Dans une lettre datée du 28 août 2023, adressée à la Présidente du Conseil de Sécurité, le Chargé d’affaires par intérim de la Mission permanente du Niger auprès de l’Organisation des Nations Unies dénonce la violation du droit international à l’encontre de la République du Niger par la CEDEAO et la France. La lettre transmise par le chargé d’affaire par intérim (Signé) Idrissa Aboubacar Daddo, relève un certain nombre de faits et d’agissements graves qui sont de nature à porter atteinte à la paix et à la sécurité internationales dont se seraient rendus coupables les institutions et pays concernés. Lire ci-dessus, la lettre ainsi l’Annexe à la lettre datée du 28 août 2023.
« D’ordre de mon gouvernement, j’ai l’honneur de me référer à la lettre datée du 28 août 2023 adressée au Secrétaire général par Yaou Sangaré Bakary, Ministre nigérien des affaires étrangères, de la coopération et des Nigériens à l’extérieur (voir annexe), au sujet de la violation du droit international contre le Niger par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et le Gouvernement français. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir faire distribuer le texte de la présente lettre et de son annexe comme document du Conseil de sécurité.
Le chargé d’affaire par intérim (Signé) Idrissa Aboubacar Daddo.
Annexe à la lettre datée du 28 août 2023 adressée à la Présidente du Conseil de sécurité par le Chargé d’affaires par intérim de la Mission permanente du Niger auprès de l’Organisation des Nations Unies.
Violation du droit international à l’encontre de la République du Niger
J’ai l’honneur de vous informer que depuis le changement de régime intervenu le 26 juillet 2023, la République du Niger fait face à des sanctions des Organisations régionales et sous-régionales dont certaines d’entre elles sont contraires au droit desdites organisations internationales, au droit international général et à la Charte des Nations Unies, mesures qui ne sont pas sans conséquence sur la vie des populations nigériennes. La République du Niger fait l’objet également d’actes graves qui sont de nature à porter atteinte à la paix et à la sécurité internationales par la République Française. Il s’agit notamment de :
I. La violation du cadre communautaire des sanctions de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)
Les sanctions adoptées dans le cadre de la Session Extraordinaire de la Conférence des Chefs d’États et de Gouvernement de la CEDEAO sur la situation politique au Niger, du 30 juillet 2023 et le deuxième Sommet Extraordinaire de la Conférence des Chefs d’États et de Gouvernement de la CEDEAO sur la situation politique au Niger, du 10 août 2023, violent le cadre communautaire des sanctions de la CEDEAO.
La Conférence des Chefs d’États et de Gouvernement a prononcé des sanctions qui ne sont pas prévues par l’Acte Additionnel A/SP.13/02/12 du 17 février 2012 relatif aux sanctions contre les États membres qui ne respectent pas leurs obligations envers la CEDEAO. Celui-ci prévoit le « gel des avoirs financiers » de l’État membre concerné et non « le gel de toutes les transactions de service, y compris les services publics » ou encore « la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les États membres de la CEDEAO » et l’État sanctionné.
En outre, « la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO » et l’État membre sanctionné ou encore « l’établissement d’une zone d’exclusion de la CEDEAO pour tous les vols commerciaux à destination ou en provenance » de celui-ci, constituent des actes ultra vires qui peuvent faire l’objet d’un contrôle approfondi par la Cour de Justice de la CEDEAO.
Les sanctions doivent normalement « favoriser la levée de tous les obstacles à l’intégration régionale » et « faciliter la réalisation des objectifs de la Communauté » (article 4 § 2 de l’Acte Additionnel). Or, les mesures adoptées violent les objectifs et les principes fondamentaux de la CEDEAO inscrits dans les traités, actes additionnels et protocoles communautaires comme : l’Égalité et l’interdépendance des États membres ; la Solidarité et l’autosuffisance collective ; la Non-agression entre les États membres ; le Maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales par la promotion et le renforcement des relations de bon voisinage.
Les sanctions à l’encontre de l’État nigérien ne respectent également pas le contenu de l’article 19 § 1 de l’Acte Additionnel qui prévoit notamment le sursis au prononcé de sanctions à l’encontre d’un État en cas de « calamités ou des exceptionnelles qui affectent gravement son économie, la paix, sa sécurité et sa stabilité politique ». En effet, plusieurs localités nigériennes, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’insécurité, sont soumises à l’état d’urgence notamment la Région de Diffa, ainsi que certains départements des Régions de Tahoua (départements de Tassara et de Tillia) et de Tillabéri (départements de Ouallam, d’Ayerou, de Bankilaré, d’Abala, de Banibangou, de Say, de Torodi, de Téra, de Filingué, de Tillabéri et de Gothèye). La République du Niger ne peut donc honorer ses engagements envers la CEDEAO au regard des circonstances exceptionnelles d’insécurité et de lutte contre le terrorisme.
II. La violation de l’interdiction du recours à la force sans l’aval préalable du Conseil de sécurité
Le Protocole de la CEDEAO relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité, signé à Lomé, le 10 décembre 1999, modifié et complété par le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, notamment les règles procédurales prévues à l’article 27 et surtout à l’article 52 § 3.
L’Article 52 § 3 du Protocole de 1999 impose à la CEDEAO, conformément aux dispositions des chapitres VII et VIII de la Charte, d’informer « les Nations Unies de toute intervention militaire effectuée dans le cadre des objectifs du présent Mécanisme ».
Ainsi, la mention de « l’imposition de la paix ou la restauration de l’ordre constitutionnel par l’utilisation de la force légitime » par l’article 6 (XV) de l’Acte Additionnel de 2012 demeure conditionnée par le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international général.
