C’est aujourd’hui que s’ouvre dans la capitale des Djermakoyes la 45ème édition du Sabre National de lutte traditionnelle. C’est la septième fois que la ville de Dosso accueille cet événement, après 1977 qui a vu le sacre de Yacouba Kantou de Maradi en finale devant Kadadé de Tahoua ; 1984 avec la victoire finale de Issoufou Aboubacar de Tahoua devant son coéquipier Kassou Kazouga; 1990 avec le sabre enlevé par Mahamadou Idi alias Commando de Tahoua devant Badamassi Alassane de Zinder ; 1999 avec la victoire finale de Balla Harouna de Zinder devant son coéquipier Badamassi Alassane ; 2008 qui a vu le sacre de Harouna Abdou de Tahoua devant Oumarou Ali Bindigaou de Maradi ; et l’édition de 2016 avec le sabre de Issaka Issaka remporté face à Adamou Abdou de Niamey. Aujourd’hui, parée de ses plus beaux atours de fête, la légendaire cité des Djermakoyes accueille avec joie et allégresse les quatre-vingts lutteurs des huit régions du Niger pour des joutes qui vont durer une dizaine de jours. On rappelle qu’en 2021 à Niamey, en 2022 au bord de la Komadougou Yobé, et en 2023 dans la cité de l’Aïr, le redoutable lutteur de Dosso Kadri Abdou alias Issaka Issaka, a décroché coup sur coup son 4ème, 5ème et 6ème Sabre national. En effet, l’enfant terrible du Dendi a réussi la prouesse de remporter son 4ème sabre national devant Aïbo Hassane de Maradi, son 5ème devant Sabo Abdoulaye de Niamey, et son 6ème devant Maty Souley de Maradi. C’est donc Issaka Issaka qui va devoir remettre son Sabre en compétition cet après-midi dans l’antre de l’arène Salma Dan Rani avec le sacret espoir de le reprendre pour une septième fois pour le bonheur des dossolais et de tous les fans. Un septième sacre qui sera synonyme « d’Empereur des arènes », couronné dans son bastion de Dosso.
Il faut dire que chaque année, l’enthousiasme et l’engouement que suscite cet événement ne font que croître, preuve que cette discipline frappée du label de « sport Roi » au Niger compte des millions d’admirateurs. Mais il aura fallu beaucoup de temps pour que ce sport, qui tire toute sa popularité des vertus qu’il incarne, soit hissé sur la scène nationale et même internationale. Car, il faut bien le noter, au Niger, la lutte traditionnelle fait partie des valeurs ancestrales les plus profondes. En effet, la plupart des communautés de l’espace nigérien de l’époque pré-coloniale connaissent la pratique ludique de la lutte avec des variantes en fonction des régions.
Des origines dans la nuit des temps
Les rencontres qui opposaient les jeunes des quartiers et des villages, se déroulaient sur la place publique ou devant la cour du chef, sous la supervision des responsables de la jeunesse (Maï samari), des commerçants jouant le rôle de managers pour les lutteurs. Le calendrier des rencontres est établi suivant les cycles de moisson ou de transhumance. A l’issue des combats, un ‘’roi’’ ou le champion de la région est désigné. Quand la renommée d’un lutteur dépasse les limites de sa contrée, des tournées sont entreprises pour lui rendre visite, pour le vaincre ou pour se faire battre dans une atmosphère de joie et de gaieté. Selon M. Malam Barka Akoda, un spécialiste de la lutte traditionnelle au Niger et auteur d’une étude sur la question, les pouvoirs nationaux issus de l’indépendance dans les années 1960 se sont très peu intéressés au développement des pratiques sportives traditionnelles, les reléguant, comme leurs prédécesseurs, aux oubliettes. Il aura fallu la dernière édition de la semaine de la jeunesse, en 1973, pour que la lutte fasse partie du programme de cette grande manifestation nationale.
La lutte promue par le Conseil Militaire Suprême
Il faut dire que la lutte a connu son envol au Niger à partir de 1975, lorsque le gouvernement de l’époque, sous la férule du Conseil Militaire Suprême (CMS), a inséré dans son programme l’organisation successive, dans chaque chef-lieu de département, d’un championnat de lutte traditionnelle. L’objectif recherché par les gouvernants de l’époque était d’abord le renforcement de l’identité et de l’unité nationales et ensuite la cohésion sociale et la mise en place d’infrastructures destinées à la lutte. Pour atteindre ces objectifs, les autorités ont entamé une réforme et la mise en place des instances pouvant prendre, en concert avec le ministère, l’organisation de ces championnats. C’est ainsi qu’une association des lutteurs vit le jour par ordonnance présidentielle N° 7511/PCMS du 13 mars 1975. Cet acte confirme la vision du régime qui veut que la lutte traditionnelle soit un facteur d’unité nationale et d’affirmation de l’identité culturelle des Nigériens. Elle est devenue une grande manifestation culturelle et sportive qui mobilise tout le pays : les pouvoirs publics, les lutteurs, les différents animateurs, les journalistes, les techniciens, les spectateurs, les auditeurs, les téléspectateurs, les sponsors. Chacune de ces composantes joue un rôle précis et complémentaire. Dans le souci d’assurer une pérennité à la pratique de ce sport, les autorités ont cassé la tirelire pour mettre en place des infrastructures au niveau de tous les chefs-lieux de région. Il s’agit des arènes dont les coûts de construction varient de 80 millions de francs CFA à 250 millions de francs CFA. Ce qui fait que de 1975 à nos jours, la lutte traditionnelle a connu dans notre pays une évolution positive. Le Niger est devenu un des plus grands pays de lutte à l’échelle mondiale.
Selon M. Malam Barka Akoda, ‘’plusieurs initiatives ont renforcé la place de la lutte traditionnelle dans la société nigérienne. A titre d’exemple, il y a l’adoption d’un règlement structuré, l’insertion de la lutte, préconisée depuis 1989, dans les programmes d’éducation physique et sportive ; et surtout la recommandation du séminaire de Dosso, tenu du 10 au 14 août 1989, sur la définition d’une politique sportive au Niger, qui a demandé la consécration de la lutte traditionnelle comme sport national. Dans sa volonté de ‘’sportivisation’’ de la lutte, la Fédération nationale de lutte traditionnelle et le ministère chargé des sports ont réussi à adopter un règlement qui leur a permis d’organiser, depuis 1982, des rencontres bilatérales avec le Sénégal. En 1987, un mini tournoi a regroupé la Côte-d’Ivoire, le Niger, le Sénégal et la Mauritanie et, en mai 1989, un tournoi CEDEAO de lutte a été organisé. En 1994, un stage des arbitres fédéraux fut organisé au Niger par la Confédération Africaine de Lutte dont le Niger est membre, et cela en prélude à la 1ère édition du championnat d’Afrique tenue en avril 1995.
Il faut dire que, depuis la date historique de 1975, les gouvernants du Niger ont tenu leur pari d’organiser, de manière rotative, le championnat national de lutte traditionnelle dans toutes les régions du pays. Les seules fausses notes ont été enregistrées en 1985, 1988, 1997, 2004 et 2005 : pour les quatre premières dates, l’événement ne s’était pas tenu en raison de la mauvaise situation alimentaire qu’avait connue le pays et, en 2005, tous les phares de l’actualité internationale étaient braqués sur notre pays qui accueillait les 5èmes Jeux de la Francophonie où la lutte figurait comme sport de démonstration.
Oumarou Moussa (ONEP), Envoyé Spécial