Monsieur le Commissaire, vous êtes à Niamey dans le cadre d’une importante rencontre du Conseil Consultatif d’ECOMET et vous avez bien voulu mettre à profit ce séjour pour visiter les stands du Salon « Sahel-Niger » 2020. Quelles sont vos impressions après ce contact avec les paysans, producteurs et transformateurs ? Quelle appréciation faites-vous de la présence des femmes rurales à ce genre de rencontre ?
Merci bien ! Je suis venu à Niamey dans le cadre d’une réunion sur la métrologie régionale. La Commission de la CEDEAO a initié avec la Coopération allemande un programme d’appui au développement de la métrologie dans les Etats membres de la CEDEAO et au niveau régional. En marge de cette activité, justement, j’ai eu le plaisir de visiter le Salon «Sahel ». Je pense d’abord que c’est une bonne initiative. Initiative qui offre à notre secteur privé, à nos concitoyens, la possibilité d’aller montrer ce qu’ils font de bien. D’abord dans les différentes filières agricoles, agricole au sens le plus large et dans les filières de transformations des produits issus de l’agriculture. J’ai pu voir des femmes et des hommes très déterminés.
J’ai vu la création davantage de valeur ajoutée par rapport à nos productions brutes. Donc, je voudrais dans ce cas féliciter le Gouvernement du Niger, féliciter le ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture, pour avoir initié et conduit avec les différents acteurs privés l’organisation d’un tel salon. Un salon, c’est toujours un point de rencontre entre les producteurs, entre les chercheurs, entres les consommateurs et aussi les transformateurs des produits. Sur un seul espace, on a pu montrer une partie du génie du peuple nigérien par rapport à la production et à la transformation des produits et services aux différentes populations concernées par l’utilisation de ces biens et services des femmes déterminées et je voulais saluer leurs différentes initiatives. J’ai regardé dans les différentes chaines de valeurs présentes à ce salon les femmes qui se battent pour aussi contribuer à la valorisation de ces chaines de valeurs. Fruits des produits dérivés du mil, du blé, (…), j’ai vu des produits dérivés du lait, de la viande, bref, j’ai vu des femmes qui ont reçu très peu en termes de capacité professionnelle mais qui se battent pour se qualifier et pour mettre sur le marché des produits qui répondent à certaines exigences qualitatives. Donc, je voudrais saluer l’effort de ces dames et dire que si nous avons des programmes à faire, nous devons justement initier des programmes pour soutenir ce genre d’initiatives. Ces femmes, au-delà de leurs activités individuelles, ont le mérite de s’affirmer en réseau pour partager ce qui est commun, pour partager les solutions qu’elles peuvent trouver individuellement. Je pense que c’est une bonne chose et nous devons, en tant qu’administration, les accompagner pour qu’elles puissent mieux organiser leur profession et qu’elles puissent prendre leur part en tout cas sur la scène de la valorisation des ressources naturelles au niveau du pays et au niveau de la région. Ces femmes ont besoin, d’après ce que j’ai pu constater, des petits équipements, elles ont besoin d’avoir accès à l’information technologique, d’avoir accès à un certain nombre de prestations au niveau des laboratoires pour attester de la qualité ; elles ont besoin d’être accompagnées à la certification, elles ont besoin des petits financements pour pouvoir continuer à mener ces activités. Ces femmes travaillent pour pouvoir améliorer la qualité des produits. Elles ont besoin d’emballages appropriés ; voilà les questions que j’ai vues et qui sont communes à toutes les femmes que j’ai vu exposer. Je pense que si globalement nous mettons nos moyens, nos intelligences, nous serons à même d’améliorer les conditions de travail et le professionnalisme de ces personnes qui sont des agents économiques réels qui travaillent sur un environnement réel.
Monsieur le Commissaire, l’industrie et le secteur privé constituent des maillons importants pour booster le développement dans notre espace communautaire. Les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’espace développent des politiques pour atteindre cet objectif. Les potentialités existent, tant sur le plan humain que sur le plan des matières premières. Qu’est-ce qui retarde concrètement le développement de ces secteurs ?
