Quelques jours après le lancement de la campagne nationale sur les impôts fonciers, les rumeurs courent dans tous les sens. C’est tout à fait naturel d’observer une situation de panique et d’effroi de la part des assujettis, car cette obligation fiscale qu’est l’impôt foncier est, à tort ou à raison, ignorée par la plupart des contribuables. Un manque à gagner pour l’Etat et les collectivités ! Comment recouvrer ces impôts sans difficulté ? Faudrait-il sévir pour mettre l’Etat dans ses droits ?
Aujourd’hui, le débat sur les impôts fonciers est au cœur de tous les échanges. Le moins qu’on puisse dire, c’est le sujet qui domine les causeries dans les lieux publics à Tillabéri. «L’impôt foncier c’est comme les autres impôts. Dans tous les cas on finit toujours par payer. Mais le plus important pour moi, c’est de mettre l’Etat dans ses droits afin de lui permettre de couvrir toutes les charges et améliorer l’offre des services sociaux de base», réplique M. Salifou Souleymane assis sur une chaise avec ses amis, tous concernés par le sujet car ils disposent des maisons dans la commune urbaine de Tillabéri.
La région de Tillabéri, subdivisée en 13 départements, eux-mêmes subdivisés en communes urbaines et rurales, est l’une des zones où le recouvrement des impôts fonciers reste problématique. Pourtant ce sont des millions de Franc CFA qui sont en train de dormir dans ce secteur. Selon l’Institut National de la Statistique, la population de la région de Tillabéri est estimée depuis 2012 à 2.722.482 habitants, soit 15% de la population nigérienne. Un grand nombre de nigériens résidant dans les centres urbains sont des locataires.
La ville de Tillabéri, à l’image des autres villes du Niger s’agrandit de jour en jour avec des maisons en location qui poussent comme des champignons. Mais en réalité, les propriétaires de ces maisons ne s’acquittent pas tous de leur obligation fiscale. Selon M. Douma Moussa, maire de la commune urbaine de Tillabéri, les impôts fonciers existaient depuis des décennies. Mais par méconnaissance ou par refus, les gens ne s’intéressent pas trop aux impôts fonciers. Plus grave, il y a une partie de ces impôts qui doit revenir aux collectivités mais dont elles ne bénéficient pas. Pour cause, les assujettis ne payent pas. Un véritable manque à gagner. «Ce sont les impôts qui permettent de construire le pays. C’est avec les impôts qu’on couvre les charges publiques. Notre commune perd beaucoup d’argent comme ça ! Donc vraiment c’est le lieu d’informer tout le monde et de sensibiliser les principaux acteurs sur l’accomplissement des obligations déclaratives et le payement des impôts fonciers. Nous félicitons l’Etat pour les innovations en matière de recouvrement des impôts», a confié le Maire de la commune urbaine de Tillabéri.
Comprendre l’importance et la nécessité de s’acquitter de l’obligation fiscale
Amener les populations à comprendre l’importance et la nécessité de s’acquitter de leurs obligations fiscales, précisément les impôts fonciers, est la tâche et l’exercice auxquels les agents du fisc et les collectivités s’attèlent ces derniers temps à Tillabéri. Cependant, face à la réticence des populations à s’acquitter de l’impôt foncier, M. Moussa Douma rassure qu’il n’y a pas lieu de paniquer. Il n’est que de 5%, 10% et 12% selon l’usage fait de la maison. «Les impôts fonciers sont loin d’être une charge, mais plutôt un moyen qui contribue à l’amélioration des conditions de vie des populations de Tillabéri. Les retombés de ces impôts ne seront pas gardées dans les caisses de l’Etat ou des mairies, mais seront injectées dans l’investissement pour le bonheur de la communauté», rassure M. Moussa Douma.
Pour le directeur régional des Impôts de Tillabéri, M. Ali Issa, l’Etat et en particulier les collectivités territoriales, ont plus que jamais besoin beaucoup plus de moyen financier pour assurer des actions de développement au profit des populations. C’est pourquoi les impôts fonciers rétrocédés par l’Etat à hauteur de 50% aux collectivités territoriales constituent un des moyens les plus efficaces pour faire face aux besoins locaux. Mais très malheureusement, fait constater M. Ali Issa, la région de Tillabéri mobilise peu de ressources relatives à ces impôts au regard du potentiel existant. «Nous allons mener des activités de sensibilisation et de recensement sur les impôts fonciers notamment l’impôt sur les revenus des baux professionnels, l’impôt sur le revenu des baux d’habitation, la taxe immobilière des personnes morales et la taxe d’habitation. Tous ces impôts sont déclaratifs sur un formulaire fourni par la DGI. La déclaration est produite avant le 1er janvier de l’année d’imposition» explique le DRI Tillabéri.
