Ces dernières années, la ville de Niamey est devenue une plaque tournante de la vente des ressources fourragères, en l’occurrence la paille sèche. Le phénomène ne fait que prendre de l’ampleur d’année en année sans qu’une solution ne soit envisagée ne serait-ce que pour la régénération des espèces fourragères et l’équilibre de la biodiversité dans les zones dépouillées. Ce sont surtout les zones pastorales qui paient un lourd tribut du désastre auquel l’on assiste impuissamment. Or, il est établi que sans la disponibilité de ces ressources fourragères en quantité et en qualité, le cheptel nigérien sera confronté à un sérieux problème de pâturage.
Déjà, le monde pastoral du Niger vit au rythme d’un morcèlement des aires fourragères au profit d’une agriculture pluviale devenue aussi capricieuse en raison des aléas climatiques qui la caractérisent chaque année. Cette pression démographique sur les espaces productifs a eu comme conséquence immédiate l’étroitesse des aires fourragères. Mais, la particularité de ces dernières campagnes agricoles, c’est qu’il a plu abondamment. Le corollaire de cette hausse de la pluviométrie a été indubitablement l’abondance du fourrage dans quasiment toutes les zones pastorales du Niger. Hélas, on constate un pillage systématique de cette ressource fourragère en direction de la ville de Niamey qui est devenue soudainement une zone d’élevage. Il n’est pas rare de voir à Niamey des camions qui déchargent.
Comment les associations du monde pastoral perçoivent le phénomène ? Est-ce qu’il existe un mécanisme rationnel de gestion de cette ressource pastorale ? Et quelles peuvent être les solutions qu’elles préconisent pour y remédier ?
Pour appréhender le phénomène du pillage systématique des ressources fourragères, le président de la plateforme paysanne M. Djibo Bagna pense qu’il faut d’abord conceptualiser la problématique. Ainsi, le contexte dans lequel nous vivons est assez particulier. Les aléas climatiques confinent les populations, quelles soient sédentaires ou nomades dans une situation d’insécurité alimentaire totale. «Le pillage de nos ressources fourragères, notamment la paille sèche est intimement lié à la pauvreté. A l’époque, il existait des producteurs qui essayaient de prélever un fourrage après la récolte. Ce fourrage était conservé pour le besoin d’un élevage de maison. Cependant, de plus en plus, cette activité commence à prendre d’autres formes dans la mesure où elle est devenue carrément économique. Du coup, nous observons un ramassage abusif du fourrage des zones de production vers les centres urbains. Cet état de fait met le secteur de l’élevage dans une situation inconfortable parce que c’est ce fourrage là qui permet de combler la saison sèche. Il y a même des zones où ceux qui s’adonnent au commerce de la paille utilisent des «tamis» pour véritablement ramasser tout ce qui peut servir de fourrage aux animaux. Conséquence, les semences sont complètement endommagées. C’est dire que le nettoyage pur et simple des champs ou des zones de pâturage fait encore beaucoup de dégâts du point de vue de la fertilité des sols. L’autre aspect de cette situation, c’est qu’elle engendre des conflits entre agriculteurs et éleveurs», a expliqué M. Djibo Bagna.
Pourtant la loi sur le pastoralisme a formellement interdit à ce qu’on ramasse le fourrage pour aller le vendre. Malheureusement, cette loi n’est pas appliquée pour beaucoup de raisons. «Il y a d’abord des décrets d’application qui devraient être vulgarisés au niveau de la population. En plus, on devrait doter les communes du Niger des mécanismes permettant de sanctionner les contrevenants», a précisé le président de la plateforme paysanne. Comme esquisse de solutions, M. Djibo Bagna estime qu’à travers la loi sur le pastoralisme, on peut de commun accord convenir de la quantité qu’il faut prélever pour faire le commerce. En outre, une autre proposition émanant de la plateforme paysanne est de faire en sorte qu’on puisse produire du fourrage en culture de contre saison pour réguler ce qu’on n’a pas pu produire en hivernage. Il suffit tout simplement d’aménager des zones pour qu’on puisse donner des semences aux agricultures afin que ceux-ci produisent du fourrage.
Le Secrétaire exécutif de l’Association pour la Redynamisation de l’Elevage (AREN) M. Boureima Dodo précise que le gaspillage de la paille constitue une problématique majeure dans notre pays. Le Niger est un pays où on connait annuellement des déficits fourragers. A cela s’ajoute le phénomène relativement nouveau qui est celui-ci du ramassage à grande échelle de la paille sèche vers les agglomérations où se pratique l’élevage urbain et périurbain. «On ne peut pas certes interdire la vente de la paille en ville. Mais nous estimons qu’il faut réglementer l’activité à travers les communes. Cette réglementation permettra de préserver les droits des éleveurs se trouvant dans les brousses ou les zones pastorales à faire paitre leurs animaux avec un minimum de paille», a indiqué M. Boureima Dodo.
Par ailleurs, Il faut dire que le code rural n’a pas interdit la vente de la paille à l’intérieur du pays. Ce qui est interdit par contre, c’est l’exportation de la paille dans d’autres pays pour vendre. «Nous pensons que les communes doivent en fonction de leur spécificité réglementer le ramassage de la paille. Avec l’élection des nouveaux élus municipaux, nous espérons que les Conseils communaux prendront des dispositions qui permettent véritablement de faire en sorte que l’accès à cette ressource soit équitable pour tous les acteurs», a estimé le Secrétaire exécutif de l’AREN.
Pour sa part, le Secrétaire général du Groupement d’Actions Culturel, de Développement et de la Promotion des Jeunes Eleveurs (GAJEL) M. Boubacar Alzouma, souligne que l’exploitation abusive de la paille contribue à la dégradation de l’environnement. Cependant, comme il n’a pas été développé un système de production fourragère dans les zones urbaines, les populations en orbite des centres urbains ont trouvé des opportunités à fournir du fourrage aux éleveurs urbains. C’est ainsi que les enclaves pastorales sont exploitées de façon abusive au détriment des dispositions contenues dans le code rural. Faute des statistiques fiables, le secrétaire général de l’Association GAJEL se contente de dire que ce sont des quantités importantes de paille qui sont acheminées à Niamey pour être vendues durant toute l’année. Pour M. Boubacar Alzouma, la lutte contre le pillage du fourrage est aussi synonyme de préservation du patrimoine végétal rentable à l’élevage. «L’Etat doit faire en sorte que les ressources fourragères soient profitables pour tout le monde», plaide-t-il.
Par Hassane Daouda(onep)