Vous savez, dans tous les pays membres de la CEDEAO, nous avons une acceptation commune, une constante ; l’industrialisation est un moyen pour nous permettre d’atteindre les objectifs du développement économique et social. Nous pensons que, à tous les niveaux politiques, c’est à travers la transformation de nos ressources naturelles, dans une logique de chaine de valeur, que nous allons devoir créer de nombreuses petites et moyennes industries dans notre espace, lesquelles vont pouvoir embaucher les compétences des jeunes, travailler pour davantage générer des richesses pour améliorer le taux de croissance de nos économies, mais aussi distribuer ces revenus aux populations qui travaillent pour améliorer globalement leur condition de vie. C’est un objectif politique très noble. La vocation de l’industrie qui est généralement admise, c’est d’aider justement la modernisation des différentes branches de l’économie. Vous allez donc trouver de l’industrie dans l’agriculture, dans la culture, dans les services, dans les mines, (…) ; l’industrie pratiquement est un juste facteur de modernisation des transformations. En Afrique, nous avons beaucoup fait pour l’industrialisation. Dès l’indépendance, tous les pays membres de la CEDEAO se sont engagés à développer l’industrie pour améliorer les conditions de vie des populations. Nous avons eu plusieurs étapes d’industrialisation. Il faut le reconnaitre, le stade où nous sommes aujourd’hui n’était pas le stade que nous avons avant. Je voudrais donc saluer le mérite de tous les gouvernements successifs qui fait en sorte que nous sommes là avec un minimum d’industrie dans nos économies. En faisant l’état au plan macroéconomique de l’apport de l’industrie au moment de la préparation de la politique d’industrialisation commune de la CEDEAO, nous nous sommes rendus compte qu’en termes de création de la valeur, de la richesse la part de l’industrie était très faible. Dans les années 2010, cette part représentait 7% de la richesse globale qui a été créée par l’économie. A travers les politiques d’industrialisation, c’est une part qui s’améliore. Aujourd’hui, nous frôlons les 10% des contributions à la création des richesses au niveau régional et dans certains Etats, nous dépassons les 10% à la création des richesses. Pour dire qu’il y a une dynamique d’amélioration. De plus en plus, nous travaillons à la transformation de nos ressources. Le politique l’a compris, le technique l’a compris. Chaque fois que vous allez exporter en l’état une ressource agricole, l’emploi va avec l’exportation, les revenus supplémentaires vont avec l’exportation ; tous, nous sommes d’accord aujourd’hui qu’il faut travailler pour retenir une part substantielle liée au traitement de nos ressources naturelles, c’est pourquoi nous voudrions faire l’industrie manufacturière. Nous devons traiter à chaque étape de la chaine, nous allons générer des emplois, distribuer des salaires et améliorer les conditions de vie des gens qui travaillent à ces différentes étapes. L’industrie, c’est donc cette branche d’activité qui apporte la solution à notre contribution significative au règlement des principaux défis de notre économie. Défis d’abord de la pauvreté, défis de la création d’emploi.
La question basique, c’est de savoir pourquoi on est là en train de trainer. L’industrie s’exprime dans un environnement favorable. Aujourd’hui, en faisant le diagnostic du secteur industriel régional, nous nous sommes dit qu’il y a un certain nombre de facteurs pénalisant. Un des premiers facteurs, c’est les infrastructures énergétiques. Il nous faut de l’énergie un peu partout pour pouvoir faire fonctionner les machines et transformer les produits. Il nous faut donc une énergie de qualité et à bas prix. Le deuxième facteur au niveau régional, on a construit tout cet ensemble, ce marché commun, pour aussi la circulation libre de nos produits. Il nous faut la disponibilité des infrastructures de transport pour assurer la meilleure connectivité ; lorsque vous prenez des marchandises pour les amener dans un autre pays, il faut que vous ayez des routes en très bon état pour vous faciliter l’atteinte du point B dans un délai optimum, mais aussi avec un coût raisonnable. Un autre facteur limitant, c’est l’accès au financement. Nous n’avons pas encore des guichets qui puissent soutenir des prêts à l’investissement industriel. L’industrie consomme beaucoup de services, l’industrie consommes des ressources humaines de qualité, nous avons un déficit des compétences. Ces braves femmes que j’ai vues ont besoin d’être qualifiées. Nous avons besoin d’assurer leur formation professionnelle dans des centres dédiés. Par exemple, celles que j’ai vues dans l’agro transformation ont besoin d’un centre de formation professionnelle en agro-industrie où ces femmes peuvent aller dans des programmes d’un mois apprendre au plan technique comment organiser la production jusqu’aux produits finis. Nous avons besoin de les initier aux rudiments de la gestion d’une micro entreprise et les pousser jusqu’à ce qu’elles soient des moyennes entreprises et ensuite pour qu’elles prétendent, un jour, après leur apprentissage, à devenir des industries formelles. C’est un long processus, mais nous ne devons pas avoir peur de la longueur du processus, nous devons commencer dès maintenant à apporter notre soutien à ces gens.