Promouvoir le civisme fiscal !
Les leaders coutumiers, les acteurs de la société civile, etc., sont unanimement d’accord pour mettre l’Etat dans ses droits. En effet, le représentant du Chef de canton de Sakoira invite les Nigériens en général et la population de Tillabéri en particulier à s’acquitter de toutes les obligations fiscales, notamment les impôts fonciers. Il invite les services compétents à intensifier les actions de sensibilisation pour qu’il n’y ait pas de surprise. «Il faut qu’il y ait des véritables actions de sensibilisation pour que les gens établissent des contrats de bail afin de formaliser les relations entre locataire et propriétaire de maison. Les services des impôts vont passer de porte à porte dans les jours à venir pour prendre des renseignements. Ils doivent conduire cette opération avec rigueur pour recenser toutes les maisons quel qu’en soit le type de maison en location. Nous devons travailler ensemble pour connaître et comprendre le contenu des textes relativement aux impôts fonciers. Tout le monde doit s’y mettre pour une réussite de la mise en application des textes relatifs aux impôts fonciers, notamment, les leaders coutumiers que nous sommes, les acteurs de la société civile, les défenseurs des droits de l’homme, les autorités communales, etc. Mais ce que nous craignons c’est vraiment les spéculations. Il ne faut pas que l’impôt foncier, qui est de 10 % seulement pour les maisons à usage d’habitation et 12 % pour les entreprises, pousse les propriétaires des maisons à augmenter considérablement les prix de location», prévient le représentant du Chef de canton de Sakoira.
Ils sont nombreux les acteurs de la société civile qui ont favorablement accueilli le recouvrement de ces impôts. M. Alzouma Mounkaila, acteur de la société civile commune de Tillabéri, estime que la campagne nationale de sensibilisation entreprise par les services des impôts et les mairies est une très bonne chose car elle permet de donner beaucoup d’informations préliminaires aux populations. «Je pense qu’il ne faut pas se limiter uniquement au lancement de la campagne. Il faut aller au-delà pour que toute la loi relative aux impôts fonciers soit suffisamment décortiquée afin que les gens puissent comprendre quand et comment il faut payer. J’ai compris aussi à travers cette sensibilisation que les populations nigériennes ne vont pas tout de suite comprendre certains paramètres de cette loi. Par exemple quand vous avez des épouses et que toutes les deux maisons vous appartiennent, alors on va vous dire de payer l’impôt pour l’une des maisons qu’ils appellent ‘’maison secondaire’’. Deuxièmement, il peut y avoir des problèmes entre locataire et propriétaire de maison, si les propriétaires de maison veulent cacher les prix de location. Il faut que les locataires aident les services des impôts en disant les vrais tarifs de location. Il faut qu’on essaye de formaliser les contrats de bail, cela va beaucoup aider les services des impôts. Dans la plupart des cas, les contrats se font verbalement entre le locataire et le propriétaire sans aucun papier. Et dans ces conditions les propriétaires des maisons peuvent tricher» déplore l’acteur de la société civile.
Cependant, M. Alzouma Mounkaila s’indigne contre tout traitement de faveur ou d’arrangement basé sur des relations politiques ou autres considérations. Selon lui, tout celui qui est soucieux de la loi et qui aime son pays doit payer ces impôts. Un autre aspect qu’il faut ajouter c’est la rétrocession des 50% sur les impôts prélevés. «Je pense que les autorités en charge du recouvrement de ces impôts doivent créer les conditions pour que les gens qui doivent normalement payer ces impôts s’acquittent de leurs obligations. Ce sont des gens qui sont riches et ils doivent payer, il n’y a rien à dire. Ce sont les gens qui ont beaucoup de maisons. Les propriétaires des immeubles et les grandes villas ne doivent pas échapper au paiement de ces impôts. Mais très malheureusement ce sont ces gens-là qui ne payent pas et qui bloquent le processus. Vu le nombre de villas dont ils possèdent dans cette commune, je suis sûr qu’ils vont tenter d’échapper aux fiscs. J’invite les services compétents à ne pas donner la chance à ceux qui ont toutes ces villas d’échapper au recouvrement de ces impôts», interpelle M. Alzouma Mounkaila avant d’inviter les autorités communales à créer les conditions pour que les 50 % sur les impôts payés par les ONG et les entreprises implantées dans les communes reviennent au niveau des communes concernées, même lorsque ces impôts sont payés au niveau central.
