Mme la Directrice Générale, la Haute autorité du Waqf a mis en place au mois de mars dernier, un fonds waqf destiné aux-ayant droits des agents des Forces de Défense et de Sécurité décédés ou disparus en service commandé. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le fonds Waqf et d’où émane l’idée de la création du fonds Waqf ?
Merci de nous recevoir et de nous donner l’opportunité d’apporter des informations supplémentaires et complémentaires par rapport à la Haute Autorité du WAQF et de ses actions de façon générale. En vérité, La Haute Autorité du Waqf n’a pas mis en place le fonds waqf destiné aux ayants-droits des FDS au cours du mois de mars 2021.
En réalité, le Fonds avait été annoncé par le Chef de l’Etat le 17 décembre 2019 et le décret le mettant en place date de février 2020. Ce qu’on a fait en mars c’est le lancement officiel de la phase de transition de ce fonds. Cela me ramène à expliquer ce qu’est le principe du Waqf. Qu’est-ce que c’est que le Waqf ? Le Waqf dans le droit Islamique c’est un bien dont la jouissance est mise à la disposition soit d’un bénéficiaire public en ce qui concerne le Waqf public, soit d’un bénéficiaire privé. Traditionnellement, c’est quelqu’un qui met à disposition un bien dont il permet la jouissance aux membres de sa famille, on appelle cela le Waqf de famille. Il peut aussi décider que la jouissance peut bénéficier et aux bénéficiaires publics et aux bénéficiaire privés, ce qu’on appelle Waqf mixte. Il peut aussi décider que le Waqf va bénéficier à la protection de l’environnement par exemple ou tout autre objet licite. Alors le Fonds Waqf dont vous parlez au profit des ayant-droits des FDS décédés ou disparus sur le champ d’honneur est un projet parmi tant d’autres des projets dont s’occupent la Haute Autorité. Les missions de la Haute Autorité de Waqf se résument en gros à trois ou quatre points. Le premier c’est la gestion de tout projet de Waqf public. Le deuxième, c’est la supervision et le contrôle des autres types de Waqf. Le troisième, c’est la mobilisation des ressources pour le financement des Waqf public. Et enfin, le quatrième que j’aimerais ajouter c’est la promotion et la vulgarisation ou la démocratisation du concept de Waqf au Niger qui existait déjà parce que le Niger est un pays de tradition musulmane. J’aurais appris que par exemple dans l’Aïr on l’appelle le « Habouss ». C’est le même terme qui est utilisé au Maghreb pour désigner les Waqf. Au Maroc c’est bien connu, il y’a même un ministère des Habouss qui dépend de la Cour Royale. Donc il en existe au Niger et traditionnellement ce sont des champs et des terres agricoles que les riches mettent à la disposition des populations plus vulnérables.
Depuis l’installation de ce fonds, pouvez-vous nous dire Madame, quelles sont concrètement les actions que vous avez menées au-delà de l’assistance alimentaire ?