Avez-vous des suggestions particulières ou des appels à l’endroit des partenaires, ou même à l’endroit de ces producteurs et transformateurs dans le cadre de leur travail ?
Souvent, il m’est arrivé de lancer des appels aux différents partenaires. Je dis que les gouvernants ont compris. Nous sommes engagés dans plusieurs réformes dans nos Etats. Réformes pour améliorer le climat des affaires, réformes pour améliorer le climat de l’investissement. Tout cela, c’était pour lancer un appel à un investisseur massif dans les secteurs bien choisis pour l’investissement. Notre appel, c’est beaucoup plus vers le secteur privé. Ce secteur a besoin d’être organisé, il a besoin d’être soutenu. Il faut lui donner les moyens, après toutes les réformes institutionnelles, de pouvoir s’intéresser aux différentes filières.
Au niveau régional, nous travaillons déjà sur des programmes régionaux d’amélioration des climats d’investissements, question d’inciter les pays, de les soutenir et de les accompagner sur ce qu’ils sont en train de faire au niveau national.
Nous avons projeté de construire au niveau de la CEDEAO un marché commun, pour les biens manufacturés. Dans la même foulée, nous avons décidé d’ouvrir nos frontières au niveau continental en signant les accords de la Zone de Libre Echange Continentale africaine (ZLECAF). Aujourd’hui, je travaille pour que nous puissions avoir à répondre à cette nouvelle zone économique qui se décline. Des améliorations sont en cours. Nous avons des programmes pour améliorer l’accès à nos populations à l’énergie. Nous avons des programmes d’interconnexion, entre les pays qui sont en surcapacité vers les pays qui sont en sous capacité. Nous avons des programmes de valorisation des gazes. Nous avons des programmes d’interconnexion routière. Tous cela, nous pensons que, structurellement, lorsque nous allons arriver progressivement à les mettre en place, le cap sera là pour permettre l’éclosion et l’épanouissement de l’industrie au niveau de notre région. Mais c’est beaucoup d’argent qu’il faut négocier avec les partenaires.
Pour stopper les phénomènes migratoires, le phénomène d’insécurité, le phénomène de pauvreté, nous devons donner la chance à nos enfants d’avoir des postes décents ici, en Afrique et au niveau Afrique de l’Ouest. En apportant un soutien ferme à l’industrialisation, nous allons régler ces problèmes.
Quelles sont les perspectives qui s’offrent à nos pays pour le développement industriel et celui du secteur privé ?
On a de belles perspectives devant nous. Moi, j’ai foi à l’industrialisation, même si c’est un processus lent. Mais à un moment donné, il va falloir accélérer. Nous avons un programme africain d’accélération de notre industrialisation. De plus en plus, ça s’arrange. Je me rappelle que pour démarrer une machine, les gens avaient besoin de 6 mois avant d’avoir l’électricité. Aujourd’hui, au Niger, vous avez moins d’une semaine pour finaliser les formalités et avoir de l’électricité au niveau de votre entreprise, c’est une avancée. L’environnement est en train de s’améliorer, nous avons des gens qui ont leurs déterminations ; il faut juste les aider et les pousser un peu, à travers une restructuration de notre secteur financier. On doit se faire confiance, il faut développer le secteur privé ; les organisations, il faut les soutenir ; les producteurs, il faut les soutenir.
Par Ali Maman(onep)