En effet, excepté le cas de légitime défense, l’autorisation par le Conseil de sécurité de recourir à la force est un préalable à toute intervention armée. Dès lors, les accords régionaux touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent être compatibles aux dispositions de la Charte des Nations Unies (article 52 de la Charte).
Aussi, l’article 53 de la Charte présente les organismes régionaux comme des auxiliaires d’exécution du Conseil de sécurité (paragraphe 1, phrase 1). Dans ce cas de figure, c’est le Conseil qui décide d’une action coercitive, toutefois, au lieu de procéder à son exécution lui-même, il la délègue à un organisme régional approprié.
Les organismes régionaux sont présentés, par le même article 53 de la Charte, comme acteurs du maintien de la paix régionale pour autant qu’ils fassent avaliser leur action par le Conseil de sécurité. Ici, l’impulsion de l’action procède de l’organisme régional dans une forme de décentralisation, d’où l’exigence expresse d’une autorisation par le Conseil de sécurité.
L’autorisation du recours à la force demeure toujours centralisée auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies et l’article 53 prohibe l’utilisation de la force par l’organisation régionale à défaut d’autorisation du Conseil.
III. Crime d’agression à l’encontre de la République du Niger
Si la République du Niger n’a encore subi aucune attaque de la part des forces armées de la CEDEAO, on relève une menace persistante d’attaque sur le pays et son peuple susceptible constituer au sens de l’article 8 bis § 1 du Statut de Rome révisé, un crime d’agression.
Cette menace est matérialisée par les réunions que tiennent les Chefs d’État, les Chefs d’État-major des armées des pays concernés et est constitutive d’actes de planification et de préparation en vue de la mise en action ou du lancement des forces en attente de la CEDEAO (Sommets Extraordinaires des 30 juillet et 10 août 2023).
Ainsi, les mesures prises à l’encontre de l’État du Niger violent aussi bien le droit international général, le droit communautaire et les principes fondamentaux de la CEDEAO ou encore sa vision 2050 en infligeant aux populations les plus fragiles des souffrances inhumaines dans une approche volontaire d’asphyxie du peuple nigérien par la suspension de toutes les transactions commerciales et financières en provenance du Niger et le gel des avoirs de l’État ainsi que des entreprises publiques et parapubliques.
IV. Les actes graves qui sont de nature à porter atteinte à la paix et à la sécurité internationales par la République Française
Il s’agit entre autres de :
• La recherche des voies et moyens pour intervenir militairement au Niger par des autorisations, juridiques, politiques et militaires nécessaires avec les anciennes autorités nigériennes.
• Refus de prendre acte de l’acte souverain de l’État du Niger de la décision de rappel de son Ambassadeur à Paris et du refus de reconnaître le Chargé d’Affaires Ad Intérim désigné.
• Comportement des autorités françaises consistant à ne pas reconnaître la décision des autorités nigériennes de dénoncer les accords de coopération et arrangement technique dans les domaines de la défense et de la sécurité entre les deux pays.
• Comportement des forces françaises sur le territoire nigérien et de leurs complices terroristes. En effet, le 09 août 2023, aux environs de 06h30, le détachement de la Garde Nationale du Niger (GNN) de Bourkou-Bourkou (30 km du site aurifère de Samira) a fait l’objet d’une attaque. À travers une communication directe avec les partenaires occidentaux, le comportement des forces françaises a été fustigé, pour avoir, de façon unilatérale, libéré des éléments terroristes prisonniers. Ces derniers ont été regroupés dans une vallée du village de Fitili (28 km nord-ouest de Yatakala) où une réunion de planification s’est tenue dans l’objectif d’attaquer ces positions militaires dans la zone des trois (3) frontières. Les chefs d’éléments terroristes, au nombre de seize (16), ont été appréhendés dans trois (3) opérations dont deux (2) en territoire nigérien et un (1) en territoire malien.
• La violation répétée et continue de l’espace aérien nigérien. Le 09 août 2023, dans une volonté manifeste de déstabilisation, les forces françaises ont fait décoller un avion militaire de type A400M de N’Djamena à 06h01mn locale. Cet aéronef a volontairement coupé tout contact avec le contrôle aérien à l’entrée de l’espace nigérien de 06h39mn à 11h15mn locale.
Le 09 août 2023, à 22h30, un avion militaire de type A401 a cherché à atterrir à Arlit sans plan de vol préétabli en coupant également tous les moyens de communication et de suivi.
• Les agissements dilatoires français par le refus d’autorisation de survol de l’avion présidentiel, le Mont Gréboun, en fin de maintenance à Bâle (Suisse).
Le Gouvernement du Niger dispose de plusieurs éléments de preuve qu’il peut mettre à la disposition des Nations Unies et particulièrement du Conseil de sécurité.
Ainsi, le Gouvernement du Niger invite le Secrétaire Général des Nations Unies à œuvrer afin que la République Française cesse immédiatement ses actes d’agression contre le Niger.
En cas de persistance dans cette posture qui porte atteinte à la stabilité et à la sécurité de notre pays, le Gouvernement du Niger se réserve le droit de faire usage de la légitime défense, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies.
La République du Niger se réserve le droit de saisir les juridictions internationales au regard d’une application de sanctions injustes et à géométrie variable du droit par les Organisations régionales ainsi que les actes hostiles de la France et prie le Secrétaire Général de considérer cette note comme un document de travail du Conseil de sécurité.
(Signé) Yaou Sangaré Bakary »