les consommateurs et favorisent la compétitivité de nos produits et services à travers la normalisation, la métrologie, la certification et bien sûr la qualité.
Au Niger où très peu d’unités industrielles dans le domaine de l’agro-alimentaire par exemple sont encore fonctionnelles, quelles sont concrètement, les stratégies mises en œuvre pour mettre à la disposition des consommateurs des produits et services de qualité?
J’en conviens que certaines unités industrielles rencontrent d’énormes difficultés au point de mettre la clé sous le paillasson. C’est une chose que nous déplorons, mais d’autres continuent à produire dans des conditions acceptables et elles prospèrent même. C’est le cas de la Société de Transformation Alimentaire (STA), de Niger Lait ou encore de la laitière du sahel. C’est le lieu pour moi, d’encourager toutes ces unités industrielles qui valorisent les potentialités dont regorge notre pays. J’appelle les opérateurs économiques qui sont peut-être réticents ou qui ont peur de s’engager sur la voie industrielle à leur emboîter le pas. Mon département ministériel est en train de remédier à l’absence de culture industrielle des acteurs nationaux en sensibilisant les opérateurs économiques et l’ensemble des acteurs concernés sur l’intérêt du nom commercial, cette dénomination sous laquelle est connu et exploité un établissement commercial, industriel, artisanal, agricole ou même des établissements de prestation de services, sur l’importance et les avantages de la protection des noms commerciaux ainsi que les procédures d’enregistrement.
Pour ce qui est de la question qualité, vous le savez, avec l’accroissement des échanges internationaux, les consommateurs sont de plus en plus exigeants. Ils veulent des produits et services de meilleure qualité sur les marchés. Aujourd’hui dans le secteur alimentaire, la qualité est un élément essentiel de la stratégie des entreprises et un élément déterminant des choix des consommateurs, ce qui rend la concurrence forte. Face donc à cette concurrence, les industriels n’ont d’autre choix que d’intégrer la dimension qualité pour renforcer leur compétitivité. Quand on parle de qualité dans le domaine de l’agro-alimentaire cela regroupe différentes composantes comme la qualité nutritionnelle, sanitaire, le goût. C’est conscient de ces enjeux que l’Agence Nigérienne de Normalisation, de Métrologie et de Certification (ANMC) a été créée. En appui à la Direction de la Promotion et du Contrôle de la Qualité (DPCQ), elle intervient pour accompagner les industriels dans leur démarche qualité.
L’organisation du Prix Nigérien de la Qualité constitue également un des outils de promotion de la qualité des produits et services dans notre pays. Ce prix vise à élever le niveau de performance des entreprises relatif aux exigences du système de management de la qualité. Il récompense les efforts des meilleures unités industrielles en vue de l’amélioration de la qualité des produits et services.
Sur le long terme, nous nous engageons fermement à promouvoir et développer le secteur industriel, à poursuivre la mise en œuvre de l’Initiative pour le Développement de l’Agri Business et des Agro-industries (3ADI) avec l’appui de l’ONUDI, en partenariat avec la FAO et le FIDA, à mettre en œuvre le projet modernisation des circuits de conservation, de transformation et de distribution de la viande et du lait ainsi que la promotion de la transformation artisanale et industrielle du niébé.
Nous allons soutenir l’agro-industrie à travers la transformation des produits maraîchers et de culture. Enfin, nous allons également promouvoir l’industrie verte à travers la valorisation des déchets en énergie et en matière secondaire.
L’un des principaux défis de l’industrie au Niger c’est la concurrence déloyale des produits importés introduits frauduleusement dans le pays. Comment remédier à ce phénomène qui est malheureusement à la base de la fermeture de plusieurs unités industrielles au Niger ?
Vous avez parfaitement raison. Avec le développement du commerce international, le marché local est envahi par les produits en provenance par exemple de la Chine ou du Nigéria voisin. Ces produits importés souvent de manière frauduleuse, créent une concurrence déloyale aux produits locaux qui sont pourtant de très grande qualité. Nous sommes, en collaboration avec les différents services concernés en vue de prendre les mesures idoines pour lutter contre ce phénomène car la concurrence déloyale et la fraude entravent dangereusement l’existence de nos sociétés. Ce problème engendre la mévente des produits locaux. Et qui dit mévente dit baisse du chiffre d’affaire synonyme de suppression d’emplois voire la fermeture de la société. Consommer local devient une question d’engagement, un devoir. Il s’agit de s’engager socialement et humainement aux côtés de nos industriels qui travaillent pour la qualité.
Monsieur le Ministre, concrètement, qu’est-ce qui est fait relativement à la politique qualité adoptée depuis le 5 janvier 2018 ?
La politique qualité du Niger a été adoptée le 05 janvier 2018. Elle s’inscrit dans une approche régionale qui intègre les directives de la CEDEAO et de l’UEMOA sur la nécessité de créer une infrastructure nationale de la qualité qui soit pertinente et efficace. Elle doit être en cohérence avec l’infrastructure régionale de la qualité d’une part et d’autre part, respecter le principe de subsidiarité pour les fonctions que l’infrastructure nigérienne ne pourra pas assumer dans une échéance à court ou moyen terme. Il s’agit notamment de l’accréditation des organismes d’évaluation de la conformité qui est actuellement assurée par le Système Ouest-africain d’Accréditation (SOAC).
La vision de la politique qualité du Niger consiste à maintenir une structure industrielle solide qui est compétitive au niveau mondial, respectueuse de l’environnement et capable d’améliorer sensiblement les conditions de vie des personnes d’ici à 2030. Son objectif principal est de contribuer à promouvoir la compétitivité de l’économie nationale, la protection des consommateurs ainsi que celle de l’environnement. Elle est partie intégrante des stratégies de développement économique et social du Niger.
Réalisée par Fatouma Idé(onep)