Les ustensiles de cuisine nigérienne représentent non seulement des outils pratiques pour préparer, servir ou conserver les repas, mais aussi le témoignage vivant de traditions séculaires. Cependant, nombreux de ces ustensiles sont aujourd’hui menacés de disparition, leur usage étant progressivement abandonné au profit d’outils et techniques modernes, d’ustensiles en plastique. Explorer ces ustensiles en voie de disparition permet non seulement de comprendre leur importance culturelle et leur utilité dans la cuisine nigérienne, mais aussi de réfléchir à la préservation de ces précieux patrimoines.
Avec leurs formes simples et de fabrication artisanale, les ustensiles traditionnels de cuisine nigérienne sont bien plus que des simples instruments culinaires. Ils incarnent l’histoire et les traditions transmises à travers les générations. Ces objets façonnés à la main, souvent à partir des matériaux locaux comme l’argile, le bois ou le métal, reflètent une certaine ingéniosité adaptée aux besoins spécifiques de chaque communauté et région, au Niger. Ils sont conçus pour différentes tâches culinaires, notamment la cuisson, le broyage et le tamisage. Ils jouent un rôle important dans la cuisine nigérienne traditionnelle.
Le mortier, le pilon, l’éventail, la calebasse étaient autrefois utilisés dans la transformation manuelle des grains de mil, du maïs ou de blé en farine. Les marmites faites à base d’argile servaient à la cuisson car, il n’y avait pas les marmites en métal. Les marmites étaient certes conçues à base d’argile mais elles sont différentes de canaris qui servaient à la conservation de l’eau et ‘’toulou’’ avec lequel les femmes faisaient la corvée d’eau. Les plats se servaient dans les ‘’akuchi’’ou tasses traditionnelles fabriquées à base du bois à cet effet. Les femmes travaillaient le mil avec leurs propres mains et les plats étaient délicieux avec leurs goûts exceptionnels. C’est le cas de la boule faite manuellement, elle est, pour beaucoup, plus délicieuse avec une saveur impeccable.
Les pratiques gastronomiques au fil du temps
Mme Ila Saa Adamou dite Tanti Samou maï tuwo ta Zabarkan dont le surnom explique les pratiques culinaires nigériennes dont elle est une des spécialistes, notamment le tuwo ou pâte, rappelle les caractéristiques de la cuisine et des mets traditionnels au Niger. Tanti Samou maï tuwo ta Zabarkan évoque l’utilisation abondante de céréales comme le mil et le sorgho, qui sont souvent transformés en pâte communément appelée ‘’tuwon laouchi’’en Haoussa ou ‘’kurba-kurba’’ en Zarma ; en bouillie ou en pâte fermentée connue sous le nom de ‘’kunu’’ ou ‘’koko’’. Ces plats de base sont souvent accompagnés de sauces épaisses et savoureuses à base des feuilles de baobab, la corète potagère connue sous le nom de ‘’malohia’’ en Haoussa ou ‘’faku’’ en Zarma ; de sauce gombo ou ‘’laa foy’’ ou de cartoteca sésamoïde communément appelée ‘’Yodo’’ ou ‘’Ganda foy’’. Un autre aspect distinctif des pratiques culinaires nigériennes est l’utilisation habile d’ingrédients locaux. Des ingrédients comme le ‘’daoudawa’’ fermentée à base des graines de locustes, le ‘’Gabu’’ fait à base des peaux d’oignon utilisés pour enrichir les saveurs des plats traditionnels.
Les ustensiles jouent un rôle important dans la cuisine nigérienne traditionnelle. Par exemple, la pâte communément appelée ‘’tuwo’’ ou ‘’kurba-kurba’’ est préparée en utilisant un grand pilon et un mortier en bois, tandis que les ustensiles métalliques sont utilisés pour filtrer le mil lors de la préparation de la boisson traditionnelle appelée «koko». Les marmites faites à base d’argile servaient à la cuisson car, « nos grands parents ne connaissaient pas les marmites en métal », indique Mme Ila Saa Adamou.
Les sauces et les plats sont souvent préparés en utilisant des techniques de cuisson lentes telles que le mijotage ou la cuisson à la vapeur, ce qui permet de conserver les saveurs naturelles et de préserver les nutriments des ingrédients. Les traditions culinaires sont transmises de génération en génération, assurant ainsi la préservation et la perpétuation de cette riche et diversifiée culture gastronomique.