La particularité de ce fonds Waqf c’est que c’est un Waqf indirect. Ça veut dire qu’il s’agit d’un fond d’investissement dont les bénéfice et profits vont à la cible désignée, en l’occurrence les ayant-droits des FDS. Qui dit investissement dit un processus de mise en place qui prend du temps. C’est ce que le chef de l’Etat a remarqué lorsqu’il a convoqué en octobre 2020 une réunion spéciale du Conseil de Sécurité sur la mise en œuvre de ce Fonds Waqf. Il a alors insisté qu’on devait tout faire pour que les familles puissent commencer à jouir de ce Waqf le plus tôt possible. Et il a ainsi instruit de procéder en deux phases. Une phase de transition d’un an pour lequel un montant de 500 millions de francs CFA a été alloué pour apporter une assistance immédiate aux familles en attendant qu’on mette en place un mécanisme d’investissement avec le reste de fonds et les ressources qu’on devrait mobiliser. La mise en œuvre de cette phase de transition est assurée par un comité dirigé par la Haute Autorité du Waqf et dans lequel siègent les représentants de tous les corps des FDS ainsi que les représentants des familles des FDS. Ensemble on a identifié les besoins à couvrir immédiatement et on a aussi arrêté les modalités de mise en œuvre. Parmi ce qui a été décidé c’est d’apporter une assistance financière trimestrielle aux familles. Au début il était convenu que ce serait mensuel, mais c’est très difficile d’être ponctuel dans la mise en œuvre du fait que les familles sont éparpillées sur tout le territoire et un mois ça passe très vite. Une autre partie du montant a été alloué aux familles parmi les bénéficiaires qui ont été victimes des inondations des mois de mai et juin de l’année dernière. Puis il y’a eu aussi une partie qui a été dédiée pour aider les familles des FDS qui font face à des situations d’éviction pour des impayés des loyers. Il a été décidé aussi l’allocation d’une partie du fonds comme une assistance scolaire pour payer la scolarité des enfants à la rentrée et enfin un petit fonds est alloué aux activités d’autonomisation et de renforcement des capacités productives des familles, pour celles qui exercent déjà une activité productive. L’objectif pour moi c’est vraiment de contribuer à toute action qui vise à préserver la dignité des familles. C’est l’orientation générale qu’on a donné à ce fonds. On a demandé aussi au gouvernement de nous octroyer des terrains pour accompagner les familles à acquérir un logement dans le long terme. Ainsi nous avons obtenu 550 terrains à Niamey qui seront mise à disposition des familles. Ceci a également fait l’objet d’une annonce en mars lors du lancement du fonds.
Par ailleurs, on mobilise des ressources auprès de nos partenaires qui ont acceptés de prendre en charge plus de 300 orphelins avec de bourses mensuelles.
Pouvez-vous nous donner quelques statistiques concernant le nombre de ménages qui ont bénéficié de ces pécules ainsi que la scolarité des enfants ?
La première activité qu’on a essayé de faire pour être le plus efficace possible pour l’assistance qu’on veut apporter aux familles, c’est le recensement de celles-ci. Les corps de FDS ont des chiffres. Il faut les mettre à jour pour avoir une base de données assez fiable. En plus les familles sont malheureusement sur tout le territoire national. Il va falloir faire l’effort de les atteindre tous. Quant à l’assistance scolarité, ce sera déroulé à la rentrée de septembre 2021.
Concrètement madame comment sont identifiés les personnes bénéficiaires de ce fonds-là ?
Les bénéficiaires sont prévus par les textes de lois en vigueur. L’assistance du Waqf est destinée uniquement aux « Ayants droits FDS décédés en service commandé avec engagement ou ayant succombé de suite des blessures survenues sur le champ d’opérations a tombées ou blessées grave sur les champs d’honneur) tels que définis par le décret n°2020-142 /PRN/MF du 07 février 2020 et selon les textes en vigueur notamment le décret N :2013-214/PRN/MI/SP/ D/AR/MDN/MH/E/MF du 7 juin 2013.
Comme je l’ai dit, l’armée a ses bases de données. Pour le moment c’est cela notre base pour identifier les familles.
Cette opération envers les FDS est l’une de grandes opérations que vous avez menée…
En effet, c’est le projet phare de l’institution parce que le décret créant ce Fonds Waqf a été pris le même jour que le décret créant la Haute Autorité de Waqf elle-même. On a commencé presque en même temps. Maintenant, il y a d’autres projets sur lesquels on travaille comme le projet de modernisation de la morgue.
Est-ce que la collecte des fonds servant à la pratique de vos activités se fait au niveau national ?
