La cinéaste nigérienne Aicha Macky a eu l’insigne honneur d’être nommée en juin 2024 membre de l’académie des Oscars qui sont des récompenses cinématographiques décernées chaque année depuis 1929 à Los Angeles aux Etats Unis d’Amérique et destinées à saluer l’excellence des productions mondiales du cinéma. Réalisatrice des documentaires multiprimés notamment le moyen métrage « L’arbre sans fruit », (2016) ; le long métrage « Zinder », (2021), sans oublier le court métrage « Savoir faire le lit », Aicha Macky n’est plus à présenter dans le paysage cinématographique nigérien et de la sous-région où ses œuvres l’ont fait connaître. Sa nomination au sein de l’Académie Awards tient justement à sa carrière de cinéaste qui la mène de succès en succès. Dans cette interview, la nouvelle membre de l’Académie des Oscars évoque les conditions à remplir pour intégrer cette auguste institution, ce que cela représente pour elle, sa carrière et son pays, la responsabilité qui lui incombe, etc.
Mme Aicha Macky, vous avez été nommée en juin 2024 membre de l’Académie des Oscars. Quels sont les critères qui ont présidé à votre désignation au sein de cette Institution ?
Les critères de nomination des membres de l’Académie des Oscars sont simples. Ceux qui désignent regardent le parcours de la personne concernée pour savoir ce qu’elle a eu à faire dans le domaine, la qualité des œuvres que vous avez déjà réalisées, et ils proposent votre candidature pour validation au sein de l’Académie. On considère ainsi que vous avez atteint un certain niveau d’expertise qui vous permet de savoir lire une œuvre, de la juger. C’est cela qui fait que la personne est intégrée au sein de l’Académie.
S’agit-il concernant les Oscars, d’un mandat à durée déterminée ou d’une mission à vie comme c’est le cas dans d’autres Académies ?
Quand vous devenez membre d’une académie vous le restez de façon permanente, donc c’est à vie comme on le dit. Car une fois que vous êtes dans l’Institution, on considère que vous avez une expertise, une expérience à partager avec les autres du fait de votre capacité de pouvoir juger les œuvres en compétition pour les Oscars. Il s’agit donc d’une mission à vie, une fois que vous avez ce mandat vous l’exercez en permanence.
Qu’est-ce que le fait d’être membre de cette importante institution représente pour l’artiste et la citoyenne nigérienne que vous êtes ?
Je pense que c’est le plus haut degré et le plus grand honneur dans la vie d’un artiste, d’un cinéaste, parce que les Oscars constituent la plus grande récompense du cinéma. Pour un artiste on ne peut espérer mieux. Être parmi ceux qui doivent juger, apprécier, valider les œuvres pour qu’elles arrivent à un tel niveau de récompense, c’est énorme. Ce n’est pas une tâche aisée dans le sens où vous aurez en face de vous les plus grands réalisateurs du monde dont les œuvres sont envoyées par les États. En effet, ce qu’il faut relever, ce sont les États qui nominent, à travers la production de tous les pays, pour voir laquelle est meilleure et c’est celle-là qui est proposée en compétition au niveau des Oscars. Ensuite, nous, les membres de l’Académie, nous faisons le travail de choix pour la meilleure œuvre parmi les meilleures reçues de par le monde, selon les catégories (fiction, documentaire, etc). Pour moi, être membre de cette Académie est la reconnaissance du travail déjà fait, du parcours réalisé ; c’est donc une grosse fierté pour moi, et c’est aussi une lourde responsabilité. Car, il faut faire preuve de beaucoup de professionnalisme pour juger les œuvres des autres. C’est un gros challenge à relever. Aussi, je dois dire que cette fierté revient au Niger, puisque ce sont des pays qui sont représentés. Et dire qu’aujourd’hui le Niger a un droit de vote au niveau de l’Académie des Oscars, je pense que c’est important, énorme. Cela, dans le sens où les gens se bousculent pour aller là-bas, puisque c’est aussi politique, chacun des membres a une nationalité, ce sont des œuvres qui sont jugées, des drapeaux qui sont brandis. Dire que le Niger a un droit de vote quand une œuvre est récompensée ça représente quelque chose de grand pour le pays. Et je me permets ici de rapporter qu’il y a une compatriote, la nommée Fati N’Zi Hassane Directrice Afrique Oxfam, qui, fière de ma nomination a tenu à payer ma cotisation de membre de l’académie, d’un montant de 450 dollars américains par an.
Comment envisagez-vous cette mission qui comme vous la décrivez n’est pas qu’un simple vote et surtout que les membres de l’Académie peuvent être amenés à juger des œuvres venant de leurs pays ?
Ce qui est important à dire ici, c’est qu’il y a beaucoup d’éléments qui entrent en jeu. C’est vrai qu’il s’agit des œuvres à apprécier, évaluer ; mais on n’a pas tous la même culture, on n’a pas la même façon de lire les œuvres. Par exemple ici, nous avons hérité d’un système français où on raconte les choses avec lenteur, on a aussi l’héritage de la tradition orale qui fait que nos films sont souvent parlants, ce qui n’est pas forcement le cas pour les films américains où il y a beaucoup d’actions. Il y a donc certains prismes pour pouvoir juger une œuvre et la comprendre, ça peut souvent influencer. Cette position peut aussi permettre de voir les lacunes des productions qui viennent de votre pays si jamais elles arrivent à ce stade, puisqu’il faut remplir des critères internationaux pour faire un film. Il faut motiver son choix, expliquer pourquoi on a choisi tel ou tel film.
Quel impact peut avoir pour vous, votre carrière de cinéaste notamment, le fait d’être membre de l’Académie des Oscars ?
En tant qu’africaine, on n’a pas beaucoup accès aux films puisque la plupart sont sur des plateformes qui ne sont pas ouvertes sur le continent pour beaucoup de raisons, dont le coût pour regarder un film en ligne, la question de la qualité de la connexion internet pour regarder les films en streaming. Aujourd’hui que je suis arrivée à ce stade, c’est une porte qui m’est ouverte pour pouvoir regarder beaucoup de films qui viennent de partout au monde. Ce qui va enrichir aussi ma culture cinématographique, parce que comme le disait feu Inoussa Ousseini ‘‘la meilleure façon de faire des films c’est de regarder les films que font les autres’’. Ça vous permet aussi de voir qu’est ce qui a été déjà fait sur le plan technique, de la créativité et d’avoir sa propre touche personnelle. Mais il n’y a pas que le fait de juger des films. C’est un rendez-vous du donner et du recevoir, on étoffe son carnet d’adresse, on fait du networking avec les cinéastes du monde entier. C’est aussi une opportunité pour faire autant que possible la visibilité de son pays, sur le plan touristique, par exemple proposer à un réalisateur les paysages de Timia, du désert du Sahara ou Ténéré pour son tournage, etc. Tout cela constitue un grand avantage.
Réalisée par Souley Moutari (ONEP)