M. Hamadou Mamoudou est propriétaire de deux maisons occupées par ses deux épouses. Il trouve le payement des impôts sur le revenu des baux professionnels et d’habitation au titre de l’année 2023 trop hâtif sans aucune action de sensibilisation au préalable en 2022. «On ne peut pas se réveiller un bon matin et demander à quelqu’un de payer des impôts qui sont déclaratifs. On doit lui donner un temps pour faire sa déclaration. Selon la réglementation, cette déclaration doit être produite avant le 1er janvier de l’année d’imposition. C’est-à-dire qu’on devrait dépasser ce stade. Normalement tout le monde devrait faire sa déclaration avant le 1er de ce mois. Ce qui n’est pas le cas malheureusement. Le fait de demander aux populations de payer ses impôts cette année va créer des problèmes. Il faudrait préparer la population bien avant 2023. Nous sommes tout à fait d’avis pour que tout le monde paye les impôts. Nous avons appris que l’argent des impôts fonciers rétrocédé aux communes doit être injecté directement dans l’investissement. Quand on dit que c’est pour l’investissement c’est donc pour la population. Et là aussi nous devons être très aguerris pour suivre l’usage fait avec cet argent-là. Nous allons suivre pas à pas pour voir exactement ce que les collectivités vont faire avec l’argent recouvré ou rétrocédé. Nous devrons savoir comment cet argent-là a été utilisé», précise avec aisance M. Hamadou Mamoudou.
Des locataires déjà dans la tourmente !
La situation inquiète certains locataires de Tillabéri qui sont condamnés à prendre des maisons en location à des prix très élevés. Et c’est tout à fait naturel, car à Tillabéri, la demande en matière de bail des maisons à usage d’habitation est très élevée par rapport à l’offre. M. Bachir K. Koudizé est dans une maison en location depuis 2 ans. Le jeudi 12 janvier 2023 son bailleur l’informe d’une éventuelle augmentation de 15000F sur le prix du loyer. Systématiquement le prix de location va passer de 35000 francs à 50000 francs. Pour cause, les impôts fonciers qui n’ont même pas encore été prélevés.
«Je trouve que cette situation est inadmissible. Déjà notre propriétaire nous a prévenu d’augmenter 15.000 francs sur le prix habituel qui était de 35000 francs. Il nous a fait comprendre que désormais il doit payer les impôts pour ces maisons et par conséquent le prix de location augmente. Or même s’il doit payer l’impôt cela ne devrait pas être une raison pour augmenter autant d’argent. Vraiment c’est incompréhensible. L’État qui a introduit ces impôts doit créer les conditions pour arrêter ces bailleurs sans foi ni loi», suggère le locataire.
Qu’en est-il de la tarification du loyer au Niger ?
Selon beaucoup d’observateurs, aucune raison ne peut justifier une éventuelle augmentation sur les prix de location. Les propriétaires des maisons augmentent les tarifs de location à leur guise en l’absence de tout dispositif pour réglementer les prix de location des maisons à usage d’habitation. En aucun cas les impôts fonciers, jugés insignifiants par tous, ne doivent pas être à l’origine d’une quelconque augmentation. Me Gueguang T. Ghomo, président de l’association des diplômés notaires de l’UAM rappelle que la fixation du prix des loyers est l’un des sujets préoccupants en matière de logement. En effet, le prix du loyer est laissé à la guise des parties. Cependant, l’ordonnance de 1996, en son article 17, avait prévu certains critères de tarification qui devraient être déterminés par un décret. Malheureusement jusqu’à ce jour, regrette le notaire, ce décret n’a pas encore vu le jour. Or le droit au logement est un droit garanti par la constitution. Une occasion pour le président de l’association des diplômés notaires de l’UAM d’interpeler et d’attirer l’attention des autorités à ce sujet.
Par Abdoul-Aziz Ibrahim, ONEP Tillabéri