En créant la Haute Autorité de Waqf, on a mis en place une vision stratégique pour définir l’orientation qu’on souhaitait donner au Waqf au Niger. Moi, je le considère comme un secteur économique à part entière. On a le secteur public et le secteur privé et ce troisième secteur hybride qui peut combler le gap entre les deux. Ainsi nous travaillons à faire du Waqf l’outil principal de promotion de l’inclusion socioéconomique des couches vulnérables au Niger et du financement des secteurs sociaux. C’est pourquoi, en développant notre document d’orientation stratégique on s’est aligné sur les objectifs du développement du Niger à savoir l’inclusion financière et économique car le Waqf est un outil de mobilisation de ressources. Pour le moment la plupart des ressources sont mobilisées à l’extérieur. Toutefois, il y a des volontés sur le plan national mais il faudrait trouver des mécanismes pour permettre à ceux qui veulent contribuer aux projets d’intérêt national de le faire. En quelque sorte il faut qu’on organise le secteur. Je vous rappelle que le Waqf se repose sur deux piliers, l’investissement qui finance l’action sociale. Cela sous-entend que nous devons nous focaliser sur les investissements pour pouvoir dégager assez de ressources pour financer les secteurs sociaux. Le travail qu’on est en train de faire à l’heure actuelle, c’est d’identifier les projets d’investissement les plus bancables au Niger afin de les proposer aux investisseurs qui sont intéressés à ce type d’investissement.
La caractéristique du Waqf c’est que, c’est le seul investissement égoïste que la personne fait pour elle-même et pour l’éternité, parce que, que la personne soit en vie ou pas, le Waqf continue à travailler pour la personne et rempli sa balance des bénédictions.
Qui parle de gestion et de contrôle, parle de défis et de difficultés, alors quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté?
Je n’aime pas parler de difficultés, si c’était facile on n’aurait pas eu besoin d’un cadre règlementaire et institutionnel pour gérer les Waqf. Toute difficulté fait partie d’un processus de mise en œuvre, donc pour moi il n’y a pas de difficultés, c’est des challenges qu’il faut résoudre par des outils appropriés.
La difficulté que j’ai c’est peut-être le temps, je me mets personnellement beaucoup de pression. Je veux attendre des objectifs et des résultats concrets et ça va nous prendre du temps parce qu’il faut retravailler les textes et tout le cadre règlementaire. On a fait beaucoup de travail de cadrage stratégique pour nous tracer une voie à suivre. Il y a tellement de choses à faire pour assurer l’appropriation de l’outil du Waqf dans notre pays et moi je veux qu’on avance avec des pas sûrs. Alhamdulillah, les gens ont accueilli le Waqf favorablement et c’est une chance pour nous que d’autres pays n’ont pas eue. On a également le soutien des autorités, donc tout ce qu’il nous faut c’est de travailler.
La grande difficulté, s’il y a une, c’est la modélisation des projets Waqf propre au contexte du Niger. Et c’est ça pour moi le plus grand défi. Il faut qu’on puisse monter des projets types pilotes qui marchent, qui nous encouragent, qui nous montre que cet outil est vraiment efficace et contribue aux objectifs de développement de notre pays. L’autre challenge c’est la mobilisation des ressources qui a été rendue difficile par le contexte du Covid-19 car toutes les ressources des bailleurs ont été dirigés à la lutte contre la pandémie.
Quels appels avez-vous à lancer aux autorités et à la population relativement aux activités que vous menez?
L’appel que j’aurai à lancer aux autorités c’est de nous soutenir davantage et de s’approprier davantage de l’outil du Waqf et de développer de façon générale la finance sociale islamique parce qu’elle siet comme réponse aux défis de lutte contre la pauvreté dans notre pays. Si on décide d’être aujourd’hui d’être le centre d’excellence de la finance sociale islamique en Afrique de l’ouest on a tout ce qu’il faut. On a une population 99% musulmane qui demande cette offre de produits financiers conforme à ses valeurs morales et spirituelles, on a une université islamique qui forme des cadres compétents dans le domaine de la finance islamique et des banques commerciales islamiques sur place. On a aussi des partenaires techniques et financiers qui nous font confiance comme la BID et sont prêtes à accompagner nos efforts dans ce sens.
À la population de s’approprier de l’outil du Waqf et de comprendre que toute personne peut contribuer à faire un Waqf
Est ce qu’on peut identifier le Waqf à la Zakat?
Non, C’est deux choses différentes. La Zakat est un des 5 piliers de l’islam. Le Waqf est une aumône surérogatoire, donc pas une obligation religieuse, c’est d’ailleurs pour ça qu’un État laïc comme le Niger peut avoir une loi sur le Waqf.
Par Fatouma Idé et Oumar Issoufou(onep)