Aussi, la convivialité occupe une place centrale dans les pratiques culinaires nigériennes. Les repas sont généralement servis en grande quantité dans les récipients adaptés pour accueillir tous les convives, car les membres de la famille ou les amis mangent ensemble. Ce qui renforce les liens socioculturels et l’hospitalité. ‘’Tantin maï tuwo ta Zabarkan’’ chavire dans la nostalgie quand elle en parle. Elle qui déplore « un déclin des pratiques culinaires traditionnelles ». Ces dernières années, les jeunes habitués aux modes de vie urbains, trouvent les méthodes de cuisson traditionnelles certes laborieuses mais pas si faciles que les commodités de la cuisine moderne.
Les cuisines équipées de technologies modernes telles que les cuisinières à gaz ou électriques, les mixeurs et bien d’autres outils ont rendu les tâches traditionnelles comme le pilage manuel ou le tamisage moins nécessaires ou moins attrayantes. Ceci menace de reléguer les ustensiles traditionnels de cuisine au statut de curiosités d’un passé révolu. Pourtant, leur exploration nous offre une fenêtre précieuse sur la richesse culturelle de la cuisine nigérienne à préserver car étant des témoignages authentiques d’un patrimoine culinaire et artisanal indispensable pour les générations futures.
Perte de savoir-faire
Les ustensiles en plastique et en métal sont de plus en plus utilisés pour remplacer les ustensiles culinaires traditionnels au Niger. Ces nouveaux ustensiles utilisés pour chauffer, broyer, cuire ou conserver les aliments sont souvent fabriqués à partir de plastiques ou du métal. Ils sont commercialisés et de plus en plus utilisés parce que faciles à nettoyer et moins sujets à la corrosion que ceux traditionnels en bois. Leur introduction sur le marché est associée à la modernisation des pratiques culinaires dans un contexte où de nombreux ménages nigériens adoptent des appareils et des ustensiles de cuisine modernes. Cette transition vers les ustensiles métaliques ou en plastique peut être motivée par plusieurs facteurs, notamment la disponibilité et le coût. En effet, les ustensiles dits modernes sont souvent moins chers à produire que leurs équivalents traditionnels, ce qui les rend plus accessibles aux consommateurs nigériens, en particulier dans les zones urbaines où la demande de produits bon marché est élevée. De plus, la facilité de fabrication et la durabilité apparente du plastique peuvent séduire des consommateurs tentés de moderniser leurs ustensiles de cuisine sans compromettre leur budget. Cependant, cette transition vers les ustensiles en plastique et en métal n’est pas sans conséquences pour les traditions culinaires nigériennes.
Ce phénomène a fait qu’aujourd’hui, les revendeurs des ustensiles traditionnels font face à plusieurs défis dans leur activité quotidienne. Tout d’abord, l’accès aux matières premières et aux produits finis est difficile. Les ustensiles traditionnels sont souvent fabriqués à partir des matériaux locaux tels que le bois, l’argile et le métal nécessitant une chaîne d’approvisionnement stable et fiable. Les fluctuations des prix et la disponibilité intermittente de ces matériaux ont rendu difficile la gestion des stocks et des coûts.
De plus, la concurrence avec les produits manufacturés importés constitue un défi majeur. Les ustensiles de cuisine modernes et industriels provenant d’autres pays sont souvent disponibles à des prix compétitifs sur le marché nigérien, et il est difficile pour les revendeurs locaux de les concurrencer en termes de prix et parfois de qualité perçue. Ce qui réduit la demande pour les ustensiles traditionnels de cuisine fabriqués localement qui, bien qu’authentiques et souvent de meilleure qualité, sont plus chers en raison de leur mode de fabrication traditionnelle.
Un autre défi est lié à la transmission des savoir-faire traditionnels. La fabrication des ustensiles de cuisine nigériens est un travail artisanal transmis de génération en génération au sein des communautés spécifiques. Cependant, avec l’évolution des modes de vie et la modernisation, il est difficile de trouver des artisans qualifiés et intéressés à poursuivre ces traditions. Cela a entraîné une diminution de la disponibilité des ustensiles authentiques et une perte potentielle de la diversité dans l’offre de produits.
« Ces dernières années les nigériennes ne s’intéressent plus aux ustensiles traditionnels, à peine nous arrivons à écouler quelques calebasses par jour, même les vendeuses de foura (donou) qui étaient nos principales clientes ne viennent plus comme avant. Certaines nous disent que les calebasses ne font plus leurs affaires car, elles se cassent vite, elles sont encombrantes, il faut toujours en prendre soin. Que maintenant elles-mêmes ont évolué, au lieu d’acheter et renouveler les calebasses elles préfèrent les tasses en plastiques qui sont un peu plus résistantes et moins chères », confie le vieux Seini, vendeur de calebasses et médicaments traditionnels au marché ‘’kokorba’’ de Talladjé. Les quelques rares clients qui viennent pour s’en procurer c’est pour le rituel ou pour les transformer en objet de décoration qu’ils revendent surtout aux étrangers. Pour ce qui est du mortier et du pilon, on n’en parle même pas puisqu’ils sont quasi inexistants surtout dans les foyers urbains, a-t-il ajouté.
Des efforts et des initiatives pour valoriser la cuisine nigérienne
Des conservateurs des traditions, il en existe, jusque dans les villes, en fervents défenseurs de l’identité culturelle. C’est le cas du propriétaire du restaurant ‘’Karasu’’, en plein de cœur de Niamey, aux alentours du Stade Général Seyni Kountché. ‘’Karasu’’ qui veut dire l’oseille a ouvert ses portes en avril 2020 et se distingue par son ambiance authentique et son menu axé sur des plats traditionnels nigériens préparés avec des ingrédients locaux. Porté par son attachement à la tradition, pour promouvoir la culture culinaire nigérienne, le propriétaire a choisi des chefs cuisiniers locaux et utilise des techniques culinaires traditionnelles, tout en intégrant des pratiques modernes pour garantir la qualité et l’hygiène, a fait savoir Mamadou Madougou Adamou, gérant dudit restaurant.
Les mets proposés sont principalement le ‘’Barabusko’’ accompagné de la sauce ‘’Karasu’’, du ‘’Fankasu’’, du ‘’Massa biri’’, de la ‘‘pâte’’ accompagnée de sauce ‘’Gombo ou Fakou’’, ‘’Riz et Haricot’’ et bien d’autres. Ceux-ci visent non seulement à promouvoir la connaissance des ingrédients locaux, des techniques de préparation ancestrales, à encourager la consommation de produits locaux, et à permettre aux visiteurs de découvrir les secrets des plats traditionnels. En mettant en avant les produits locaux et en les intégrant dans les menus, ‘’Karasu’’ soutient les agriculteurs et producteurs nigériens. Cette initiative favorise l’économie locale et encourage des pratiques agricoles durables. Le restaurant ‘’Karasu’’ devient ainsi un acteur dans la préservation des savoir-faire traditionnels tout en promouvant une alimentation saine et locale.
À travers son livre intitulé «Trésor Culinaire du Niger» Hawa Adam offre une véritable invitation à un voyage culinaire à travers toutes les cultures et régions du pays, révélant ainsi la profondeur et la splendeur de notre cuisine traditionnelle, faisant la promotion de nos mets traditionnels qui ont commencé à disparaître. Le livre contient 40 recettes de toutes les régions du Niger et en bas de chaque plat il est écrit sa provenance pour qu’au moins la personne qui le lit ou qui le mange sache à quelle région ou à quelle ethnie cela appartient. Plusieurs recettes sont présentées dans ce livre ainsi que leurs méthodes culinaires. Il s’agit entre autres : du ‘’Houra’’ et ‘’toukoudi’’qui sont un peu considérés comme de desserts ; du ‘’Dakachi’’ (le lait transformé en une sorte de fromage) qui n’est pas connu de tous ; ‘’kadaoua’’ (haricot vert en pousse qu’on pile avec des tourteaux, pâte d’arachide et d’autres ingrédients) ; le ‘’hame gabanté’’ (poulet pilé avec des arachides, du sésame et des épices) ; le ‘’motti kaïna tobey’’( poulet assaisonné qu’on pile et qu’on mélange avec le niébé. En effet, explique Hawa Adam, on met le niébé au feu, on le cuit pas très à point, on le fait sécher pour enlever l’eau, on le pile pour avoir la farine et les deux sont mélangés. C’est une recette qui comme son nom l’indique, se faisait jadis avec du gibier. Quand le lièvre a commencé à disparaître on l’a remplacé par le poulet. Il y a aussi ‘’tuwon boula’’ qui est une sorte de pâte de mil, mais dont sa particularité est qu’il fait plusieurs jours dans l’eau sans se gâter, et se conserve naturellement ; ‘’Kadaoua foy’’ une sauce de tripe dans laquelle on ajoute de la courge et du haricot vert en pousse, ‘’Tuwon tarsé ‘’ qu’on fait avec du tumu (le jeune mil) sans enlever le son, et qui est accompagné d’une sauce gombo au haricot ; le ‘’Falso’’( une bouillie spéciale qu’on accompagne avec le lait ; ‘’le moc-fé’’ et le mouton targuie.
Aïchatou Hamma Wakasso (ONEP)